Comment a commencé votre collaboration sur ce film, High Life ?
Juliette Binoche, comédienne : Quand Claire Denis m’a parlé de ce film, j’avais déjà fait Un beau soleil intérieur. Donc de travailler à nouveau avec elle, quelques mois après, était excitant pour moi. J’avais aimé travailler avec elle et l’aspect science-fiction dont elle m’avait parlé semblait bizarre, sombre et spécial.
Je lui ai dit oui, avant même de lire un scénario. Puis quand je l’ai lu, ce n’était pas tout à fait un scénario encore. Puis, nous nous sommes retrouvées pour commencer la préparation. Elle réécrivait des scènes juste avant de tourner. Il y avait comme un sentiment de danger, mais c’était excitant, car je la connaissais, donc c’était comme être en famille en fait.
Son idée du Docteur Dibs était presque comme un mythe, en contrôle, mais aussi dans une forme de désespoir. C’est une criminelle avec un vagin en plastique, ça sonne bizarre ! J’avais besoin d’une déesse comme référence donc j’ai choisi Kali, la déesse indienne. J’étais fascinée par elle, j’ai lu beaucoup de choses.
Il y avait comme un sentiment de danger, mais c’était excitant
Comment décririez-vous votre personnage ?
Juliette Binoche : C’est un personnage complexe, mais je dirai qu’à vrai dire, n’importe quel personnage est complexe. C’est la situation dans laquelle ces personnages vivent qui est absolument horrible. Donc ils essayent d’être humains autant que possible. Mais ce personnage ne m’a pas fait peur. Mon personnage a un sens de la manipulation, et il y a aussi de l’humour dans ce qu’elle fait au sein de toute cette noirceur.
C’était réjouissant car c’est une situation dans laquelle je ne m’étais encore jamais retrouvée au cinéma. Et ce personnage apporte beaucoup de solitude. Dans Un beau soleil intérieur, il y avait aussi beaucoup de solitude, mais qui s’exprimait différemment. Mais je ne pense pas avoir été effrayée par la noirceur des personnages que j’ai pu jouer dans le passé.
Les acteurs disent souvent qu’ils préfèrent jouer des personnages sombres ou étranges…
Juliette Binoche : Oui, car c’est plus payant. C’est comme du poivre. Vous vous souvenez de ce qui est poivré, épicé ! C‘est quelque chose qui frappe. J’ai conscience que les acteurs préfèrent jouer des rôles sombres car ils sont plus fun à jouer.
Le film est clairement provoquant, et je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose
A propos de poivre, les toutes premières projections du film ont justement été assez animées. C’est en tout cas ce qu’il s’est dit après la présentation du film au Festival de Toronto. Comment réagissez-vous à cela ?
Juliette Binoche : Je n’étais pas à Toronto et je ne sais pas ce qu’il s’est passé, donc je ne peux pas répondre à cette question. Mais le film est clairement provoquant, et je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose, je pense que ça peut être très productif car ça secoue. Un film peut parfois montrer des choses qu’on n’a pas envie de voir. Après je ne pense pas que ce soit de la provocation pour de la provocation. Ce n’est pas de la provocation gratuite.
Claire Denis, réalisatrice : Ce n’était pas des journalistes, c’était quelques tweets.
Mia Goth, actrice : Si vous parlez des gens qui ont quitté la salle, c’est peut être que certains ne savaient pas ce qu’ils venaient voir. Ils ont peut être pris leur place comme ça, après avoir vu First Man ou A Star is born, et ne savaient pas ce qu’allait explorer ce film. Mais vous savez, nous n’essayons pas de faire plaisir à tout le monde. Nous ne voulons pas faire ce genre de films, ce n’est pas très intéressant.
C’est un film sur l’amour, la solitude, et aussi la tendresse
Claire Denis : Et surtout nous avons eu de superbes critiques, donc au final, ce n’était pas si triste. (...) Ca m’était arrivé déjà avec Trouble Every Day, dix ans avant Grave. Ce film High Life n’a rien à voir avec Grave. C’est un film sur l’amour, la solitude, et aussi la tendresse. Ce n’est pas « Raw », c’est « well cooked (bien cuit, en référence au titre anglais de Grave (Raw).
Mia Goth : Je ne pense pas que nous explorons des choses qui méritent de sortir de la salle. Nous parlons de choses très naturelles, comme la sexualité, le désir, le besoin d’entrer en contact. Les gens sont prudes avec ça. Et dans le même temps, il y a les armes, la violence… C’est très révélateur de ce que nous sommes en tant que personnes.
Je ne pense pas que nous explorons des choses qui méritent de sortir de la salle
Juliette Binoche : Claire Denis a créé ce cadre dans lequel vous pouvez clairement faire des parallèles avec aujourd’hui. Nous allons tout droit vers un grand trou. C’est suicidaire d’être si passif par rapport à ce qu’il se passe dans le monde aujourd’hui, et la façon dont nous traitons notre Terre. Nous sommes comme dans une machine suicidaire que nous avons créée. Voulons nous arrêter ça ? Devons nous provoquer les politiciens pour qu’ils prennent leurs responsabilités ? Voulons-nous du changement dans nos propres vies ? Eteindre la lumière dont nous n’avons pas besoin par exemple. Pourquoi mettre la climatisation quand il fait bon ? Ce système est tellement malade. Le film en est le reflet. Ca peut aussi provoquer en ce sens. Pourquoi pas.
Diriez-vous que la science-fiction est ici un prétexte pour aborder la condition humaine ?
Mia Goth : On peut dire que ce vaisseau et cette solitude sont des métaphores. Nous sommes en quête désespérée d’une forme de connexion. Les seules choses qui nous guident sont nos désirs, nos désirs primaires. Nous n’avons pas un total contrôle de nous mêmes.
Claire Denis : Pour moi, il y a une scène qui résume un peu l’ensemble du film. C’est lorsqu’ils regardent les étoiles au-dessus de leurs têtes. La voix off dit alors : ‘nous avions l’impression étrange que nous allions en arrière plutôt que d’aller vers l’avant’. Ils se regardent comme des humains perdus, comme s’ils étaient ensemble, mais en même temps séparés, distants. Ces regards en disent tant, et dans la salle de montage, à chaque fois, ce moment m’achevait. Ils se regardent avec désespoir et espoir et de l’amour.
Je ne dirais pas que ce film est un film de SF normal. C’est une réflexion.
Mia Goth : Nous sommes tous tellement seuls, mais en étant ensemble. C’est une compagnie qui vous isole.
Juliette Binoche : La SF peut prendre des formes très différentes. Je ne dirais pas que ce film est un film de SF normal. C’est une réflexion. Je ne suis pas du tout une spécialiste de SF ; je n’en ai pas vu tant que ça. C’est une réflexion sur la façon dont on se comporte, mais la plupart du temps, il est davantage question d’effets spéciaux, d’explosion…
Quel est votre processus créatif ?
Claire Denis : C’est toujours la même chose. J’ai besoin d’avoir l’idée du film que j’ai envie de faire, et ensuite lorsque l’on commence à travailler, j’essaye de me figurer l’histoire. Comment va-t-on entrer dans cette histoire ? Cette fois-ci, il était important de sentir que la façon magnifique d’entrer dans cette histoire était ce bébé seul dans ce vaisseau, parlant à son père se trouvant sur le toit. C’est tout. Puis, l’image du jardin. A partir de ce bloc solide, ça va marcher, se déclencher.
Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre avec ce film
Est-ce que le film ressemble à ce que vous imaginiez ?
Robert Pattinson : Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Je n’avais pas d’attentes dans le bon sens du terme. Parce que lorsque vous voyez des films comme Beau Travail, vous pouvez ressentir tellement de choses, sans même forcément tout comprendre. Je sais juste que c’est super. Je faisais entièrement confiance en ce que Claire voulait. Mais j’ai trouvé le film plus drôle que ce que je m’étais imaginé. J’ai ri devant le film la première fois. Peut être que quelqu’un quelque part le trouvera drôle également !
Parlez-nous de votre expérience de travail avec Claire Denis
Robert Pattinson : C’est quelqu’un de vraiment unique. Je l’avais rencontré plusieurs fois à travers les années. Vous pouvez regarder ses films et vous dire : mais qui est cette personne ? J’adore passer du temps avec elle. Elle peut être à la fois très chaleureuse et très étrange. Il peut arriver de déjeuner ensemble sans nous parler, mais sans être mal à l’aise, et il y a très peu de personnes avec qui cela est possible. Ou elle va aborder des sujets sortis de nulle part.
Claire Denis est est quelqu’un de vraiment unique
Et sur le tournage, elle est très drôle. La plupart d’entre nous ne savions pas exactement de quoi parlait l’histoire, mais nous avions une telle foi en elle. Tout le monde était très impliqué dans le film et soutenait ce qu’elle faisait. Claire inspire ça, c’est une belle personne. C’était un bon environnement de travail.
Etait-ce un challenge pour vous de faire ce film en anglais ?
Claire Denis : Pour être honnête, non. On m’a demandé si j’avais envie de faire un film en anglais. J’ai dit oui, mais à la condition qu’il y ait une bonne raison que les personnages parlent anglais. Puis, j’ai suggéré cette histoire, parce qu’il y a des gens dans l’espace aujourd’hui, qui soit, parlent russe ou anglais. Donc j’ai dit, allons-y ! Mais pour moi, il n’y avait pas l’idée de prétendre ‘je vais faire mon premier film en anglais’
Qu'est-ce qui a guidé ces idées de décor ?
Claire Denis : Pour moi, l’idée du vaisseau était très simple, c’était comme une boite avec un couloir, des escaliers, un jardin, le baisodrome, les capsules… L’idée de la forme du vaisseau était très simple. Et je ne voulais pas de blanc ! Je voulais du beige, du brun et du rouge. Pas question d’avoir du blanc dans l’espace ! Je ne voulais pas que leurs costumes expriment la conquête de l’espace. Ce sont des prisonniers. Et il n’y a pas de drapeaux.
Pas question d’avoir du blanc dans l’espace ! Je ne voulais pas que leurs costumes expriment la conquête de l’espace
Il n’y a pas de repères temporels. Pour quelle raison ?
Claire Denis : La voix dit : nous avons quitté la Terre pour des années déjà. Quand ? Avant que le bébé ne naisse. Il est dit à 90% de la vitesse de la lumière, donc sur Terre, ça ferait déjà près de 80 ans. Donc tous les gens que vous avez connus sont morts.
Comment était-ce de travailler avec Robert Pattinson ?
Juliette Binoche : C’était super. On se connaissait un peu de Cosmopolis. Il posait beaucoup de questions. De se sentir comme un outsider, comme son personnage. On a beaucoup échangé. J’ai fait davantage connaissance que sur Cosmopolis. Il avait probablement besoin de parlé car il était souvent seul avec cette petite fille. Les trois premières semaines, il tournait seul avec elle. Donc quand nous sommes arrivés, nous étions comme les sauveurs ! C’est très simple de travailler avec lui. Il est très impliqué et il a beaucoup aimé travailler avec Claire Denis. C’était une bonne relation de travail.
La bande-annonce de High Life :
Propos recueillis et traduits de l'anglais en table-ronde par Brigitte Baronnet au Festival de San Sebastian 2018