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    Christophe Duthuron sur Les Vieux Fourneaux : "J'espère que leur appétit de vie donne envie de vieillir"
    Corentin Palanchini
    Passionné par le cinéma hollywoodien des années 10 à 70, il suit avec intérêt l’évolution actuelle de l’industrie du 7e Art, et regarde tout ce qui lui passe devant les yeux : comédie française, polar des années 90, Palme d’or oubliée ou films du moment. Et avec le temps qu’il lui reste, des séries.

    Christophe Duthuron signe son premier long métrage de cinéma avec "Les Vieux Fourneaux", adaptation de la bande-dessinée éponyme, qui réunit pour la première fois à l'écran Pierre Richard, Eddy Mitchell et Roland Giraud.

    Gaumont Distribution

    AlloCiné : On ne compte plus vos collaborations théâtrales avec Pierre Richard, mais comment décririez-vous cette rencontre entre ces trois acteurs : Richard, Roland Giraud et Eddy Mitchell ?

    Christophe Duthuron : Ils n'avaient jamais tourné ensemble ! Pierre Richard et Eddy Mitchell se sont auto-proclamés : "Le Grand blond avec une Chaussette noire !" (rires)

    Votre film est l'adaptation de la bande-dessinée éponyme...

    C'est un mélange du premier et du troisième tome. Le scénario du premier avec une intrigue du 3, reliés entre eux par l'auteur de la BD lui-même : Wilfrid Lupano, ce qui était un gage de fidélité.

    C'est lui qui vous a apporté ce projet ?

    Pas du tout. Je suis arrivé sur un film qui n'avait pas de réalisateur mais qui était déjà lancé. Pierre Richard ne savait pas que j'étais dans les tuyaux et je lui ai annoncé (...) alors que quinze jours avant nous dînions et on se disait : "tu te rends compte, ça fait 20 ans qu'on se connaît et c'est la première fois qu'on n'a pas de projets en cours" (rires). Je suis arrivé le casting était fait, le scénario était quasi fini et voilà.

    Justement, comment ça se passe lorsqu'on reprend un projet de façon inattendue, j'imagine qu'on a très peu de temps pour se préparer.

    En terme de temps c'est compliqué, mais la vraie question qui s'est posée c'était que pour un projet comme celui-là c'est que ce n'est pas un projet vierge, c'est une bande-dessinée, devenue un classique en l'espace de quatre ans, donc le public s'en est emparé. Donc je devenais un peu le dépositaire d'une charge énorme. Et c'est pour cela que j'ai associé très vite Wilfrid Lupano, scénariste de la BD. Nous avons finalisé le scénario ensemble et cette association ne s'est pas démentie pendant tout le processus du film. En bédéphile que je suis et qui est souvent déçu, je ne voulais pas que Wilfrid découvre tous les choix que j'aurais dû faire, contraint par la grammaire du cinéma, à la projection du film fini. (...) Le lien a toujours été gardé, il est venu sur le tournage.

    Eric Travers © 2017 - RADAR FILMS - ÉGERIE PRODUCTIONS - GAUMONT - FRANCE 3 CINÉMA - DARGAUD MEDIA

    C'est ce qui m'a frappé, j'avais lu la première BD en 2014 et même avec ce souvenir lointain, je revoyais des séquences entières à l'écran. D'autant plus que vous avez choisi de garder les personnages dans l'ère de notre temps, ainsi que leur engagement politique.

    Évidemment, c'est inhérent au propos du film. Le film est aussi un regard sur le monde tel qu'il est. La séquence où Sophie [Alice Pol] s'adresse aux vieilles dames qui n'est pas une scène qui fait avancer l'action, nous donne une lecture différente de ce qui est raconté. (...) L'effondrement mondial auquel on assiste, [les personnes aujourd'hui âgées] en sont un peu responsables ! Et quel avenir pour l'enfant de Sophie ? Wilfrid a l'élégance de ne pas faire [de cette question] la colonne vertébrale du film et de le soumettre comme une suggestion.

    Et il fait bien.

    Je trouve aussi.

    Cette tirade du personnage de Sophie est aussi l'occasion de confirmer le timing comique d'Alice Pol. Car en plus de dire un texte engagé sur le fond, elle le fait avec une légèreté vraiment folle, qui rend la séquence drôle. Comment avez-vous travaillé avec elle pour ce moment ?

    Il y a eu deux niveaux de travail avec Alice. D'une manière générale, elle n'est pas dans sa zone de confort car elle n'est pas un quatrième mousquetaire. C'est au contraire un contrepoint. C'est la prise de terre alors que les autres sont hors sol ! Narrativement même, c'est un duo entre elle et les Fourneaux. Elle n'est donc pas dans un jeu de projection mais un jeu de réaction, comme pouvaient parfois l'être Blier ou Depardieu lorsqu'ils lancent leur œil sur le trublion Pierre Richard. Et techniquement, sur la tirade, elle a une dextérité folle de diction dans laquelle il fallait permettre aux gens d'entrer. Il a donc fallu souligner des petits espaces, des respirations, qui font qu'on a l'impression qu'elle sort tout cela naturellement.

    Eric Travers © 2017 - RADAR FILMS - ÉGERIE PRODUCTIONS - GAUMONT - FRANCE 3 CINÉMA - DARGAUD MEDIA

    C'est un des morceaux de bravoure du film, je voulais vous parler de deux autres moments. Le premier est la séquence de l'usine. Comment avez-vous envisagé puis tourné cette scène hors du temps dans laquelle un des personnages erre au milieu d'autres parfaitement immobiles ?

    Toute l'idée est d'avoir ces vieux, comme une étiquette, et l'enjeu est ensuite de découvrir ce qu'il y a derrière. Les flashbacks font partie de l'ADN de la série mais je voulais sortir des flashbacks narratifs (qui explorent de façon froide le passé des personnages) au profit de flashbacks subjectifs, qui créent de l'intime. (...) Sur la scène de l'usine, le parti que j'ai pris, c'est d'imaginer [qu'un personnage revisite quelque chose]. C'était un pari, nous avons très peu peu recouru à la post-production. Nous nous sommes servis de figurants locaux (...) qui se sont fixés et la déambulation [du personnage] est quasiment un plan séquence. Nous avons juste ôté les petites imperfections comme les clignements d'yeux. (...)

    L'autre moment dont je voulais vous parler c'était le flashback en marionnettes qui est lié au métier de Sophie et renvoit vers l'enfance.

    Une des versions de Cyrano de Bergerac qui m'avait bouleversé c'était une version en marionnettes car on pouvait y projeter ce qu'on voulait. J'avais donc cette envie de donner au spectateur une version des faits à la fois crue et enfantine, là aussi c'était un pari. Et quand nous cherchions des gens pour nous faire ça, on est tombé à Toulouse sur Marc Ménager qui fait des courts métrages superbes que je vous recommande. Et ils ont tout fait à la main, c'est du stop-motion.

    Il y a aussi des dialogues percutants -mais ça tient aussi à la gouaille de vos acteurs- qui ne sont pas sans évoquer ceux écrits jadis par Henri Jeanson ou Michel Audiard...

    Il a eu une tendance qui est peut-être Nouvelle-Vague à ne plus faire de dialogues qui sentaient le papier et l'auteur, il fallait faire des musiques sans mélodie... On a un peu décrété les choses au nom d'un certain naturalisme qui a ses vertus, je ne hiérarchise pas, mais comme toujours, on va d'un excès à l'autre donc nous avons fait l'exact inverse ! Avec une mélodie qui revient, des dialogues hauts en couleurs, un diapason de jeu un peu plus que vrai (...) et puis ce n'est pas une posture de la part de Lupano. Il ne s'est pas dit "je vais faire du Audiard parce que personne ne le fait", (...) c'est sa langue, c'est sa façon de s'exprimer. Il m'envoie des textos comme ça.

    Gaumont Distribution

    En voyant ce trio et des dialogues aussi enlevés, j'ai pensé au film "Les Vieux de la vieille" avec Jean Gabin, Noël-Noël et Pierre Fresnay.

    Oui, c'est vrai. Je l'ai revu il n'y a pas longtemps en plus. Je suis moins fan de Fresnay mais Gabin et Noël-Noël étaient déments. Le propos est très différent et tant mieux, mais il y a cette verve-là, cet appétit de vivre, cet esprit sale gosse. A l'âge qu'ils ont, [Eddy, Pierre et Roland] ne sont plus en conquête de rien, ils n'ont plus rien à prouver à qui que ce soit et se foutent des conséquences car ils ne seront peut-être plus là pour les voir. Donc ça leur donne une impunité et une décontraction pour dire tout ce qu'on pense au moment où on le pense que ça peut toucher d'autres gens que des gens de leur âge. J'espère que leur appétit de vie donne envie de vieillir !

    C'est ce qui m'a plus dans le film, c'est que Les Vieux fourneaux n'est pas un film nostalgique, au contraire. Il est ancré dans le présent et montre un passé qui n'était pas forcément rose, je trouve que c'est un beau message.

    C'est clair qu'on n'en sort pas en se disant "c'était mieux avant !" Par contre, il ne faut pas bouder son plaisir à retrouver des couleurs et des saveurs d'antan, avec un nouveau propos.

    On sent chez vous un amour de ces acteurs et un plaisir teinté de nostalgie de les remettre à l'écran. Je pense à Henri Guybet, qu'on est ravis de retrouver.

    J'ai eu le même plaisir gourmand à l'idée de l'avoir. Un type adorable, en pleine possession de ses moyens, qui adore son métier, je ne comprends pas qu'il ne tourne pas plus. Il a une palette de jeu dans le film, je l'adore absolument. Bien sûr que j'ai eu ce plaisir-là.

    L'occasion pourrait se présenter de les réunir à nouveau puisqu'il y a d'autres tomes des Vieux fourneaux disponibles.

    J'adorerais. Les acteurs sont demandeurs, Wilfrid est partant car il a aimé le film. Donc il réfléchit au deuxième film mais ça ne nous appartient pas. Si c'était le cas, ce serait oui tout de suite !

    En salles ce mercredi :

     

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