Profiter d'un film ou plus largement d'une oeuvre audiovisuelle, quelle qu'elle soit, et où qu'elle soit, lorsque l'on est aveugle ou malvoyant, relève encore d'un parcours bien difficile. Si des efforts ont incontestablement été réalisé depuis le vote de la loi du 11 février 2005 pour "l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapés", il reste encore beaucoup à faire. C'est le constat dressé par Patrick Saonit, responsable du service audiodescription au sein de l'association Valentin Haüy. Créée il y a 130 ans, reconnue d'utilité publique, c'est justement grâce à elle que l'on doit l'introduction en France du système de l'audiodescription, originaire des Etats-Unis, pour les programmes audiovisuels.
A l'occasion de la journée nationale des aveugles et malvoyants en ce jeudi 4 octobre, nous avons donc posé quelques questions à Patrick Saonit à ce sujet.
AlloCiné : Pourriez-vous nous expliquer quel est le travail de l'association, quelles sont les actions entreprises par elle, en particulier en ce qui concerne l'accès aux oeuvres audiovisuelles ?
Patrick Saonit : Acteur historique de l’aide aux personnes déficientes visuelles, l’association Valentin Haüy s’engage depuis près de 130 ans pour les accompagner vers l’autonomie et leur permettre une plus grande accessibilité aux lieux publics, aux transports en communs, au numérique et à la culture. Pour ce qui est de l’audiodescription, l’association est à l’initiative de sa mise en place en France; l'idée venant des Etats-Unis. Elle a financé pendant de nombreuses années les tests, recherches, formation et installation provisoires tant dans les cinémas, les théâtres que les expositions. Elle a aussi fait de multiples démarches auprès des producteurs, distributeurs, salles de cinémas, chaînes de télévision, ministères, CNC, FNCF et CSA afin de démontrer l’intérêt de l’audiodescription pour les déficients visuels et la faisabilité de la mise en place de celle-ci sur tous les lieux et sur tous les supports, à l’exception de la VOD encore actuellement.
La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapés précise que "est considéré comme accessible aux personnes handicapés, tout bâtiment permettant dans des conditions normales de fonctionnement à des personnes handicapés, avec la plus grande autonomie possible, de circuler, de se repérer, de communiquer et de bénéficier des prestations en vue desquelles cet établissement a été conçu". L'accessibilité concerne donc tout autant les salles de cinéma que les films eux-mêmes. Quel bilan peut-on faire 13 ans après le vote de cette loi ? Toutes les salles de cinéma sont-elles équipées, en particulier concernant le système de l'audiodescription ? Y'a-t-il des contournements et / ou infractions à la loi que vous auriez constaté ?
Si certains groupes, CGR mais surtout UGC, ou plusieurs cinémas indépendants se sont équipés et diffusent très régulièrement de l’audiodescription, il y en a encore beaucoup trop qui n’ont rien fait alors que la mise en place de la diffusion d’audiodescription est d’une simplicité reconnue et d’une totale transparence pour le public n’ayant pas de handicap visuel. La très grande majorité des films de production française propose l’audiodescription de leur film à la sortie de ceux-ci en salles. On retrouve assez souvent l’audiodescription sur les DVD et Blu-ray, mais les exceptions sont encore trop importantes et incompréhensible par le public déficient visuel.
Maintenant, les chaînes de télévision jouent le jeu et diffusent de l’audiodescription. On peut toujours en souhaiter encore plus. On aimerait retrouver les audiodescriptions sur les DVD, Blu-ray et VOD de ces mêmes programmes, mais c’est beaucoup plus rare que pour les films de cinéma récents. Par ailleurs, il ne faut pas oublier les théâtres, sons et lumières, expositions, musées, ect... De plus en plus d’audiodescriptions se font avec souvent des supports tactiles, mais nous sommes encore très loin de 100% d’accessibilité.
Cette loi est-elle encore améliorable ? Si oui, que faudrait-il faire ?
D'abord il faudrait imposer que la diffusion de l’audiodescription soit mise en place dans de très brefs délais là où c’est possible rapidement et facilement, comme au cinéma par exemple, et pénaliser si ce n’est pas fait. Il ne suffit pas d’équiper la salle ou le lieu. Il faut diffuser les contenus. Il faut donc avoir l’information sur les contenus disponibles et actuellement ce n’est pas toujours simple pour un directeur de cinéma de savoir si l’audiodescription existe, et sur quelle copie elle est disponible. Et il faut aussi informer le public concerné afin qu’ils sachent quels films seront accessibles, où et quand. Et il faut que cette information soit elle aussi accessibles aux déficients visuels.
Juste un exemple : savoir à l’avance qu’un programme diffusé sur une chaîne sera audio décrit n’est pas toujours évident, et programmer son téléviseur pour accéder à l’audiodescription est parfois totalement impossible pour un déficient visuel. Ne parlons pas des Box qui sont un réel problème, souvent pas ou peu accessibles, parfois ne permettant pas l’accès à l’audiodescription, tandis que les mises à jour oublient souvent certains publics.
Quel est le coût de la création d'une piste en audiodescription pour un film ?
Pour un film, le coût est entre 4000 et 7 000 €.
On constate encore trop peu l'initiative de pistes en audiodescription sur les DVD et Blu-ray. Est-ce un sujet sur lequel vous intervenez (régulièrement ou pas), ou êtes déjà intervenu ? Êtes-vous par exemple en contact avec des distributeurs et / ou éditeurs de films sur ces supports ? Travaillez-vous de concert avec eux ?
Nous avons contacté sur ce problème l’ensemble des partenaires avec qui nous avons travaillé. Nous avons aussi rencontré certains de leurs représentants leur faisant part de l’incompréhension du public déficient visuel sur le fait qu’une audiodescription ne se retrouve pas sur les différents supports, alors que techniquement rien ne l’empêche. Là aussi on constate de la méconnaissance, du manque de communication entre producteurs et distributeurs et parfois de simples oublis. Il m’arrive encore d’avoir cette réponse : "Mais si vous voyez bien que l’audiodescription y est ! Vous ne voyez pas les sous-titres ??" Le plus mauvais gag a été avec ce projectionniste qui envoie en salle la version VO d’un film pour une séance organisée en présence de plus de 60 déficients visuels, et quand on lui fait remarquer qu’il serait mieux pour eux d’avoir la VF il répond que "les déficients visuels n’ont qu’à lire les sous-titres !" Du tact au tac je lui ai demandé s’il les diffusait en braille et il me répond "Ah bon, ça existe ?..."
L'audiodescription est un sujet peu connu du grand public. A quoi est-ce dû selon vous ? Un déficit global de pédagogie sur le sujet ?
Nous nous sommes concentrés sur les professionnels et le public déficient visuel pour faire avancer au plus vite l’implantation de l’audiodescription. Nous avons régulièrement organisé des séances d’audiodescription en conviant tous les publics. Nous organisons depuis 9 ans un festival ouvert à tous, où tous les films sont audiodécrits, mais effectivement ça ne suffit pas. Faire savoir prends autant de temps que faire, voire plus. C’est un des objectifs de l’association pour 2019.
Je me permets d’ajouter que nous souhaitons bien évidemment qu’il y ait de plus en plus d’audiodescription, mais qu’il faut qu’elle soit de qualité. On ne s’improvise pas auteur d’audiodescription. On ne devient pas auteur d’audiodescription en trois mois sans rencontrer de déficient visuel !