AlloCiné : Vous avez connu le succès en 2014 grâce à votre court-métrage Majorité opprimée, dont Je ne suis pas un homme facile est l'adaptation. Huit ans après, rien n'a presque changé. Pensez-vous que votre film pourra faire réagir ?
Eléonore Pourriat : La situation n’est pas du tout la même aujourd’hui qu’en 2010, année de sortie de Majorité opprimée, ni 2014, année du buzz suite à sa diffusion sur YouTube. Il y a aujourd’hui un formidable élan pour l’égalité, une prise de conscience des dysfonctionnements du système patriarcal, une grande solidarité féminine qui se manifeste dans des initiatives comme #metoo dans le monde entier, Time’s Up aux Etats Unis, 5050x2020 pour la parité dans le cinéma français… La médiatisation du féminisme donne du poids à un combat qui a toujours été actif mais a longtemps été maintenu dans l’ombre. "Je ne suis pas un homme facile" s’inscrit dans ce contexte et j’en suis très fière. Je pense qu’il fera réagir parce que quand il y a progrès, il y a toujours retour de bâton réactionnaire. Mais le film sera aussi jubilatoire pour beaucoup, hommes et femmes qui en ont ras le bol des stéréotypes de genre. Mon film rend visible le sexisme ordinaire, celui qu’on ne voit pas ou qu’on ne remarque plus, les petites choses dont on s’accommode comme d’un caillou dans la chaussure. Je crois qu’il fait du bien.
Inverser les rôles c'est pour vous la seule manière de faire comprendre aux hommes la société patriarcale dont laquelle nous vivons ?
L’inversion des rôles est un procédé classique très efficace parce que visuel, et donc drôle, tout en permettant d'aborder des dysfonctionnements réels de notre société. "Je ne suis pas un homme facile" n’est pas une leçon à l’attention des hommes mais plutôt l'expérience d’une autre perspective offerte tant aux hommes qu’aux femmes.
L'une des répliques du film qui m'a marquée est "Un monde où les hommes et le femmes s'épaulent". vous y croyez vous ?
Bien sûr ! Je connais beaucoup d’hommes tout à fait féministes, ou qui le sont sans le revendiquer mais qui vivent dans un rapport d’égal à égale avec les femmes. De toute façon, on n’arrivera à l’égalité que par un effort commun, en combattant les clichés et en élevant nos enfants dans l’idée que femmes et hommes ont droit aux mêmes chances. Je ne dis pas que ça va être aisé mais j’y crois.
Est-ce que pour vous "Je ne suis pas un homme facile" est une comédie romantique ?
Disons que c’est une comédie romantique acide. Le film emprunte tous les codes de ce genre, les détourne par l’inversion des sexes et tord le cou au conte de fée mièvre. C’est une histoire d’amour que vivent des personnages attirés par la différence de l’autre. Damien (Vincent Elbaz) tombe amoureux d’Alexandra (Marie-Sophie Ferdane), femme puissante, qui elle-même est troublée par ce type rebelle qui ne joue pas le jeu des conventions sociales: il n’attend pas qu’on lui tienne la porte, il se fout qu’on lui offre des bijoux et veut qu’on regarde son CV, pas ses jambes.
A quel moment Netflix vous ont-ils approché ?
Les gens de Netflix m’ont contactée dans la foulée du buzz de Majorité opprimée en 2014 et ont fait confiance au succès de mon court métrage. Je leur en suis extrêmement reconnaissante.
En acceptant de signer avec eux, vous acceptez aussi le fait que votre film ne sortira pas au cinéma. En tant que réalisatrice, cette condition n'a pas été un frein ?
"Je ne suis pas un homme facile" est avant tout un film de cinéma et j’aime plus que tout l’idée de le partager avec des spectateurs dans une salle obscure, mais je n’ai pas hésité une seconde car je savais que Netflix m’offrait la garantie de la portée internationale que j’avais connue avec mon court métrage. C’était cohérent. Rien n’est plus émouvant que de recevoir des messages des quatre coins du monde et de constater que votre vision est universelle. A l’inverse, rien n’est plus déprimant que de voir deux ans de travail réduits à une semaine d’exploitation en salles. Et puis Netflix m’a laissée entièrement libre de choisir mon casting, ce qui a été décisif pour moi. Tous les acteurs de Je ne suis pas un homme facile sont là pour ce qu’ils apportent aux personnages, pas pour de mauvaises raisons telles que leur célébrité.
Il s'agit seulement du deuxième film français que Netflix diffuse en exclusivité mondiale mais le premier qu'il produit. Que pensez-vous de l'investissement de ce géant américain en France ? Netflix doit-il faire plus ?
L’idéal serait de faire des ajustements et de trouver un terrain d’entente en faisant des compromis de part et d'autre: si la chronologie des médias doit être assouplie (mon film n’aurait pu être diffusé par Netflix que dans trois ans s’il était sorti en salles, c’est absurde), les plateformes digitales comme Netflix devraient en contrepartie s’engager à investir dans de nouvelles productions françaises, comme le font les diffuseurs en France, en pré-achat ou en coproduction. Je sais également qu’il est question d’un accord passé avec la SACD pour garantir leurs droits aux auteurs proportionnellement au succès des œuvres, mais il n’a toujours pas été rendu public. Il faudrait réussir à créer un cercle vertueux de financement qui créerait de la valeur et enrichirait le cinéma français tout en préservant l’exception culturelle…
Découvrir Je ne suis un homme facile sur Netflix.