À l'époque des Dix Petits Nègres, diffusée fin 2015 en Grande-Bretagne et un an plus tard en France, le doute et l'argument du "coup de chance" étaient éventuellement permis. Mais plus maintenant que Témoin à charge et Témoin indésirable sont venues compléter la collection (en attendant ABC contre Poirot, encore inédite en France) et nous apporter deux preuves supplémentaires du savoir-faire de la BBC avec le catalogue des oeuvres d'Agatha Christie dont la chaîne a acquis les droits il y a quelques années pour nous en livrer une adaptation à chaque vacances de Noël. Et tandis que C8 diffuse les quatre parties de Témoin indésirable en une seule soirée, ce mercredi 6 mars, penchons-nous sur les ingrédients de cette réussite.
LE MATÉRIAU DE BASE
Il faut bien évidemment rendre à César ce qui est à César. Ou à Agatha ce qu'elle a écrit. Car c'est bien une véritable mine d'or que la BBC s'est offerte, avec les oeuvres de la reine du suspense qui n'ont pas pris une ride dans leur façon de faire grimper la tension au fil des rebondissements. Il y a bien sûr des histoires moins réussies que d'autres : contrairement à la version, brillante, signée Billy Wilder pour le grand écran en 1957, l'adaptation récente de Témoin à charge se base sur la nouvelle publiée en 1925, et non la pièce datant de 1953 et que l'on doit à la romancière, qui a étoffé son histoire originale et servi de modèle aux différentes transpositions ciné et télé qui ont vu le jour.
Bien que constituée de deux épisodes, ce qui en fait la mini-série la plus courte de la collection, Témoin à charge donne l'impression de tirer sur la corde, dans sa mise en place notamment, là où Témoin indésirable et Les Dix Petits Nègres parviennent plus rapidement à prendre la pleine mesure de leurs histoires. Soient, d'un côté, huit inconnus réunis sur une île et décimés les uns après les autres pour des crimes qu'ils sont accusés d'avoir commis ; et de l'autre, une famille qui découvre que le fils qui vient de mourir dans la prison dans laquelle il été envoyé pour avoir prétendument tué sa mère, était en réalité innocent. Dans les deux cas, une intrigue policière qui prend la forme d'une enquête, et tourne autour des notions de culpabilité et secrets enfouis en chacun.
Qu'elles soient plus ou moins réussies, ces mini-séries donnent toutes un sentiment de cohérence sur ce plan, sans doute parce qu'en plus de leur auteur, elles partagent la même scénariste : Sarah Phelps. Une femme qui signe, seule, chacune des adaptations, après s'être illustrée, déjà sur la télévision anglaise, avec des transpositions d'Oliver Twist et des Grandes espérances, prouvant au passage qu'elle n'avait pas peur des classiques ni, de Charles Dickens à Agatha Christie, des auteurs parmi les plus prisés du petit et grand écran. Entre ses mains, chaque transposition parvient à trouver le bon équilibre entre les aspects policier et psychologique qui était déjà au coeur des livres, bien soutenue par la réalisation.
MISE EN SCÈNE MODERNE POUR RÉCIT CLASSIQUE
Contrairement au scénario, chaque mini-série change de réalisateur : Craig Viveiros, Basi Akpabio et Rebecca Keane pour Les Dix Petits Nègres ; Julian Jarrold pour Témoin à charge ; Sandra Goldbacher pour Témoin indésirable ; et Alex Gabassi pour ABC contre Poirot. Un sentiment d'homogénéité se dégage pourtant de la mise en scène, que ce soit dans les teintes verdâtres de la photo ou la manière de mettre en images la fragmentation du récit, composé d'allers et retours entre passé et présent (pour naviguer dans les souvenirs des personnages des Dix Petits Nègres ou revenir sur l'heure du crime dans Témoin indésirable), avec des réminiscences d'événements antérieurs qui nous reviennent par bribes.
Avec ses flashes qui interviennent comme des décharges, ces adaptations d'Agatha Christie prouvent un peu plus l'influence de Sherlock sur les séries policières britanniques qui l'ont suivie. Et notamment en matière de montage. Car si la série de Steven Moffat et Mark Gatiss a déplacé son intrigue au XXIè siècle, celles écrites par Sarah Phelps respectent le cadre et l'époque originaux, à savoir le début du XXè siècle. Les amateurs de grandes bâtisses anglaises et de belles robes qui ne feraient pas tâche dans Downton Abbey seront donc aux anges. Mais que les autres ne soient pas rebutés, car ces récentes transpositions des oeuvres de la reine du suspense parviennent à allier tradition et modernité. Quitte à parfois être sursignifiant, en répêtant les mêmes images au gré des épisodes (vous ne devriez pas oublier les aiguilles de l'horloge de Témoin Indésirable par exemple) pour représenter les souvenirs de chacun, qui se font de plus en plus précis. Le tout sans oublier les personnages, qui se voient offrir de solides interprètes.
UN CASTING SOLIDE MAIS PAS CLINQUANT
Attirer la crème de la crème des acteurs anglo-saxons lorsque l'on est la BBC et que l'on adapte Agatha Christie, cela ne doit pas être trop compliqué, vu que la chaîne fait autant autorité pour la qualité de ses séries que l'écrivaine avec ses romans. C'est donc sans grande surprise que l'on retrouve Sam Neill et Charles Dance dans Les Dix Petits Nègres ; Toby Jones, Andrea Riseborough et Kim Cattrall dans Témoin à charge ; Bill Nighy ou Matthew Goode dans Témoin indésirable ; ou encore John Malkovich et Rupert Grint dans ABC contre Poirot, mini-série la plus chargée en glamour du lot. Car pour le reste, chaque casting parvient à s'appuyer sur des visages certes connus, mais semble moins rechercher des têtes de gondole que des interprètes solides et reconnus. Ce qui, pour l'instant, s'avère être un sans-faute.
Il y a bien eu le remplacement d'Ed Westwick, accusé d'agression sexuelle, par Christian Cooke pendant la post-production de Témoin indésirable, qui nous donne des images parfois étrange, où la tête de l'un semble avoir été greffée numériquement sur le corps de l'autre. Mais ce sentiment disparaît vite tant le jeu des acteurs se révèle solide, et en phase avec la volonté de la scénariste et des réalisateurs d'insister sur la psychologie des personnages. Lesquels apparaissent alors nuancés tandis que la frontière entre le Bien et le Mal se brouille, rendant coupables, innocents et même victimes beaucoup plus proches que ce que l'on imaginait au premier abord.
Tout n'est bien sûr pas parfait, car des longueurs peuvent s'immiscer, en plus de moments trop appuyés par le montage. Mais après l'excellente surprise des Dix Petits Nègres, et malgré la déception de Témoin à charge, les adaptations d'Agatha Christie par la BBC semblent être devenues des valeurs sûres auprès des sériephiles, quand bien même le suspense peut bien évidemment souffrir du fait que le dénouement de chaque histoire est déjà connu par ceux qui ont lu les livres de base. Un obstacle, en apparence, que les mini-séries parviennent à surmonter avec leur approche, mi-moderne mi-classique et sans fausse note côté interprétation. Témoin indésirable nous en apporte une nouvelle preuve sur C8 ce 6 mars, et on espère que la diffusion française d'ABC contre Poirot puis l'adaptation de "La Mort n'est pas une fin" attendue fin 2019 en Grande-Bretagne, permettront de poursuivre sur cette lancée en nous rappelant que le crime paye lorsqu'il est aussi bien exécuté.
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