He is back... et en trois dimensions ! Alors qu'il fête cette année ses vingt-six ans d'existence, le Terminator 2 de James Cameron fait peau neuve et ressort en 3D dans nos salles. Galvanisé par le succès de Titanic, et tout en préparant les suites d'Avatar, le réalisateur a converti son chef-d'oeuvre de la SF, et c'est depuis son ranch qu'il nous appelle pour en parler.
AlloCiné : "Terminator 2" est le second film que vous convertissez en 3D après "Titanic". Pourquoi ce choix ? Est-ce parce que, comme George Lucas avec les "Star Wars", vous aviez le sentiment qu'il n'était pas tel que vous vouliez qu'il soit ?
James Cameron : Quand Terminator 2 est sorti, en 1991, nous n'aurions pas pu rêver d'une meilleure façon de faire le film. Nous avions bénéficié d'images de synthèse à la pointe de la technologie et avons pu le sortir, de façon limitée, en 70mm. C'était vraiment ce que nous pouvions avoir de mieux. Je me suis ensuite intéressé à la 3D, et c'est là toute l'ironie de l'histoire, grâce à l'attraction Terminator : Battle Across Time que nous avons créée pour les studios Universal. A tel point que je suis devenu un obsédé de la 3D et que j'ai travaillé à l'élaboration de caméras assez petites et légères pour pouvoir tourner un film en trois dimensions avec.
Une chose en amenant une autre, la renaissance de la 3D a eu lieu et nous a notamment conduits à Avatar. Je n'ai jamais été fan de la conversion pour les nouveaux films qui, pour moi, devaient être tournés en 3D native [avec des caméras spéciales, ndlr]. Mais je me suis quand même penché sur la possibilité de convertir Titanic, ce que nous avons fait avec un haut niveau de qualité, car je voulais que ce soit aussi bon que s'il avait été tourné avec des caméras 3D. On ne peut pas le faire sur un nouveau film, car il n'y a pas assez de temps en post-production. C'est plus facile avec un film plus ancien, car il n'y a pas de pression liée à la date de sortie.
Une bonne suite doit emmener le public là où il ne s'y attend pas
La ressortie en 3D de Titanic a été spectaculairement belle et j'ai le sentiment qu'elle a attiré une nouvelle génération de spectateurs qui n'avaient pas vu le film en salles. C'était pour moi un succès retentissant en même temps qu'une expérience commerciale, et nous nous sommes demandés s'il y avait un marché pour Terminator 2. Nous n'avons pas encore la réponse à cette question [l'interview a été réalisée le 22 juillet et le film est ressorti le 25 août aux Etats-Unis, ndlr], mais nous avons estimé qu'il fallait faire une conversion un peu moins coûteuse, pour 6 ou 7 millions de dollars au lieu de 18, sans sacrifier la qualité pour autant. Cela nous a paru faisable grâce à ce que nous avons appris en faisant Titanic.
Nous avons ainsi pu le faire de façon plus effiace, en sachant que ce film est moins long. Il dure une heure de moins [2h15 contre 3h14, ndlr]. Ceci étant dit, nous ne savons pas encore si l'entreprise fait sens sur le plan commercial, tant que nous n'avons pas remis ce film âgé de 26 ans sur le marché et vu si les gens viennent le voir. Si ça se trouve, les salles seront vides (rires)
Je doute que les salles soient vides car "Terminator 2" possède une qualité rare à Hollywood : c'est une meilleure suite que l'original. Quelle est votre approche des suites ? Que doit être une bonne suite ?
Il faut être surprenant. Emmener le public là où il ne s'y attend pas. Mais sans aller contre ce pour quoi il est venu. Il faut rester fidèles aux personnages et à la première histoire, tout en faisant une embardée que les spectateurs n'auront pas vue venir mais qui les satisfera. C'est un ensemble de critères délicats à rassembler. J'ai pu le faire avec Aliens, qui est la suite du classique réalisé par Ridley Scott, donc quelqu'un d'autre que moi-même.
Et j'ai aussi relevé ce défi avec Terminator 2, même si plusieurs idées me sont venues quand je faisais le premier, comme l'homme en métal liquide par exemple. C'était nouveau et différent pour le public, mais pas pour moi car j'avais mis en place ce monde et cet univers. Mais je me souviens du moment où j'ai donné le scénario à lire à Arnold, et donc la première fois qu'il a découvert qu'il était devenu le gentil au lieu de continuer à massacrer des gens : nous étions dans l'avion pour Cannes, où nous allions annoncer le début de la production, et il n'a pas aimé ce qu'il a lu.
Nous avons pris un petit-déjeuner ensemble le lendemain, toujours à Cannes, et il m'a dit qu'il était le Terminator, qu'il était censé tuer des gens et que ce n'était plus le cas ici. Je lui ai répondu que c'était vrai mais que les gens allaient adorer et qu'il fallait juste qu'il me fasse confiance. C'est ce qu'il a fait. Et les gens ont adoré.
L'idée était de faire d'Arnold Schwarzenegger le gentil, et il se dit que vous vouliez que Michael Biehn soit le T-1000...
Non, ça n'a jamais été le cas. Michael est brièvement revenu pour tourner une scène de rêve dans laquelle Kyle rend visite à Sarah, mais elle a été coupée au montage et vous pouvez seulement la voir sur les éditions spéciales en DVD et Blu-Ray. Mais il n'a jamais été question de le faire revenir sous les traits du T-1000. Je voulais trouver quelqu'un possédant son intensité pour jouer ce personnage et c'est lorsque j'ai rencontré Robert Patrick que j'ai su que j'avais trouvé l'homme qui me fallait.
Comment avez-vous découvert Robert Patrick ?
Au cours d'un casting normal, où vous voyez beaucoup d'acteurs. Il a passé plusieurs auditions et nous allions un peu plus loin à chaque fois. Robert comprenait vraiment le personnage, donc nous avons fait des exercices d'acteur au cours desquels il devait se pencher vers le sol et le toucher : il me donnait l'impression qu'il absorbait vraiment les molécules des objets qu'il touchait et apprenait comment les reproduire, comment devenir un caméléon et se transformer. C'est grâce à ces exercices non-scénarisés et sans le moindre dialogue, qu'il m'a convaincu qu'il était la bonne personne pour jouer ce personnage. Il est arrivé aux auditions en étant préparé et m'a monté le T-1000. Il m'a montré le gars que vous avez vu dans le film.
Robert Patrick : le T-1000 dans ses oeuvres
Vous parliez des idées pour "Terminator 2" que vous aviez eues en tournant le précédent. Mais j'ai aussi lu que vous aviez tourné la destruction de Cyberdyne dans le premier volet avant de la couper. Auriez-vous fait cette suite si vous aviez gardé la scène en question ?
Il m'aurait fallu raconter une histoire légèrement différente. Mais ce qui est intéressant c'est que dans cette scène, Sarah décidait de passer à l'attaque et de mener l'offensive contre Cyberdyne dès le premier film. Mais le budget était serré et la scène ne fonctionnait pas vraiment alors qu'on nous mettait la pression pour raccourcir le film - car ces gens pensent que pour améliorer un film il faut le raccourcir, ce qui est faux.
Comme c'était mon premier film [James Cameron a renié Piranha 2, dont le gros de la mise en scène a été assuré par le producteur, ndlr], je l'ai coupée mais j'ai laissé une porte ouverte pour toute cette intrigue dans Terminator 2. Le germe de cette idée était déjà là, mais Sarah ne passe pas à l'attaque avant ce tournant clé de la suite : ce moment où, après avoir rêvé d'un enfant qui brûle, elle plante un couteau dans une table et y grave "No Fate" ("Pas de futur"), pour indiquer qu'elle va faire quelque chose pour démontrer son libre arbitre et prouver que les choses n'ont pas à être telles qu'elles lui ont été racontées.
Cette scène est toujours aussi puissante aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a vingt-six ans. Nous vivons toujours dans un monde très dangereux et faisons face à plusieurs apocalypses potentielles si nous ne faisons pas attention : ça peut être une apocalypse nucléaire ou liée aux plantes, et il faudra des personnes pleines de volonté pour tenter d'y remédier et nous sauver. Nous et les enfants. C'est aussi pertinent aujourd'hui que ça ne l'était à l'époque.
Cela signifie-t-il que vous êtes inquiet qu'un Skynet voit le jour lorsque vous observez tous les progrès réalisés en matière d'intelligence artificielle ?
L'idée d'une intelligence artificielle consciente et supérieure ou équivalente à l'homme, c'était de la pure science-fiction lorsque j'ai fait Terminator en 1984. Aujourd'hui non. J'ai récemment participé à une enclave avec les meilleurs chercheurs sur l'intelligence artificielle du monde au Canada. Ils m'ont assuré, avec énormément de confiance, qu'une intelligence artificielle dotée de l'équivalent d'une conscience humaine va finir par émerger. Ils ne savent pas quand, mais ce sera sans doute au cours du siècle, entre 2030 et 2050 au plus tôt apparemment. Ce n'est plus de la science-fiction, mais de la science tout court et quelque chose de très profond, car nous avons créé une vie intelligente et consciente.
Maintenant, qu'est-ce que cela veut dire ? Je leur ai posé des questions en leur demandant notamment comment nous contrôlons une telle conscience, dans la mesure où celle-ci possède un libre arbitre. Ils m'ont répondu qu'il suffisait de lui donner des buts et qu'elle agirait en fonction de ceux-ci. Je leur ai donc précisé que nous avions un terme pour désigner une conscience humaine à qui l'on ordonne de faire quelque chose sans qu'elle n'ait le choix : l'esclavage. Là ils n'ont pas eu une très bonne réponse. Mais l'un des moments les plus profonds de notre Histoire future résidera dans notre façon de gérer cette intelligence artificielle solide, lorsqu'elle deviendra notre égal.
Si vous n'avez rien à faire des personnages, la meilleure scène d'action du monde vous laissera indifférent
Qu'avez-vous fait et ressenti le 29 août 1997, jour du Jugement Dernier dans le film ?
Je ne me souviens pas, et il se peut que j'aie passé la journée sans même me rendre compte de la date (rires) Mais on peut se dire, s'il fallait inclure l'intrigue de Terminator 2 dans notre chronologie, que Sarah Connor a réussi car le monde ne s'est pas embrasé le 29 août. Nous allons d'ailleurs faire d'autres films Terminator, et ils parleront du fait que la bataille a peut-être été repoussée mais pas remportée. Elle ne peut l'être de façon franche tant qu'un arrangement n'a pas été trouvé entre les humains et l'intelligence artificielle.
Cela signifie donc que des nouveaux épisodes sont officiellement en chantier ?
Nous ne les avons pas encore annoncés mais nous nous demandons actuellement si nous allons en faire et, si oui, à quoi ils ressembleront.
Vous parliez d'une Sarah Connor plus offensive : pensez-vous que ce personnage a eu une influence sur le "girl power" que l'on voit de plus en plus au cinéma et dans les séries, qu'il s'agisse de "Doctor Who" emmenée par un femme, de "Wonder Woman" ou de l'héroïne des nouveaux "Star Wars" ?
Absolument, et je pense que Sarah Connor allait bien au-delà de Wonder Woman. Hollywood fonctionne par cycles mais veut nous faire croire que les femmes sont valorisées par Wonder Woman ? Mais elle est super sexy ! C'est lorsque vous séparez la sexualité et la désirabilité des compétences que vous commencez vraiment à valoriser les femmes.
Sarah Connor n'était pas un personnage sexuel. Elle était asexuelle. Mais forte, intelligente et dotée d'une volonté incroyable. C'était un personnage riche, plein de failles et à la limite de la folie, et à la recherche de sa propre humanité, ce qui a donné naissance à un vrai arc narratif. Je dirais donc qu'elle va bien au-delà de ce qui a été fait depuis Terminator 2. Et assurément au-delà de Wonder Woman, que j'ai pourtant aimé. Mais l'impression d'ensemble est minorée par le fait qu'une femme doit encore être belle, avoir des gros seins et un joli visage pour être puissante. C'est pour moi une vision ancienne du pouvoir féminin même si, je le répète, j'ai aimé Wonder Woman. Mais je pense qu'il constitue la moitié d'un pas en avant.
Il y a actuellement un paradoxe à Hollywood : la technologie est nettement plus avancée qu'en 1991 mais les effets spéciaux sont moins impressionnants que lorsque vous aviez moins de budget. Et c'était notamment le cas pour les suites de "Terminator 2". Qu'est-ce qui ne fonctionne pas selon vous ?
Il est intéressant de revoir Terminator 2 aujourd'hui, après avoir vu des films tels que les Transformers, qui cherchent à vous impressionner avec des tonnes d'effets spéciaux. Je ne pense pas que ce soient de meilleurs films pour autant : on peut admirer les effets spéciaux, mais point trop n'en faut. C'est comme si vous mangiez un gateau entier au lieu d'en prendre une part, ça finit par vous rester sur l'estomac.
Il y a quarante-deux plans en images de synthèse dans Terminator 2, et bon nombre qui ont été réalisés grâce à des effets pratiques et qui donnent l'impression d'être des images de synthèse. Et il est impossible, en théorie, de les dinstinguer à l'oeil nu. Mais revenons aux quarante-deux plans en images de synthèse du film, qui ont placé la barre très haut dans ce domaine à l'époque. Aujourd'hui, n'importe quel blockbuster en compte 1000, 1200 ou 1500, mais ça n'améliore pas l'histoire pour autant. Surtout que, bien souvent, ils se mettent en travers du temps consacré à la construction des personnages, en terme d'implication émotionnelle. Je les trouve aujourd'hui rébarbatifs et ils me laissent indifférent.
Nous avions quelque chose comme 2500 plans en images de synthèse dans Avatar, mais la plupart était utilisé pour aider à développer les personnages, dans des scènes de dialogues. Il y avait des effets spéciaux car les personnages étaient en images de synthèse. Les règles du jeu sont différentes, mais tout repose sur l'écart entre la proportion de temps d'écran consacré aux personnages et aux émotions, et celle dévolue à l'action. Nous avons dérivé de la relation idéale. Je pense que chaque scène d'action doit être assurée par X scènes sur les personnages pour vous permettre de vous soucier de ceux qui seront ensuite dans l'action. Si vous n'en avez rien à faire, la meilleure scène d'action du monde vous laissera indifférent.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 22 juillet 2017
Connaissez-vous les gaffes de la saga "Terminator" ?