AlloCiné : Voir Tunnel, c’est inévitablement penser aussi à des films comme Daylight, 127 Heures ou Buried. Vous ont-ils influencé ?
Kim Seong-hun : Naturellement, j’ai vu les trois ! Daylight, ça ne me rajeunit pas. Je l’avais vu à sa sortie. Buried me rappelle plutôt la série 24 Heures chrono pour le côté "en temps réel", ce qui n’est pas le cas de mon film. D’ailleurs, dans la saison 7, il y a un épisode avec un personnage qui se fait enterrer vivant et qui finit par être sauvé. J’ai puisé aussi un peu là-dedans pour Tunnel. Et bien sûr, 127 Heures, où on retrouve l’idée de rationner les vivres.
La scène du tunnel qui s’écroule sur la voiture du héros, au début du film, est bluffante. Techniquement, comment l’avez-vous tournée ?
Cette scène, je la voulais la moins découpée possible. On a mis l’acteur Ha Jung-woo dans une voiture et on l’a fait conduire dans le tunnel. Grâce à de véritables éléments de décor, on a pu donner cette impression de plafond qui s'effondre sur lui. On a créé tout ce qu’on a pu matériellement. Bien sûr, tout ce qui manquait a, par la suite, été inclus dans le film numériquement, en post-production. Pour la mise en scène, je voulais vraiment mettre en valeur l’angoisse et la peur du personnage principal dans sa voiture. Si on regarde bien, le découpage est conçu pour suivre le regard du héros, en point de vue subjectif. Ha Jung-woo tourne la tête vers l’arrière du véhicule? La caméra fait de même. Il regarde vers le haut pour voir si des morceaux de plafond lui tombent dessus? La caméra regarde ensuite à travers le pare-brise. C’est comme ça que j’ai choisi d’accentuer la terreur éprouvée par le personnage principal.
Le film fonctionne sur deux registres qui se répondent en parallèle : ce qui se passe à l’intérieur du tunnel qui s’est écroulé et ce qui se passe à l’extérieur. A l’intérieur, c’est un survival. Mais à l’extérieur, vous critiquez la société coréenne. Comment avez-vous travaillé ces deux points de vue ?
C’est ce qui m’a intéressé tout de suite et c’est ce que raconte mon film dès son introduction. On ne se limite pas à un personnage pris au piège qui va essayer de s’en sortir. Ce n’est pas Robinson Crusoé. C’est autant l’histoire d’un homme qui veut survivre que l’histoire des gens qui le regardent se débattre. Mais le plus important pour moi, ce n’était pas non plus de suivre un ou plusieurs personnages. Ce que je voulais filmer, c’est que dans toute société – en Corée ou ailleurs – on s'organise pour essayer de sauver des vies. Là, on découvre que le dispositif mis en place rate son but. Parce que ceux qui peuvent faire quelque chose pour faire avancer la situation privilégient leurs enjeux politiques ou médiatiques. Et au lieu de venir au secours d’une personne en danger, ils sont déjà en train de calculer comment sécuriser leur propre situation. C’est ce que je voulais montrer.
Il est classique de dire du cinéma sud-coréen qu’il est plus violent que les autres. On s’y bat à coups de marteaux, de couteaux… Chez vous, moins, même dans Hard Day qui était une chasse à l’homme. Rejetez-vous cette violence ?
Cette violence est très personnelle à des cinéastes comme Bong Joon-ho, Park Chan-wook ou Na Hong-jin. Eviter une violence à outrance, c’est mon style à moi. Mais c’est une question qu’on me pose systématiquement à l’étranger : pourquoi le cinéma sud-coréen est-il aussi utraviolent ? Je réponds toujours qu’on fait aussi des films très doux, mais que vos pays ne les achètent pas !
Vos deux acteurs principaux sont des superstars sud-coréennes. Comment leur avez-vous proposé le projet et était-ce plus exigeant de travailler avec eux ?
Ha Jung-woo, j’ai pensé à lui dès l’écriture du scénario. Je me suis dit que le rôle était fait pour lui. Ça lui correspondait bien parce que mon héros se retrouve dans une situation catastrophique, dans sa voiture, sous les décombres d’un tunnel. Pas de lumière, peu d’espoir. Ha Jung-woo est un jovial, dans la vie. Il plaisante tout le temps, il est très enfantin. Et ce contraste, justement, m’intéressait : comment réagirait une telle personne dans le noir, dans un espace très confiné ? En fait, la lumière, c’est lui. C’est son caractère. Doona Bae, elle, n’a aucun mal à interpréter le rôle d’une personne qui s’inquiète seule, en déployant une incroyable retenue dans ses sentiments. Son jeu n’est jamais outrancier. Elle ne montre ni sa tristesse, ni son angoisse, ni sa peur. Elle a toujours eu ce type d’interprétation que j’apprécie particulièrement. Dans Tunnel, elle a même sublimé cette méthode. La collaboration a été formidable parce que tous les deux m’ont dit oui sans hésiter et nous n’avons pas connu la moindre difficulté sur le tournage.
S’agit-il d’un film à gros budget et avez-vous eu du mal à le financer ?
Le budget tourne autour de neuf millions de dollars américains. Un sacré budget pour le cinéma coréen. Le succès de Hard Day en Corée du Sud et un peu partout dans le monde m’a beaucoup aidé. Mais ce personnage seul enfermé dans un tunnel, pour les investisseurs, c’était un pari.
Justement : quel est votre point de vue sur l’industrie cinématographique mondiale contemporaine ? Un pays vous intéresserait-il plus que les autres ?
Avec tout ce travail, je n’ai pas vraiment le temps de regarder ce qui se fait partout dans le monde. (Rires) Mais l’impression que j’ai, c’est que dans le monde entier, les budgets sont de plus en plus gros et les talents de plus en plus nombreux. Ce qui est dommage, c’est que cette tendance à sur-financer les films nous fait perdre une forme de diversité au cinéma. La confrontation existera toujours entre ceux qui ont les moyens d'emprunter une voie très sûre avec le succès au bout du chemin, et ceux qui optent pour une démarche créative. La créativité s’oppose toujours à la valeur sûre, par nature. La France, c’est l’exception. La variété, chez vous, reste encore très forte. Comme beaucoup de réalisateurs coréens, j’ai été moi aussi influencé par un grand nombre de vos cinéastes, comme René Clément ou Jean-Pierre Melville. Encore aujourd’hui, quand je regarde Le Samouraï, je suis excité comme un gosse. Mon espoir réside en ce moment en certains cinéastes mexicains qui ont migré à Hollywood. Quand je vois ce qu’ils arrivent à faire, je me dis qu’il y a une possible réconciliation entre cette dictature du gros budget et leur créativité.
Propos recueillis par Gauthier Jurgensen à Paris le 17 mars 2017
La bande annonce de Tunnel de Kim Seong-hun