"Dans un trou vivait un hobbit."
C'est sur ces quelques mots - aujourd'hui considérés comme comptant parmi les plus célèbres dans la carrière de J.R.R. Tolkien - que se clot le biopic dédié au légendaire écrivain britannique, en salles depuis mercredi. Porté par Nicholas Hoult et réalisé par Dome Karukoski, le film nous laisse en effet entrapercevoir les années les plus créatives de Tolkien (et l'ombre de ses oeuvres majeures) à travers les nombreux événements qui ont forgé son passé.
Ses premières années dans la campagne anglaise, son adolescence orpheline, sa romance avec la belle Edith, son amour naissant pour les mots et les langues, la création de son tout premier club et l'horreur de la Première Guerre Mondiale... jusqu'à ce jour fatidique où, sans même s'en rendre compte, bercé par les rires de ses enfants, Tolkien s'est mis à tracer pour eux la ligne inaugurale de son ouvrage le plus célèbre, risquant un premier pas timide sur les chemins encore imprécis de ce qui allait bientôt devenir... la Terre du Milieu.
Et la suite ? Les fans de Tolkien la connaissent tous et le film de Dome Karukoski la laisse clairement deviner aux autres. Néanmoins, pourquoi ne pas esquisser ici les événements majeurs qui ont accompagné Tolkien dans la seconde partie de sa vie ?
PROFESSEUR TOLKIEN
Après un premier emploi à l'Oxford English Dictionary où il se consacre à la lettre "W" de l'alphabet germanique, Tolkien décroche son tout premier poste de professeur à l'université de Leeds, dans le Nord de l'Angleterre. Il y enseigne la littérature anglaise pendant 5 ans, tout en s'adonnant à l'écriture de ses premiers ouvrages : pour la plupart, des essais académiques, mais aussi les racines d'un univers dont il ne soupçonne pas encore l'immensité.
En 1925, et pendant les 20 années qui suivent, il retourne à Oxford, et enseigne le vieil anglais au Pembroke College. C'est là, en corrigeant des copies d'étudiants (contrairement à ce que l'on peut voir dans le film Tolkien, où il se trouve en famille) qu'il griffonne sur un morceau de papier blanc la toute première phrase du Hobbit. Une oeuvre qu'il destine d'abord à ses enfants (tout comme ses Lettres du Père Noël), mais dont l'exceptionnel succès le pousse à poursuivre son voyage en Terre du Milieu.
Associant petit à petit les aventures de Bilbo et de Gandalf au gigantesque univers qui prend forme dans son imaginaire depuis quelques années, il décide (sous l'impulsion des éditeurs) d'offrir une suite à son histoire, et rédige alors les deux premiers volets du Seigneur des anneaux (la création de la trilogie dans son ensemble lui prendra plus de 10 ans).
Tisseur patient, méticuleux architecte bâtissant brique après brique ces futurs monuments de la littérature, Tolkien passe néanmoins le plus clair de son temps dans les amphithéâtres d'Oxford, où il assume sa fonction principale. Donnant entre 70 et 136 cours par an (alors que son contrat n'en exige que 36, selon l'ouvrage J.R.R. Tolkien Encyclopedia) il fait le bonheur et l'admiration de la plupart ses élèves, auxquels il réserve de véritables "shows" souvent salués par des standing ovations, et malgré un léger défaut d'élocution qui peut parfois le rendre difficile à comprendre.
LES INKLINGS
Si Tolkien se retrouve seul face à son manuscrit lorsqu'il donne vie à Frodon, à Aragorn ou encore à Gandalf, il met un point d'honneur à aiguiser sa plume de façon régulière auprès d'autres compagnons d'armes et de lettres. Le T.C.B.S. (Tea Club Barrovian Society) qu'il forme durant ses années d'études avec des camarades universitaires et que l'on voit très bien dans le film de Dome Karukoski, n'est que le premier exemple de son inclination pour les clucs et les communautés.
Ainsi, durant ses années à Oxford, il se retrouve tous les jeudis soirs avec ses amis écrivains au pub nommé The Eagle and The Child pour y arroser de houblon de longues discussions littéraires. Parmi les Inklings (nom que l'on peut traduire par "idée" ou "pressentiment" mais qui commence par le mot "ink", c'est-à-dire "encre") on compte notamment Owen Barfield, Charles Williams, W.H. Lewis et son frère C.S. Lewis.
Ce dernier, célébrissime auteur des Chroniques de Narnia (elles aussi adaptées au cinéma) a beaucoup compté dans la vie de Tolkien, et malgré quelques désaccords notables entre les deux écrivains, ils se sont encouragés l'un l'autre dans la conception de leurs univers fantastiques. Ainsi que l'expliquera Lewis dans son ouvrage Surpris par la Joie, c'est notamment lors d'une longue discussion avec Tolkien qu'il s'est converti à la foi chrétienne : pilier central de toute son oeuvre.
En ce qui concerne le travail en équipe, Tolkien a également, durant la Seconde Guerre Mondiale, participé au programme de déchiffrement des codes nazis. Une occasion pour lui de mettre sa passion pour les langues et les énigmes au service de son pays.
BEREN ET LUTHIEN
Quelques années après le succès triomphal du Seigneur des anneaux, dont les trois tomes sont publiés entre 1954 et 1955, Tolkien prend sa retraite universitaire en 1959 et se consacre alors à ses travaux de traduction et d'écriture. Méfiant à l'égard de sa notoriété grandissante, il s'exile aux côtés de son épouse Edith dans la ville balnéaire de Bournemouth en 1968.
Là, il reprend le développement des mythes et légendes parallèles à l'histoire de l'Anneau et se replonge dans l'univers qu'il avait commencé à élaborer avant même de conter le voyage de Bilbo. S'il ne publie plus beaucoup d'ouvrages de son vivant, Tolkien laisse derrière lui un véritable monde d'ébauches et d'annotations lorsqu'il disparaît en 1973 à l'âge de 81 ans.
Parmi les nombreux textes rassemblés par son fils Christopher et publiés à titre posthume, on trouve notamment Le Silmarillon, genèse de son univers, ouvrage riche et complexe entre les pages duquel se cache une histoire qu'il avait commencé à esquisser dans les années 20 : la tendre et grandiose romance de Beren et Luthien.
Une idylle impossible entre un jeune mortel et une princesse elfe, un ardent amour qui allumera par la suite celui d'Aragorn et d'Arwen dans Le Seigneur des anneaux, et que Tolkien a façonné en s'inspirant de ses propres sentiments pour Edith. A la mort de cette dernière, environ deux ans avant lui, l'écrivain a d'ailleurs fait graver le nom "Luthien" sur la pierre tombale de sa bien-aimée. Aujourd'hui, son propre patronyme y figure également en lettres éternelles, gravé sous celui de son épouse, et suivi d'un deuxième nom : "Beren".
Sources : J.R.R. Tolkien Encyclopedia / Mentalfloss / The Gospel Coalition / J. R. R. Tolkien's Sanctifying Myth / Mythopoeic Society
(Re)découvrez la bande-annonce de "Tolkien" (en salles depuis le 19 juin)...