Pour le grand public, François Corbier est ce trublion à la barbe fournie, star de Récré A2 et du Club Dorothée, émissions pour enfants cultes des années 80 et 90. Mais Alain Roux (son véritable nom) est également, et les gens le savent moins, un chansonnier particulièrement actif depuis le début des années 60.
Le documentaire Corbier, des traces dans la mémoire des masses, en salles ce mercredi, lève le voile sur cette facette méconnue d'un artiste attachant, amoureux de Brassens mais pas de la nostalgie. Un homme dont l'histoire, selon le réalisateur Félix Létot, est "matière à un roman, le roman d'une vie qui avait besoin d'être raconté." Rencontre.
AlloCiné : C'est en réalisant que les gens ne vous connaissaient pas vraiment que Félix Létot a décidé de réaliser un documentaire sur vous. Comment avez-vous réagi quand il vous a présenté le projet ?
François Corbier : J'ai trouvé que c'était une idée amusante et en même temps, je me suis dit : "Il va avoir du mal à le vendre, son truc, le pauvre gars !" (rires) Quand je vois la difficulté que j'ai à me vendre moi, je me suis dit que lui, en plus, il allait devoir faire du montage, couper, me faire redire des choses autrement, qu'il allait devoir bosser comme un fou et que si ça se trouve, ça n'allait intéresser personne. Je pensais à ça et je me suis dit que je ne pouvais pas être méchant avec un gars aussi gentil !
On sent que vous êtes heureux de parler de votre carrière de chansonnier, peu connue du grand public...
C'est agréable de pouvoir dire autre chose que ce que les gens connaissent. Car si on redit en permanence les mêmes choses, on ne fait pas avancer le schmilblick, la vie s'arrête, on regarde dans le rétro et moi, je ne veux pas ça. Il faut toujours mettre un pied devant l'autre. On ne peut pas s'arrêter comme ça et être malheureux parce qu'hier, c'était mieux. Non, hier c'était hier et aujourd'hui, c'est autre chose, et demain, ce sera encore autre chose. C'est comme ça que la vie peut avancer. Si on ne veut pas faire ça, on va au devant d'emmerdes.
Ce n'est pas parler du Club Dorothée qui vous ennuie, c'est parler du passé...
C'est ça ! Moi, je suis très content d'avoit travaillé au Club Dorothée ! C'était des moment formidables. Il y avait des moments de lassitude, mais en général, je m'amusais bien. Je l'ai fait avec des gens gentils, j'y ai bien gagné ma vie, j'ai fait de beaux voyages, j'ai rencontré des gens que je n'aurais peut-être jamais pu rencontrer... Je ne peux donc pas me plaindre de ça. Ce dont je me plains, c'est le rapport professionnel. Quand des gens me reconnaissent dans la rue, je suis vachement content, ça me fait plaisir, mais lorsque ce sont des professionnels qui se mettent à me demander des nouvelles de machin ou de bidule, ça m'énerve... Ils ont qu'à les appeller ! Je ne suis pas uniquement là pour parler des choses passées, j'ai envie de parler de ce que je fais aujourd'hui, quitte à ce qu'on me dise que c'est pas bien. C'est le risque.
Ce que vous faites aujourd'hui, c'est de la chanson. Comment est née cette passion...
Quand j'avais 15/17 ans, j'aimais les gens que j'écoutais à la radio. Comme les jeunes d'aujourd'hui, c'est normal. A cet âge, j'avais envie de rencontrer les gens que j'aimais, même si je n'avais pas une notion très intelligente de leur talent, de la qualité de leur travail. Mais ça m'amusait, je trouvais ça intéressant. Moi, j'étais plutôt côté Brassens. Tout le monde écoutait ça autour de moi, alors c'était normal d'aller vers ce chemin-là.
Vous avez un parcours incroyable, assez difficile à résumer...
Je n'ai pas le sens de la construction. Y'en a qui ont 20 ans et qui disent que leur vie sera comme ça, puis comme ça. Moi, non, je m'en fous complètement. A tel point que je pense avoir fait des erreurs terribles dans ma vie. Quand André Roussin de l'Académie Française, ou Claude Rich, plusieurs années plus tard, me disent que je dois faire de la comédie, je n'y vais pas, je ne le fais pas ! Ils ne viennent pas me chercher, comment je peux aller vers eux ? Je ne sais pas quoi faire ! Ma vie, elle est comme ça. Qu'est-ce que je sais faire ? Trois accords de guitare, c'est bien, je suis content... Je ne cherche pas à faire carrière, je m'en fous. Si des sous rentrent, tant mieux. Sinon, je suis malheureux, mais je ne vais pas les chercher, je m'en fous.
On sent en tout cas, quelque soit le milieu dans lequel vous évoluez, une volonté de vous amuser sans cesse, une légereté...
Faut quand même rigoler, faut pas se laisser abattre, se laisser emmerder dans la misère. Sinon, on est foutus. Je crois que j'ai ça, que j'ai hérité de ça.
Que voudriez-vous que les gens retiennent en voyant le documentaire ?
Je voudrais qu'ils disent : "Corbier, on l'a découvert, on pensait pas qu'il était comme ça. C'est un brave type, c'est pas qu'un con ! Il est con aussi, mais c'est pas qu'un con !" Quand on te catalogue "Corbier, il a fait rire des gosses, donc c'est un crétin", moi ça me fait mal. Déjà, faire rire des gosses, c'est être un con ? C'est pas bien de dire ça... Donc, j'espère que les gens qui vont me regarder vont se pencher sur ce que je suis, ce que je raconte, ce que je dis. Qu'ils aimeront ça, qu'ils me feront coucou dans la rue en me disant : "On vous a vu dans le film, on savait pas tout ça !" C'est tout.
Propos recueillis à Paris le lundi 2 octobre 2017 à Paris
La bande-annonce de "Corbier, des traces dans la mémoire des masses" :