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    Monsieur : "Avec Jean d'Ormesson, la fête n'est jamais finie"
    Clément Cuyer
    Clément Cuyer
    -Journaliste
    Clément Cuyer apprécie tous les genres, du bon film d’horreur qui tâche à la comédie potache. Il est un "vieux de la vieille" d’AlloCiné, journaliste au sein de la Rédaction depuis maintenant plus de deux décennies passionnées. "Trop vieux pour ces conneries" ? Ô grand jamais !

    Rencontre avec Laurent Delahousse, réalisateur de l'émouvant et lumineux documentaire "Monsieur", centré sur l'Académicien Jean d'Ormesson.

    Mars Films

    Connu pour ses activités de journaliste et d'animateur sur le service public, Laurent Delahousse s'invite aujourd'hui sur grand écran avec l'émouvant et lumineux documentaire Monsieur, centré sur l'Académicien Jean d'Ormesson, qu'il a accompagné durant les dernières années de sa vie. Rencontre.

    AlloCiné : De quand date votre premier contact avec Jean d'Ormesson ?

    Laurent Delahousse : C'était il y a plus de dix ans. Il est venu régulièrement sur 13h15 le dimanche, une émission qui est plus du reportage maintenant, mais qui à l'époque était un talk. Il en a quasiment été l'un des premiers invités. De là est née une relation. On s'envoyait des mots, on se parlait, puis on s'est rencontré de plus en plus souvent, il est venu à plusieurs reprises sur le plateau du journal...

    On se pose finalement toujours la question de savoir si c'est une relation factice, issue de ce petit monde, de ce petit milieu médiatique qui est le nôtre, ou bien s'il y avait autre chose. On s'est progressivement rendu compte que c'était le cas. Et à un moment donné de sa vie, il m'a appelé en me disant : "Laurent, vous m'avez parlé de l'idée de faire un documentaire, je pense que c'est le moment." Je lui ai répondu : "C'est le moment..." Et il m'a dit : "Oui, le temps est venu." Dans "le temps est venu", il y avait "le temps est compté". C'est comme ça que les choses se sont mises en place.

    On a l'impression d'une histoire en plusieurs actes...

    Oui. Et dans la relation humaine avec lui, et dans le parcours de ce film. Au départ, je voulais faire quelque chose qui ressemble un peu au Pater d'Alain Cavalier, avec Vincent Lindon. Ils se parlaient, on ne savait pas trop où ils étaient, si on était dans de la fiction ou du réel. Et puis finalement, je suis revenu à quelque chose de différent. J'avais besoin de m'effacer, de ne plus être là, d'être autrement, en tout cas. Je me suis donc plutôt positionné derrière la caméra. J'avais envie de filmer Jean avec cette incertitude de ne pas vraiment savoir ou j'allais, ce qui était assez agréable. Moi qui maîtrise beaucoup les choses, j'avais là quelque chose qui n'était pas maîtrisé. Progressivement, les choses se sont construites ainsi.

    D'un documentaire surtout pas biopic, surtout pas en forme de biographie, je voulais faire quelque chose de beaucoup plus poétique et onirique. Non pas faire un film sur Jean d'Ormesson, mais plus sur un homme, écrivain, au crépuscule de sa vie. C'était plus ça qui m'intéressait. L'oeuvre de Jean d'Ormesson est intéressante, fascinante, elle a été narrée, exploitée, écoutée, débattue et célébrée par beaucoup de monde... J'avais moins envie de célébrer l'oeuvre littéraire que cet homme riche de plein de choses et de ce qu'il pouvait nous léguer et nous céder.

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    Vaste question : comment définir Jean d'Ormesson ? 

    Si je le vois comme figure totémique, emblématique d'un siècle un peu en train de s'échapper, je dirais qu'il était un écrivain, un journaliste gâté, qui avait un certain goût, inouï, pour le plaisir que pouvaient être le soleil, la Méditerranée, les femmes, l'envie de vivre... C'est un peu ce que l'on va retenir de lui, globalement, aujourd'hui.

    Mais moi, j'ai plus eu la relation d'un homme qui avait peut-être l'appétit d'apaiser un certain nombre de choses en moi, dans le sens où il avait compris et saisi avant bien d'autres que le temps ne devait pas être une force oppressante. Notre hystérisation, celle de notre milieu, de notre univers, de notre univers professionnel, du mien, moi qui travaille beaucoup et vis en courant... Il m'a permis de ralentir un certain nombre de choses. Pas de ne plus faire, mais de ralentir un certain nombre de choses. Je me suis demandé : "Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?" Il m'a choisi pour faire ce travail, il avait envie de laisser une trace de plus et je me suis un peu servi de lui, je m'en rends compte aujourd'hui. Servi dans le sens où de par son discours, nos dialogues, il m'a nourri pour me permettre d'ouvrir de nouvelles portes. Et ce film en est une.

    On découvre dans "Monsieur" un Jean d'Ormesson que l'on ne connaît pas, celui du quotidien, qui mange sa biscotte au petit déjeuner. Le voir ainsi est très émouvant...

    C'est le cinéma que j'aime. Le fantasme et l'idée qu'on puisse se projeter complètement ailleurs et en même temps être dans le réel d'un personnage qu'on avait l'habitude de voir en costume, avec cette chemise bleue, son gros noeud de cravate, son costume gris et ses jolis mocassins aux pieds... Dans le documentaire, il est en peignoir, il est dans la vie, dans le silence. C'est un film dans lequel le silence, le temps, l'éloge de la lenteur avaient une importance. Donc, oui, ce sont ces moments-là qui sont pour moi très proches du cinéma et du documentaire que j'aime. Filmer de très près ou finalement d'assez loin pour qu'on se fasse oublier, et que lui soit là, dans le théâtre de la vie, sans besoin de commentaires ou d'artifices...

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    Est-ce que ce documentaire était une forme de respiration par rapport à votre poste de journaliste, notamment avec le journal télévisé où vous êtes au premier rang d'une actualité souvent violente ?

    Oui, c'était une parenthèse pour échapper à la réalité du monde. Mais Jean vous ramenait aussi à une forme de réalité. Et en même temps, il avait une telle philosophie de vie, un espoir, la foi en l'espérance, que c'était assez contre-nature avec l'époque dans laquelle on vit aujourd'hui. Nous sommes en permanence au contact de personnes, et c'est bien naturel, qui sont confrontées à des difficultés. Lui était un privilégié, il en avait bien conscience, et il nous lègue quelque chose qui est l'idée d'avoir encore envie. La fête n'est pas finie. Avec Jean d'Ormesson, la fête n'est jamais finie. Et j'aime cette idée. 

    Une scène forte du film nous le montre en train de rigoler avec un ami Académicien comme n'importe qui d'entre nous pourrait rigoler avec un pote...

    En se rapprochant au plus près de Jean d'Ormesson, en le voyant vivre, on se rend compte que malgré le fait qu'il vivait dans un monde qui ne sera jamais le nôtre et qui probablement s'éteindra progressivement, ce monde de l'aristocatrie, de la haute bourgeoisie, cette élite qui appartient à un autre siècle, et bien il  nous emmène dans une proximité qui est d'une grande banalité, et heureusement ! Oui, il a son pote, son ami, avec qui il parle de la vie, des femmes, de souvenirs, de vacances, il rigole, il sourit... C'est l'une des scènes qui m'a le plus touché, le plus ému.

    Avez-vous en tête des moments forts avec Jean d'Ormesson, que vous avez accompagné jusqu'au bout de sa vie ?

    J'ai en tête une conversation que nous avons eue en Corse tous les deux, où j'ai commencé à aborder un certain nombre de questions sur la vie d'après. J'ai alors vu à son souffle, au caractère hésitant, que ce qu'il me racontait était le questionnement qu'il avait à cette époque-là en permanence. C'était très troublant pour moi. Et puis j'ai aussi le souvenir du jour où il m'a appellé, il voulait voir les premières minutes du film que j'avais commencé à monter. Ca reste notre dernière rencontre et c'est forcément quelque chose de très émouvant pour moi. Mais les plus beaux souvenirs restent nos conversations, les petits plaisirs de la vie, prendre du temps avec lui. C'est l'une de mes plus belles rencontres. Il m'a fait un cadeau : il m'a offert du temps, alors qu'il n'en avait plus beaucoup.

    Propos recueillis par Clément Cuyer à Paris, le mardi 27 novembre 2018

    La bande-annonce de "Monsieur" :

     

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