Le cinéma d'horreur et la France, c'est (toujours) une histoire compliquée
Il y a dix ans, le monde du cinéma de genre était secoué dans tout son être par la déflagration Martyrs. Dix ans plus tard, Pascal Laugier, après avoir réalisé un film aux Etats-Unis, revient à une coproduction franco-canadienne en réalisant Ghostland. Depuis Martyrs, qui était sorti à la même période que les tout aussi extrêmes Frontière(s) ou A l'intérieur, on s'aperçoit que les propositions en matière de cinéma d'horreur en France ne se sont pas multipliées de manière phénoménale. Plus que jamais, et ce malgré les récents Grave ou La Nuit a dévoré le monde, on a l'impression que faire du cinéma d'horreur en France, c'est toujours une histoire compliquée.
A l'heure où le genre est plus reconnu qu'il ne l'a été depuis bien longtemps aux Etats-Unis, en France, on a l'impression que les choses bougent très doucement. L'insuccès public et critique du cinéma de genre français est un sujet redondant et le pourquoi de cet insuccès trouve des réponses multiples tout en restant un mystère. Si le fantastique comme l'horreur, respectivement avec La Forme de l'eau et Get Out, ont triomphé lors de la dernière cérémonie des Oscars, de notre côté de l'Atlantique, Grave a recueilli sept nominations aux César, mais il est reparti bredouille. Et malgré un succès critique indéniable - on observe que la formule hybride du cinéma de genre d'auteur semble trouver grâce auprès de la pensée critique française -, le film n'a attiré en salle qu'un peu plus de 150 000 spectateurs.
Après s'être longuement interrogé sur les raisons de ce rapport tumultueux de la France avec le cinéma d'horreur et après avoir abordé la question avec plusieurs cinéastes tels qu'Alexandre Aja, Pascal Laugier ou Coralie Fargeat, on a pu identifier plusieurs causes. D'abord, le cinéma de genre est difficile à produire, car chaque maillon de la chaîne met un frein. Ensuite, le cinéma fantastique et d'horreur français sont boudés tant par la critique que par le public, au point qu'il devient quasi-impossible pour les réalisateurs français de mettre leurs projets à exécution. Enfin, la conséquence de tout cela, c'est que beaucoup de réalisateurs français qui sont attachés au genre fuient la France pour les Etats-Unis, où on leur donne les moyens de réaliser leurs projets.
Partie I : des films difficiles à produire dans le système de financement à la française
En France, le cinéma de genre vit bien plus vigoureusement dans les festivals et à travers la vidéo que dans les circuits de salles classiques. Un constat qui paraît paradoxal, car le système français est supposé permettre de financer des films qui n’ont pas vocation à être des cartons. Sauf que, comme nous l'explique Alexandre Aja, réalisateur de Haute tension, exilé aux Etats-Unis depuis son remake de La Colline a des yeux, il existe quand même une centaine de films qui ne sortent pas chaque année, même s’ils ont été financés par l’Etat, des distributeurs, et des chaînes de télé. « Il se trouve, dit-il, que le cinéma de genre ne bénéficie pas, dans ce système, des préachats télé, parce que c’est très difficile sur des films interdits aux moins de 12 ans et encore plus pour ceux interdits aux moins de 16 ans. Il y a une censure indirecte, qui se fait au niveau du financement, qui empêche le cinéma de genre d’exister et d’avoir sa chance. »
Il y a une censure indirecte, qui se fait au niveau du financement, qui empêche le cinéma de genre d’exister et d’avoir sa chance
Pour rappel, l'investissement des chaînes de télévision dans le financement du cinéma, qui prend souvent la forme de préachat des droits de diffusion à la télé, représente une grosse partie du système français. Il s'ajoute au Comptes de soutien du CNC et à l'avance sur recettes financée par les Sociétés de financement du cinéma et de l'audiovisuel (SOFICA) qui relèvent de fonds privés. Or, on sait qu'effectivement, les chaînes sont très réticente à s'engager sur des projets qui seront très certainement interdits aux moins de 12 ans - dans le meilleur des cas, quand on connaît la radicalité du cinéma d'horreur français, souvent très noir, très gore et très jusqu'au-boutiste. Il s'est parfois même attiré les foudres de la commission de classification. L'interdiction de Martyrs (avant révision sur ordre de la Ministre de la Culture) aux moins de 18 ans, en est un parfait exemple, et on sait combien les interdictions impactent directement l'exploitation commerciale des films.
Au milieu des années 2000, la vente des films à l'international était une véritable option pour les investisseurs et certains films d'horreur parvenaient à obtenir une visibilité non négligeable en ce sens en festivals. C'était par exemple le cas de Maryrs, qui avait été projeté au Festival de Cannes en 2008. « Finalement, avec Martyrs ou A l’intérieur, les financiers ont réussi à en faire des succès parce qu’ils les ont vendus à l’étranger, ajoute Alexandre Aja. Mais aujourd’hui, les ventes à l’étranger ne sont plus aussi importantes. Le DVD a disparu, la VOD n’est pas assez forte par rapport au DVD, il y a plein de paramètres… Si on ne trouve pas un moyen que le public donne sa chance au cinéma de genre, ce sera terminé. »
Pour Coralie Fargeat, réalisatrice de Revenge, sorti en salle le mois dernier après avoir fait le tour des festivals, l'internationalisation reste la principale raison d'espérer une amélioration de la situation : « On a une forte concurrence avec le cinéma anglo-saxon, qui fait ça très bien, remarque-t-elle, mais l'internationalisation profite aussi peu à peu au cinéma de genre français. L'arrivée des plateformes, les séries - qui ont remis le genre au goût du jour - sont des choses très positives. »
Après l'émergence de la (très masculine) génération du milieu et de la fin des années 2000, dont font partie Alexandre Aja et Pascal Laugier et à qui s'ajoutent notamment Xavier Gens ou encore le duo formé par Julien Maury et Alexandre Bustillo, qui s'inscrivait et s'inscrit toujours dans une forme assez viscérale du genre, on a le sentiment que la deuxième moitié des années 2010 voit naître une nouvelle génération de réalisateurs et de réalisatrices qui paraît se situer davantage du côté du cinéma d'auteur, se revendiquant moins du genre en tant que tel que leurs aînés. On pense aussi bien à Julia Ducournau avec Grave qu'à Dominique Rocher avec La Nuit a dévoré le monde.
Toutefois, si d'un point de vue du fiancement, une approche du genre plus ancrée dans la tradition auteuriste du cinéma français peut se révéler efficace, reste que le public ne répond toujours que très peu présent...
Retrouvez dès demain la suite de notre enquête "Cinéma d'horreur français, pourquoi est-ce si compliqué ? Partie 2 : un public en demande qui ne se déplace pas forcément en salle", qui sera disponible à partir de 19h sur AlloCiné.
La bande-annonce de "Martyrs" (2008) :