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    "Spotlight" : quand les journalistes prennent les armes au cinéma... Pour combien de temps ?

    Dans les traces de son illustre prédécesseur "Les Hommes du Président", "Spotlight" met également sur le devant de la scène de véritables journalistes, presque missionnaires, qui ont changé le cours des choses...

    Warner Bros. France

    Citizen Kane, La Déchirure, Full Metal Jacket, Network, Millenium, Night Call… De tout temps, la figure du journaliste a passionné les cinéastes. Son aura, ses aspirations, ses pires dérives, ses doutes mais aussi ses combats n’ont cessé de parcourir le cinéma mondial. Au point qu'il est presqu'impossible de compter précisément le nombre de films qui se sont intéressés de près ou de loin à la profession. 

    Pour autant, les films ayant mis la lumière sur de véritables journalistes sont beaucoup plus rares. Lorsqu’ils émergent, c’est souvent pour rappeler un épisode ou une croisade célèbre mais, surtout, pour montrer l’impact véritable que les journalistes peuvent parfois avoir sur la révélation d’une affaire ou d’une vérité d'utilité publique (voire d’un mensonge comme celui qui sera prochainement distillé dans Truth). Le fameux quatrième pouvoir.

    Si Frost/Nixon a offert au public les coulisses de l’interview décisive entre l’ex-Président Nixon et le journaliste David Frost, Zodiac a, entre autres, rappelé l'enquête presque tragique entamée par le journaliste Paul Avery pour traquer le tueur du zodiaque et Good Night and Good Luck a permis de nous replonger dans les années 50 à l'époque où le présentateur du journal télévisé de CBS, Edward R. Murrow, figure mythique aux Etats-Unis, et son équipe parvinrent à discréditer le Sénateur Joseph McCarthy, initiateur de la fameuse chasse aux sorcières anti communistes.

    Un film comme Révélations a mis en lumière la collaboration entre le célèbre journaliste de 60 Minutes, Lowell Bergman et Jeffrey Wigand, ancien responsable de la recherche pour un cigarettier, qui ont révélé ensemble les terribles pratiques et les mensonges éhontés des industriels du tabac. En France, L’enquête est revenue sur l’investigation de Denis Robert qui a dévoilé l’affaire Clearstream au monde entier...

    Metropolitan FilmExport / Gaumont Buena Vista International (GBVI)

    Mais, un film comme Les Hommes du Président, l’exemple le plus puissant et le plus précurseur en la matière, a poussé le quatrième pouvoir vers les plus hautes sphères en portant à l’écran le livre de Bob Woodward et Carl Bernstein. Un livre et un film qui retracent l’enquête de ces deux reporters du Washington Post qui, dans les années 70, ont fait éclater le scandale des écoutes téléphoniques du Watergate et qui ont abouti à la première démission d’un Président en exercice. A ce jour, cette enquête remarquable et fondatrice reste un classique, un pamphlet qui montre à quel point il est essentiel d’avoir une presse libre, indépendante et dotée de moyens.

    Avec la sortie cette semaine de Spotlight, c’est un nouveau véritable scandale, moins planétaire mais tout aussi terrible, qui se découvre en salles. En 2001, une équipe de journalistes d'investigation du Boston Globe, l'équipe Spotlight, s'attaque ainsi à des suspicions d'abus sexuels sur mineurs pratiqués au sein de l'Eglise catholique. Durant 12 mois, ces journalistes enquêteront au coeur de l'Institution et même plus loin pour livrer à la ville de Boston et aux Américains l'un des plus importants scandales de prêtres pédophiles du pays, soigneusement dissimulé des années durant par les plus hautes instances. Une enquête qui sera récompensée en 2003 par le prestigieux Prix Pulitzer du service public.

    Pour donner vie à l'écran à cette véritable histoire et à cette minutieuse enquête, le réalisateur Tom McCarthy a choisi l'authenticité et s'est gardé de tout sensationnalisme afin de rester au plus près du travail quotidien et fastidieux de ces journalistes. Il a également tenu à ce que les véritables journalistes ayant officié à l'époque sur l'enquête du Boston Globe s'impliquent dans le film et rencontrent les acteurs qui allaient les incarner...

    "Spotlight" : Qui sont les vrais journalistes du film ?
    "J'espère que de l’argent sera redistillé dans les reportages de longue haleine"

    Nommé aux Oscars et plébiscité par la presse, Spotlight rejoint donc le Panthéon des rares films ayant retracé une épopée journalistique d'importance, de celles qui exposent des vérités essentielles aux citoyens. Des films qui établissent l'importance d'une vraie presse dans chaque pays et qui, dans une industrie bouleversée par de multiples mutations, posent forcément la question : Est-ce encore possible aujourd'hui ? Est-ce que ce genre d'enquêtes de pointe peuvent continuer à voir le jour au cinéma si dans la vie, elles ne sont plus permises ?

    Pour le journaliste et "data geek" revendiqué, Matt Carroll, incarné dans le film par Brian D'Arcy James, les médias continueront à avoir ce genre d'impact mais seulement à certaines conditions, comme il nous l'expliquait lors de la promotion du film : "Le problème, c’est qu’il y a moins de reportages d’investigation car moins de ressources sont accordées aux rédactions. J’espère que ça changera un peu, que les gens se rendront compte que le journalisme d’investigation a vraiment de l’importance, que de l’argent sera redistillé dans l’écriture de qualité, dans de longs articles et reportages réalisés sur la durée. J’adorerais que ça arrive car c’est là que la presse a un réel impact : quand elle peut soulever des pierres et chercher ce qu’il y a en dessous."

    Ce serait irresponsable de notre part d’abdiquer sur cette mission"

    Marty Baron, vétéran du métier qui était à l'époque de l'enquête le nouveau rédacteur en chef du Boston Globe, va encore plus loin dans le débat. Pour lui, les difficultés financières rencontrées par la presse et les choix - opposant mission à rentabilité - que cette dernière a faits et continue de faire pour continuer à vivre ont un impact plutôt désastreux :

    "On peut se rendre compte que dans de nombreux Etats [aux Etats-Unis], il n’y a presque plus personne qui couvre la législature de l’Etat et que, dans beaucoup de communautés, très peu de journalistes couvrent encore l'[institution de la] police, le bureau du Maire, l’éducation, le conseil municipal... C’est inquiétant. On ne peut pas juste vivre dans un monde où tout passe par le web et où l’on ne cherche que le clic. Je réalise bien que c’est un monde nouveau, je l’accepte, je sais qu’on doit réussir dans ce nouveau monde, qu’on doit s’adapter. Mais, on doit aussi se rappeler qu’il y a un aspect de notre mission qui nécessite d’être poursuivi et que ce serait irresponsable de notre part d’abdiquer sur cette mission, de l’abandonner. Ce serait la chose la plus irresponsable que l’on puisse faire."

    Tweeter n'est pas l'ami du journalisme d'investigation"

    De son côté, Ben Bradlee, que les spectateurs découvriront à l'écran sous les traits de John Slattery, estime que si l'époque a bien changé, le goût du public aussi. "C’est triste mais vrai : peut-être que les gens n’ont plus l’appétit pour lire de longs articles d’investigation qui sont plus difficiles à appréhender. Il semble qu’ils trouvent l’Entertainment, les articles de divertissement, plus intéressants", déclare-t-il avant d'enchaîner sur le rôle grandissant des réseaux sociaux en matière d'actualité : "Tweeter n'est pas l'ami du journalisme d'investigation. Il se passe tellement de choses aujourd'hui avecTwitter et les gens en sont venus à attendre que leurs actus tiennent en une toute petite ligne, en une brève citation. Ils sont donc peut-être moins enclins à lire de longs papiers". 

    Très impliqués dans le film, les acteurs ont également pu réfléchir à ces questions délicates et au rôle qu'une presse en pleine mutation peut encore tenir - et doit encore tenir - malgré les réductions budgétaires et l'invasion du numérique gratuit dans le quotidien de tous. Liev Schreiber nous confiait d'ailleurs lire le journal au moins deux ou trois fois par semaine, tout en admettant que c'était difficile avec "deux enfants et une pluie incessante de données digitales" qui nous tombe dessus.

    Pour l'acteur, une réponse possible serait d'embrasser ce nouveau monde tout en n'oubliant jamais de continuer à soutenir "l'ancien" et, donc, le journalisme d'investigation. Plus qu'une solution, il l'envisage même comme un choix décisif pour l'avenir, le manque de ressources appliquées à certains secteurs de l'information auparavant essentiels, comme l'actualité du Conseil municipal ou de la Police, représentant une "partie du problème, une partie de la raison pour laquelle certaines personnes sont aussi mal informées et voient certains candidats comme des leaders possibles en ce moment même dans notre campagne présidentielle. Je trouve cela inquiétant. Nous avons besoin de nous rappeler à quel point la ressource journalistique est importante."

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