Le premier long métrage français Heis (Chroniques), réalisé par Anaïs Volpé, était en compétition au FIFIB qui vient de s'achever : il concourait dans la nouvelle section créée par le festival dédiée aux films sans distributeur, et a décroché le prix. Déjà primé et remarqué cet été au LA Film Festival, nous avons voulu en savoir plus sur les origines de ce projet D.I.Y. (pour Do It Yourself), autrement dit autoproduit. Un film particulièrement maitrisé, au sujet à la fois personnel et universel, sur la génération X, et dont l'"urgence" raisonne particulièrement avec l'époque. Autre point d'intérêt : il s'agit d'un projet crossmédia, se déclinant sur plusieurs supports. Rencontre avec l'équipe du film.
AlloCiné : Comment présenteriez-vous ce film ?
Anaïs Volpé : Je dirais que c’est un cinéma d’urgence. C’était un besoin plus qu’une envie. Un besoin viscéral de pouvoir dire les choses maintenant et pas après. J’avais cette sensation qui si on attendait que tout se mette en place, que ça prendrait peut être énormément de temps. J’ai eu envie de mettre les mains dans le cambouis tout de suite, de le faire avec les moyens du bord.
Le film prend un peu la forme d'un journal de bord. Est-ce un film auto-biographique ?
Anaïs Volpé : Je dirais que le squelette du film, la trame, est une fiction. Ce n’est pas ce qui m’est arrivé personnellement. Mais ça reste ma vision de la vie, mes coups de gueule, ma sensibilité. Ce sont des acteurs qui ont joué, ce n’est pas ma vraie famille.
Pouvez-vous m'expliquer le titre, Heis ?
Anaïs Volpé : Heis, en grec, ça veut dire un, ne faire qu’un, dans le sens de l’épanouissement personnel, pas dans le sens de l’individualisme. Comment chaque personne essaye de tendre vers ce chiffre un, en dépit de toutes les difficultés qu’il y a : la rupture, la famille, la traversée du désert personnel, le manque d’argent, de stabilité, qui sont des bâtons dans les roues pour accéder à ce chiffre un et donc l’épanouissement suprême. C’est rare d’être dans le parfait équilibre entre l’amour, la famille, l’argent en même temps.
Heis (Chroniques) n'est pas qu'un long métrage. Il se décline aussi en série et en photos...
Anaïs Volpé : C’est un projet crossmédia. C’est à la fois un long métrage, une série de 5 épisodes de 11 minutes chacun, et une installation artistique. A la base, je ne pensais pas du tout que ce serait un projet cross média. Je pensais que ça n'allait être qu’une série. J’étais dans une phase de recherche. Ca s’est affiné, j’ai trouvé cette forme, 5 épisodes de 11 minutes. Au moment où j’ai terminé la série, j’ai voulu utiliser cette matière pour en faire finalement un long métrage. Mais les deux étaient très complémentaires. Et à ce moment là, j’avais l’occasion d’être exposée dans une galerie d’art parce que je fais de la photo en free lance. J’ai alors eu envie de pousser ce projet encore un peu plus loin et créer une installation artistique qui viendrait compléter la série et le long métrage. Il y a eu un gros travail de narration pour que les projets soient à la fois complémentaires et indépendants.
Pouvez-vous me parler un peu de votre parcours ? Etes-vous plutôt attiré par le théâtre, le cinéma ?
Alexandre Desane, comédien : A la base moi je fais des sites web en free lance. Il y a 5 ans j’ai commencé à prendre des cours de théâtre. Je ne voulais pas m’enfermer devant mon ordi. Les cours de théâtre m’ont plu et j’ai continué. Pour mon premier court métrage, j’ai rencontré Anaïs sur le tournage. Elle était là en tant que comédienne. Je lui ai demandé des conseils sur les écoles de cinéma que je pouvais faire. J’ai continué, j’ai fait quelques castings, quelques courts et un long métrage, Run de Philippe Lacote. J’aime beaucoup les projets indépendants.
Emilia Derou Bernal, comédienne : Quand on me demande si je préfère faire du théâtre ou du cinéma, je ne fais pas vraiment de différence sur le support. Ce qui est important est si la personne avec qui je collabore est exigeante dans sa démarche et hyper intègre. J’ai besoin de cette combinaison.
Matthieu Longatte, comédien : Au tout début, je faisais de l’improvisation théâtrale à Trappes, pendant 5 ans. J’avais un peu lâché l’art et j’ai été rattrapé par quelqu’un qui s’appelle Djinn Carrénard pour Donoma. Maintenant j’insulte les politiques depuis mon canapé sur Twitter. C’est une chronique d’actualité qui s’appelle Le Bonjour Tristesse. Je vais faire un seul en scène en janvier normalement. Je vais faire un album aussi. Je produis et j’écris une série aussi. Je vais faire un peu tout et n’importe quoi. J’ai pris goût à l’indépendance.
Heis était en compétition au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux dans la nouvelle section Contrebandes, dédiée aux films autoproduits. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez concrétisé votre projet ?
Anaïs Volpé : A la base, j’ai reçu une bourse d’écriture de la part de l’institut français de Pékin il y a 3 ans. J’ai été invitée par l’ambassade de France pour présenter mon premier court métrage, Blast, dans lequel Malthieu Longatte et Alexandre Desane jouent. Une fois sur place, on m’a aidée, j’ai reçu une bourse et on m’a prêté un peu de matériel pour que je puisse commencer à filmer et écrire le prochain projet qui allait être Heis. Je travaillais à côté et j’ai réalisé que c’était possible d’autofinancer le projet. Comme ça parle d’une jeunesse qui bricole, je trouvais ça intéressant de regarder le sujet en face et moi-même presque galérer à le faire. Que ce soit plus honnête, plus bricolé. Je trouvais ça intéressant de m’inscrire dans ce schéma là aussi.
C’est bien qu’il y ait des compétitions comme Contrebandes, qui se positionnent sur ce sujet. On sent qu’il commence à y avoir une espèce d’ouverture vers ce genre de films autoproduits. Ce serait bien que le CNC envisage de sélectionner ce genre de films. Il existe des dérogations, mais que cela se démocratise un peu plus.
Emilia Derou Bernal : Là où c’est très contraignant en France, c’est simplement que comme Anaïs l’a expliqué, en autoproduction totale, il y a des espèces de règles, et on a eu le problème avec Donoma, qui font que ces films n’ont pas une légalité, car les gens n’ont pas été payés dans les normes. Le fameux agrément du CNC n’est pas donné, et cet agrément, malheureusement, fait que les distributeurs qu’ils aiment le film ou non, ne peuvent pas le distribuer. Le film d’Anaïs existe et il pourrait ne pas se retrouver dans les salles parce qu’il n’a pas été fait dans les règles. Le système est louable, mais il pourrait y avoir certaines dérogations.
En savoir plus :
- Le site officiel de Heis
- La page Facebook du film
Le teaser de Heis (Chroniques) :
_heis (chroniques) - teaser from Anaïs Volpé on Vimeo.
Propos recueillis au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux 2016