Voir Keanu Reeves jouer les victimes et souffrir dans Knock Knock peut surprendre au premier abord. Mais c'est justement ce qui a plu à l'acteur, connu pour ses rôles de héros dans Matrix, Speed ou le récent John Wick : d'abord surpris à l'idée qu'Eli Roth vienne vers lui, il s'est ensuite pris au jeu avec beaucoup de plaisir, comme il nous l'a expliqué lors de son passage à Deauville.
Dans le même temps, le réalisateur est revenu avec nous sur ce thriller, le cinquième long métrage qu'il met en scène en l'espace de 13 ans, et dans lequel il dirige également sa compagne Lorenza Izzo.
AlloCiné : Knock Knock entre davantage dans la catégorie "thriller" que "horreur", ce qui est un changement pour vous.
Eli Roth : Oui. Je suis d'ailleurs content que Deauville projette Green Inferno [sortie en e-cinema le 16 octobre, ndlr] et Knock Knock, car ils permettent de voir l'étendue de mon travail en tant que réalisateur, et celui de Lorenza Izzo, qui délivre des performances incroyables en anglais, qui n'est pas sa langue maternelle contrairement à l'espagnol. Et Keanu Reeves est un acteur incroyable que l'on est habitués à voir sauver le monde, en star de films d'action. C'était amusant de le plonger dans ces extrêmes.
C'est la première fois qu'il joue un père, et Knock Knock parle notamment de la façon dont les gens se comportent lorsqu'ils ne sont pas heureux dans une relation, et des forces obscures qu'ils laissent entrer dans leur vie. On l'a d'ailleurs vu récemment avec le piratage d'Ashley Madison [site de rencontres extraconjugales, ndlr], avec 37 millions de personnes surprises à être infidèles. Au début, Keanu paraît heureux avec les photos de ses enfants et la Fête des Pères, mais sa femme ne couche plus avec lui. Elle domine sa vie et toute la maison est submergée par ses oeuvres d'art.
Puis sa famille part et ces filles se pointent, et elles lui disent qu'il est cool, qu'elles aiment ses vinyls et ses cheveux longs, et qu'elles sont convaincues que c'est une bête de sexe. Elles posent ensuite des questions sur le mariage et ne font que l'amener à prendre conscience de ses qualités jusqu'à ce que les choses se gâtent lorsqu'il essaye de les faire partir. Il ne cherche pas à les remercier mais à s'en débarrasser, et c'est pour cette raison qu'elles disent que les hommes sont tous les mêmes et cherchent à lui faire du mal.
La preuve en images :
On pourrait même croire que le film est inspiré d'une histoire vraie. Vous êtes-vous basé sur un fait divers ? Ou juste des films tels que "The Seducers" ou "Liaison fatale" ?
Surtout The Seducers, dont Michael Ross, l'un des scénaristes, a vraiment vécu le même type d'histoire suite à un plan à trois complètement dingue. J'ai moi-même vécu une expérience similaire : j'ai laissé deux filles entrer dans ma maison et nous avons passé une folle nuit. Mais le lendemain, elles ne voulaient plus partir et les choses ont commencé à dégénérer lorsqu'elles se sont mises à détruire des objets chez moi, en pensant que c'était drôle. Alors que c'était ce pour quoi j'avais travaillé, ce que j'avais construit. Je me suis alors rendu compte à quel point le petit monde de chacun est fragile et vulnérable.
J'aime les films tels que The Seducers, Liaison fatale ou les premiers de Paul Verhoeven et leur façon d'aborder la sexualité. Et les premiers films de Roman Polanski, qui sont des thrillers en forme de jeu d'échecs. Je voulais faire un Liaison fatale moderne. A l'époque, lorsque vous aviez une aventure, votre famille et peut-être certains de vos collègues étaient au courant. Mais aujourd'hui, avec Facebook et les réseaux sociaux, le monde entier peut savoir ce que vous avez fait.
J'ai moi-même vécu une expérience similaire à Knock Knock
Lorsque l'on voit "Green Inferno" et "Knock Knock", le second paraît être l'exact opposé du premier, au niveau des lieux de l'action notamment. A-t-il été fait dans ce sens ?
Tout à fait. Je ne voulais pas me répéter, et je me suis rendu compte que j'avais emmené une équipe là où aucune autre n'était allée avec Green Inferno : nous avons tourné près de l'endroit où Werner Herzog a filmé Aguirre, la colère de Dieu au Pérou. Nous avions 5 heures de trajet en voiture chaque jour, puis 90 minutes en bateau pour rejoindre le village, puis il fallait repartir le soir. C'était un tournage dangereux et rude.
Du coup j'ai eu envie de me ménager et de tourner mon film suivant dans une maison. Mais celle-ci présentait plusieurs défis également, à cause de la pluie dehors et des reflets. Green Inferno débute comme une comédie romantique new yorkaise et se poursuit dans la jungle, pour se rapprocher d'Apocalypse Now, Apocalypto ou d'un documentaire terrifiant. Avec Knock Knock, j'avais davantage envie de mettre en scène un jeu d'échecs, en montrant Keanu qui succombe petit-à-petit, car chaque mouvement est une manipulation.
Il y a même un jeu de chaises musicales lorsque les filles cherchent à tout prix à le toucher, et c'est pourquoi je voulais faire quelque chose qui soit stylé avec la caméra. Donner à mon film la même apparence que ceux d'Adrian Lyne [réalisateur de Liaison fatale et Neuf semaines et demi, ndlr]. Et comme Green Inferno va très loin dans le gore, j'ai aussi voulu montrer que je pouvais faire un film tout aussi tendu sans la moindre goutte de sang.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 4 septembre 2015
Prochain rendez-vous avec Eli Roth : "Green Inferno", disponible en e-cinema le 16 octobre