AlloCiné : Aviez-vous eu vent de l'existence de la série britannique Docteur Foster avant que l'on ne vous propose son adaptation hexagonale ?
Claire Keim : J'avais entendu parler de la série, sans la regarder. Du coup je l'ai vue quand on m'a proposé le remake. Je sais que certains acteurs préférent éviter, mais je suis trop curieuse. Je savais que ça m'obséderait si je ne le faisais pas. Je l'ai vue longtemps avant de tourner, comme ça j'ai pu l'oublier un peu, et ne retenir que les choses qui me semblaient importantes.
Lesquelles par exemple ?
J'étais souvent surprise du manque de réaction de Gemma, et ça me semblait primordial de retrouver ce côté où elle est paralysée par la situation. Il fallait que je sois dans la retenue, ce qui n'est pas naturel pour moi car j'ai tendance à vouloir tout jouer, à montrer, à démontrer ce dont je suis capable. Ici, la situation se suffit souvent à elle-même. Le réalisateur Didier Le Pêcheur était très précieux pour ça, pour me retenir. Tout ce qu'elle encaisse, sans confronter son mari pendant un long moment, c'est ce qui fait qu'elle dévisse à un moment donné, qu'elle devient presque folle. C'est pour ça aussi qu'on se met à douter d'elle. J'aime l'idée que l'empathie change sans arrêt de camp et que la victime n'est pas forcément celle que l'on croit. C'est très inconfortable pour le téléspectateur et ça interroge beaucoup.
Est-ce que vous diriez que c'est le rôle le plus extrême qu'on vous ait confié jusqu'ici ?
Oui, sans doute. La série anglaise a été faite par un homme qui avait lu une pièce du 17e siècle intitulée "La mariée éplorée" de William Congreve et une phrase en particulier avait retenu son attention et lui avait donné envie d'écrire ce projet. C'était "L'Enfer n'a pas de fureur ni de colère qui égale celle d'une femme bafouée". Et c'est ça qui est fascinant chez ce personnage. Ce que cette infidélité déclenche en elle. Et c'est jouissif à jouer et jouissif aussi pour le téléspectateur qui assiste à sa colère qui monte, qui monte, et qui attend qu'elle éclate.
Les personnages qu'on me propose sont de plus en plus denses et complexes et ça pour moi c'est une victoire. Ce rôle c'est un cadeau. Que ce soit au théâtre ou à la télé, je joue de plus en plus de rôles assez extrêmes, que ce soit cette mère alcoolique pour un téléfilm, cette femme au bord du suicide dans une pièce... J'en suis très reconnaissante. C'est une question d'époque aussi, on confie aux femmes de mon âge des rôles plus intéressants qu'avant.
Qu'est-ce qui différencie Infidèle de la série originale selon vous ?
D'abord, Suranne Jones est une actrice que j'adore, mais qui est très différente de moi. On ne dégage pas du tout la même chose et ça en dit long sur ce qu'on voulait faire je crois. Moi ça me permettait de me sentir plus libre aussi dans mon interprétation. En dehors du thème principal, le développement est très différent et l'écho qu'il a aussi. L'affaire ne résonne pas de la même façon dans la petite communauté anglaise où tout le monde s'épie à longueur de journée, où les femmes doivent toutes renvoyer l'image de mères parfaites, un peu à la Desperate Housewives. Ce n'est pas quelque chose qui existe chez nous, ce n'est pas dans notre culture. On est plus individualistes, moins rassemblés en communautés.
On vous a beaucoup vue dans des sagas de l'été il y a des années, comment vous voyez l'évolution des séries depuis ?
C'est assez incroyable, on est vraiment entré dans la cour des grands. On commence. Regardez Le Bureau des Légendes, c'est notre fierté nationale ! Je trouve que c'est un trésor cette série. On est capable de faire ça en France aujourd'hui, donc c'est très stimulant. Je suis heureuse d'Infidèle, du traitement qui a été choisi, et heureuse que ce soit Jonathan Zaccaï qui m'accompagne. Je le voulais dès le début, je faisais une fixette sur lui. J'espérais de tout mon coeur qu'il accepte. Il apporte beaucoup à la série.
Son personnage est d'ailleurs très différent de celui de la série anglaise...
Mais oui, et on s'en foutait du personnage anglais honnêtement, je ne me souviens même plus de sa tête ! Celui qu'incarne Jonathan est beaucoup plus humain, il y a plein de moments où on est de son côté.
Vous avez tourné dans la région du Pays Basque, que vous connaissez bien, où vous vivez. C'est une chance j'imagine mais c'est peut-être déstabilisant aussi de jouer ce rôle-ci dans un environnement aussi familier ?
C'est pas faux. J'étais super contente au début, j'arrêtais pas de dire que j'étais ravie de pouvoir retrouver les gens que j'aime tous les soirs. Puis à un moment donné, je me suis rendue compte que j'avais les deux journées qui s'enchaînaient. Quand je tourne à Paris ou ailleurs, je suis une ado. On vient me chercher, on m'emmène déjeuner, on me ramène chez moi, je me fais des nouilles devant la téloche, je lis un bouquin, je m'endors à l'heure que je veux, je suis libre comme l'air ! Là, c'était autre chose. J'étais actrice la journée, épouse et maman le soir et il fallait réussi à gérer les deux.
La série elle-même parle de charge mentale, du rôle des femmes dans notre société qui doivent assurer dans tous les domaines...
Bien sûr, on évoque la charge mentale des femmes depuis quelques temps, sur l'injustice qu'elles vivent à se taper deux journées en une, même si ça évolue un peu et les hommes s'investissent de plus en plus dans la famille. Mais on revient de loin. Ca se passe brutalement, à coup de hashtags pas très sympathiques, de réactions épidermiques, mais ça s'organise, il y a des excès mais c'est important que la parole se libère. Dans la série, on parle de cette injonction d'être une mère parfaite, une maîtresse parfaite, une professionnelle parfaite... Et c'est encore plus développé dans la saison 2 anglaise d'ailleurs ! J'ai hâte de savoir ce que nos scénaristes vont écrire.
Vous pensez que si saison 2 d'Infidèle il y a, elle sera différente de celle anglaise, qui a été un peu moins bien reçue que la première par le public ?
Je pense oui. C'est surtout une intuition. Mais la saison 2 est peut-être un peu trop radicale pour Gemma dans ce qu'ils lui font faire. Ils ont un peu perdu le personnage je trouve...
Le personnage que vous jouiez dans Insoupçonnable vivait quelque chose d'assez proche de celui d'Infidèle. Elle découvrait un secret incroyable sur son mari. Vous y avez vu un lien ?
Moi non, mais mon inconscient très certainement. Ce qui est certain, c'est que tous les personnages que j'incarne, à quelques exceptions près, pourraient être la même femme qui traverse différents états. Je me suis créé cette femme imaginaire dans ma tête, qui a pris forme des tas de fois. Et j'aime ce lien.
La bande-annonce d'Infidèle, tous les lundis soirs sur TF1 :