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    Corniche Kennedy : Dominique Cabrera exhorte à "laisser passer la jeunesse !"
    Vincent Garnier
    Vincent Garnier
    -Rédacteur en chef
    Cinéphile omnivore, Vincent « Michel » Garnier se nourrit depuis de longues années de tous les cinémas, sans distinction de genres ou de styles. Aux côtés de Yoann « Michel » Sardet, il supervise la Rédac d’AlloCiné et traque les Faux Raccords.

    En adaptant "Corniche Kennedy" de Maylis de Kerangal, Dominique Cabrera plonge avec la jeunesse marseillaise pour une ode à la liberté. Rencontre avec une réalisatrice à la croisée des mondes.

    Jour2fête

    Comment avez-vous découvert le roman de Maylis de Kerangal ?

    Dominique Cabrera : Je voulais faire un film à Marseille, je lisais des romans et Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal m’a captivée, il est lyrique, poétique et documentaire, je voyais le film. Les droits n’étaient pas libres mais un jour de l’année 2013, j’ai appris par hasard qu’ils l’étaient devenus, ma productrice et moi, nous avons sauté sur l’occasion. Il y a dans le roman de la grâce, de la violence et de la délicatesse, des situations, des évocations, un récit qui ont été source constante d’inspiration. J’aimais beaucoup l’idée d’un film sur la corniche, sur le littoral et je l’ai radicalisée en localisant le film quasi entièrement là, la corniche entre la terre et la mer, entre la pulsion et la loi, entre l’adolescence et l’âge adulte. J’aimais aussi beaucoup l’idée de filmer des jeunes des quartiers populaires sur fond de ciel et de mer, dans la glorieuse lumière de l’été qui les transfigurait, qui ouvrait le film sur la Méditerranée, l’Afrique du Nord, la Grèce. Ils sont ainsi à la fois des jeunes marseillais ordinaires et des héros grecs. J’aimais enfin l’idée de la peur, du suspens, du danger. L’ombre de la police et de la mafia plane. On a peur pour eux parce qu’ils plongent de haut mais aussi parce que la vie à Marseille les met dans des situations de risques moraux et physiques graves. Lesquels sont les plus graves, c’est une des questions du film.

    Parlons-nous du casting. Comment avez-vous trouvé ces adolescents criants de vérité ?

    Je cherchais des jeunes marseillais plongeurs pour m’aider à écrire les dialogues dans la langue marseillaise si riche, amusante et inventive, magnifique que j’entendais à chaque pas. J’ai rencontré Kamel (Kadri) et Alain (Demaria) un jour sur la corniche là où commence le film. Avec leurs copains, ils m’ont aidée à écrire les dialogues, à améliorer les situations et de fil en aiguille, l’idée pour eux de jouer dans le film et pour moi de les enrôler a fait son chemin. Il m’est apparu qu’il valait mieux emmener vers le jeu ces jeunes marseillais plutôt qu’emmener des acteurs vers le parler marseillais et populaire. Ils savaient ce qu’il y avait à raconter. Ils étaient en fait les vrais experts du sujet et des situations. Il y a eu beaucoup d’étapes, d’entrainements, d’échanges, de détours. Ils se sont épanouis chaque jour davantage avec des moments de découragement bien sur car il est difficile de se laisser voir dans sa fragilité, dans son intimité, dans ses sentiments surtout peut-être quand on est un garçon mais leur trajectoire est allée vers l’ouverture et le don. Ils m’ont aidée à adapter le roman et j’ai adapté le film à leurs personnalités et aux histoires qu’ils m’ont raconté. Leur jeunesse, leur intelligence, leur vitalité irriguent le film.

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    Comme dans "L' Autre côté de la mer", vous vous intéressez à la frontière. Mais cette fois, la frontière est sociale et culturelle. A ce titre, le choix de Lola Creton est particulièrement judicieux. Elle s'invite au milieu de non-professionnels avec son image cinéma d'auteur. Pourriez-vous nous expliquer le choix de cette comédienne découverte chez Mia Hansen-Love et Assayas ?

    Cela s’est passé très simplement. Je cherchais qui pourrait jouer Suzanne la jeune fille des beaux quartiers fascinée par la liberté des jeunes plongeurs. Un jour, je me suis souvenue de Lola Creton dans « Un amour de jeunesse » de Mia Hansen-Love que j’avais beaucoup aimé. Il m’a semblé que la différence d’expérience professionnelle serait comme un équivalent de la différence sociale. Lola Creton a aimé le scénario et elle est venue faire des essais avec les jeunes plongeurs. On a alors senti quel trio serait le plus beau, le plus émouvant, les corps et les personnalités se sont accordées, leur jeunesse et leur grâce se sont répondus et on s’est lancés. Lola Creton est très mûre parce qu’elle joue depuis toujours mais elle est aussi jeune que mes héros, comme eux, elle est au seuil de la vie adulte. Ils se sont entendus à merveille.

    Lorsqu'on fait connaissance avec ce groupe d'amis, on est dans la position de Lola Creton, qui est un peu malmenée. Puis, à mesure que le film avance, l'hostilité se mue en douceur. C'est très subtil et passe par une direction d'acteurs précise. Pourriez-vous nous en dire plus sur vos méthodes ?

    C’est la grande question. La grâce vient de l’intérieur. Comment inspirer cette grâce ? On n’est jamais certain qu’elle nous visite quelles que soient les méthodes et les désirs. On œuvre à créer des conditions d’intimité, de confiance, de sincérité, parfois on y parvient, d’autres fois non ou partiellement, c’est un travail de chaque heure dans ces jours intenses de préparation et de tournage où les esprits sont ouverts les uns aux autres.

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    On est surpris par les sauts et les plongeons. Comme vous êtes-vous prémunie de tout accident ?

    Mes jeunes héros étaient des experts plongeurs mais nous étions hantés par la peur de l’accident car il ne faut pas oublier qu’il est vraiment dangereux de plonger ou de sauter de ces hauteurs. Nous avons multiplié les préparations et les précautions, cela a été du relevé des profondeurs à l’entrainement des jeunes par le champion de haut vol de Cassis, Lionel Franc et bien sûr à la présence de médecins et d’hommes grenouilles prêts à intervenir. L’audace des jeunes héros était tout de même irremplaçable et n’a pas manqué. Ils sautent pour de vrai, ce n’est pas rien, le film a capté ce courage et leur excellence, cela fait partie de sa grâce.

    Quelle signification donnez-vous à la fin de Corniche Kennedy ?

    Laissez passer la jeunesse ! Ouvrez la cage aux oiseaux ! Regardez-les s’envoler, c’est beau ! Chacun dans le film est amené à faire un acte décisif qui transforme la suite de l’histoire. Ce sont nos actes qui nous définissent. Aissa Maiga, qui joue la capitaine de police qui les surveille et les poursuit, a le mot de la fin et il est surprenant. A la fin du film, les jeunes et les adultes sont entrainés dans une crise qui les pousse à se dépasser et au fond à être généreux. Mais je ne veux pas dévoiler le dénouement. Venez voir le film !

    La bande-annonce de Corniche Kennedy :

     

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