Le 11 septembre, Michael Bay était sur les planches de Deauville. Pas pour les faire exploser ni présenter son prochain film, 13 Hours, dont il supervise actuellement le montage. Non, le réalisateur venait recevoir un homme de la part du Festival, et donner quelques interviews. Détendu, bavard et drôle, il est revenu nous sur son style, certains de ses films, les critiques auxquelles il fait face et ses doutes en tant que metteur en scène.
AlloCiné : Vos films regorgent d'action et d'explosion. Est-ce parce que vous avez peur du vide et du calme ?
Michael Bay : Non, le calme ne me fait pas du tout peur. L'un des mes plans préférés de l'Histoire du cinéma est dans Lawrence d'Arabie, dont Steven Spielberg m'a permis de voir une copie en 70 mm : c'est ce moment où l'on voit les chevaux marcher à travers les ondes de chaleur. Et sans bruit. Donc le silence peut être incroyable sur grand écran, même si mes films n'en avaient pas besoin par rapport aux histoires que je racontais. Mais le silence est une preuve de confiance.
En revanche, mes films ne reposent pas seulement sur des explosions. Il y est question de héros, de grosses histoires et de gros cinéma. On essaie de transporter les gens dans un autre monde car je me rappelle de mon enfance, lorsque j'allais au cinéma avec mes parents le dimanche, et du moment où j'ai découvert L'Aventure du Poséidon ou Star Wars, qui m'ont transporté. Je trouve ça amusant et c'est ce que j'aime avec le cinéma.
Quel film d'action vous a donné envie d'en faire vous-même ?
Piège de cristal a été une grosse source d'inspiration pour moi lorsque j'étais jeune, tout comme, croyez-le ou non, Léon et Nikita de Luc Besson. Ce sont des films que j'ai énormément étudiés, plan par plan. Ceux de James Cameron m'ont également beaucoup inspiré et sur mon premier film d'action, Bad Boys, j'ai surtout cherché comment faire quelque chose de différent. En bien ou en mal d'ailleurs. J'ai commencé à monter l'action de façon très rapide, avec des plans très courts. Mon monteur me disait qu'on ne pouvait pas faire ça, et je lui ai dit que si.
Lorsque Bad Boys et Rock sont sortis, à côté d'autres films d'action, je me suis fait attaquer parce que le montage était trop rapide. Mais ces mêmes personnes m'attaquent encore aujourd'hui, alors que j'ai ralenti le découpage, ce qui est très drôle. Et à côté, on remarque que des films d'action ont adopté ce montage rapide, impopulaire à l'époque mais qui est devenu un style depuis. Ceci dit, Bad Boys EST encore populaire, et c'est dingue. L'an dernier, c'était le plus diffusé de tous les films sur le câble américain. N'est-ce pas la chose la plus folle que vous avez entendue ? Je me disais "Mais c'est quoi le problème des Etats-Unis ?" (rires) C'est dingue.
Beaucoup plus de chances de voir les gaffes du film donc
Quelle est la plus grosse idée préconçue que les gens ont sur vous ?
Les gens pensent que je suis un méchant, alors que je suis quelqu'un de très gentil. Je suis attentionné et loyal, et je travaille très dur. Je connais chaque aspect et le boulot de chacun sur un plateau, et je ne le quitte jamais : certains réalisateurs vont dans leur loge, mais pas moi. Je vis et respire, j'encourage les gens et j'utilise les caméras. C'est ce que j'aime, me salir les mains. Je me suis d'ailleurs blessé à un doigt (il montre sa cicatrice) un utilisant une caméra.
C'est justement dont Michael Shannon [qui a joué 2 fois pour lui, et que nous avons rencontré pour "99 Homes", ndlr] nous parlait : cette générosité, ce bonheur d'être sur un plateau et votre façon d'encourager les gens sur le tournage de "Pearl Harbor".
Michael était l'un des jeunes acteurs que j'ai eus sur ce film, et ils avaient tous de grosses compétences. Mais je me dis qu'on ne fera plus de film de cette ampleur aujourd'hui, car ça a disparu. A l'époque, on pouvait construire un pont de bateau qui faisait 10 fois la taille de cette pièce, avant de le couler pour les besoins d'une scène. Mais ça ne se fait plus de nos jours.
Que pensez-vous de la façon dont les blockbusters ont évolué depuis "Rock" ou "Pearl Harbor" ?
Ils commencent un peu à se ressembler. Je ne dis pas qu'il y a une recette, sans quoi tout le monde l'appliquerait. Mais les gens veulent être divertis et les spectateurs sont de plus en plus nombreux dans le monde. Le public diminue aux Etats-Unis, car je pense que les gens consomment des films sur d'autres supports. Mais c'est justement le défi avec le cinéma : on essaie de faire quelque chose de différent, à la pointe de ce qui peut se faire et qui enthousiasme le public.
N'est-ce pas épuisant de devoir répondre à des attentes si élevées, avec beaucoup d'argent investi dans vos films ?
Oh oui ça l'est ! (rires) Et je dis d'ailleurs aux gens "Tu n'as pas envie de devenir un put*** de réalisateur !" (rires) C'est très fatigant, mais vraiment amusant aussi car j'aime beaucoup travailler avec une équipe. Mais ça fatigue et il y a beaucoup de pression, ce qui signifie beaucoup d'heures de travail. C'est pour ça que j'ai aimé faire 13 Hours : un petit film, réaliste et viscéral. J'ai aimé ne pas avoir beaucoup d'argent car je déteste en gaspiller : quand je vois tous les camions sur un plateau, je me dis "Ce que j'aimerais qu'ils partent !"
Se lancer des défis pour faire des choses différentes
Vous êtes de plus en plus intéressés par des petits films, des films indépendants ?
Oui. No Pain No Gain était déjà un petit film, et 13 Hours s'est fait avec un budget de 45 millions de dollars. Quand on arrive à faire ça ensemble, c'est très intéressant. Et dans un sens, ça rassemble une équipe, étrangement, pour trouver une autre façon de faire les choses. Je peux aussi bien faire des tournages gigantesques que très intimistes.
Un jour, mon producteur avait convoqué toute l'équipe pour une scène mais je lui ait dit "Non, je n'ai besoin que de 6 personnes. Renvoie les autres chez eux !" Notre budget était trop élevé. "Faisons-la pour pas grand chose, genre 20 000 dollars pour la journée. Je filmerai, ferai la photo... bon ok, ramène le chef opérateur mais c'est tout." (rires) J'aime faire ce genre de choses et ce côté "école de cinéma", car c'est ainsi que j'ai commencé.
Votre statut de roi du cinéma d'action est-il parfois un fardeau, à savoir que le public s'attend à voir des films de plus en plus gros de votre part et qu'il vous est difficile de vous essayer à d'autres genres ?
Vous avez raison sur la majorité de ces points en ce moment (rires) Mais c'est pareil avec James Cameron. Nous nous parlons souvent et essayons de nous lancer des défis, pour faire des choses différentes. Il m'a demandé comment c'était de faire une suite, vu qu'il s'apprête à faire celle d'Avatar, et je lui ai répondu que c'était bien car le monde est déjà établi, mais plus dur car il faut se surpasser (rires) Ou en tout cas faire quelque chose de différent.
Vous voulez que l'argent des producteurs soit remboursé
Êtes-vous aujourd'hui dans une position où vous pouvez faire ce que vous voulez à Hollywood ?
A peu près, oui. Mais il y a toujours la pression, l'argent, ci et ça. Si quelqu'un vous donne de l'argent pour faire un film, vous espérez pouvoir le lui rendre. Et c'est le même son de cloche du côté des réalisateurs avec lesquels je suis ami : vous ne voulez pas d'un échec, vous voulez que l'argent des producteurs soit remboursé. La pression est aussi vis-à-vis de soi, pour se lancer des défis. Je n'ai plus besoin de travailler et pourrais prendre ma retraite, mais j'aime faire ça. J'aime me faire des égratignures sur un tournage. Ce n'est pas une question d'argent, j'adore créer des images.
Lequel de vos films a représenté le plus gros challenge ?
Tous, car on essaye de repousser nos limites. J'ai tourné 13 Hours dans un style plus brut, avec une équipe étrangère. J'avais d'ailleurs un peu peur car je travaille d'habitude avec mon équipe, et il y a certains de ses membres que je connais depuis très longtemps. C'est difficile d'aller tourner dans un pays étranger, avec une équipe complètement étrangère, dans laquelle il y avait juste 2 ou 3 des gens avec lesquels je travaille habituellement. Mais c'était super et ils étaient super : ils ont appris comment je travaillais, en sachant que je travaille très vite et de manière très efficace. Ça les a rendus dingues, mais ils se sont prêtés au jeu.
Résultat à découvrir en salles le 27 janvier 2016
Prêtez-vous attention aux critiques, qui n'ont pas toujours été tendres avec vous ?
Certaines sont parfois publiées avant que l'auteur n'ait vu mon film. Mais on peut avoir 500 critiques grincheux et, dans le même temps, 800 millions de fans qui vont voir Transformers. Moi je préfère les 800 millions, surtout que ça ne s'est pas produit qu'une fois. Ça continue à chaque film que je fais, et prouve qu'il y a des fans de ce que je fais. J'ai l'impression que, à force d'écrire dessus, certains ont perdu le plaisir du cinéma.
A l'époque du premier Transformers, j'ai vu des salles où les gens riaient et applaudissaient, puis j'ai lu les critiques des grincheux, et je me disais "Mais vous étiez dans quelle salle ?? Vous n'avez pas vu la joie des spectateurs, entendu leurs applaudissements à la fin ?" Personne n'est obligé d'aimer mes films, mais on peut dire que ça n'est pas sa tasse de thé. Mais au moins, il y a des gens chez qui ça marche.
Est-ce une façon de dire que vous faites les films que vous auriez eu envie de voir quand vous étiez enfant ?
Parfois oui, bien sûr. Steven Spielberg dit souvent que, lorsqu'on est réalisateur, il faut avoir une âme d'enfant. Garder son esprit ouvert. Ça dépend bien sûr du film sur lequel on travaille, car 13 Hours n'a définitivement pas été fait avec un regard d'enfant. C'est la plus réaliste des mes histoires, très brute sur le plan graphique et tendue, et il n'y a rien de beau ou d'hollywoodien dedans. Je ne l'ai pas encore vu dans son intégralité car nous sommes en plein montage vu que nous avons achevé le tournage il y a un mois, mais c'était très différent pour moi.
Je ne voulais pas détruire cette maison dans Bad Boys II
Allez-vous faire "Transformers 5" ensuite ?
Je ne sais pas. Nous avons 12 très bons scénaristes qui planchent actuellement sur une bible de l'univers. J'ai entendu certaines idées qui sont super, donc on verra. C'est dur de passer son bébé à quelqu'un d'autre, mais je ne veux pas que ce soit comme avec Steven Spielberg : il a laissé quelqu'un d'autre faire Jurassic Park, mais on avait l'impression que c'était quand même lui qui faisait le film. Si je passe Transformers à un autre réalisateur, je veux qu'il fasse autre chose que ce que j'ai fait. Comme avec les Batman, où le style a changé selon le metteur en scène.
Avez-vous des regrets sur le plan artistique ?
Chaque film constitue un apprentissage. On n'entend plus parler de certains des réalisateurs que je considère comme mes héros : ils ont fait quelques films et ont disparu de la circulation. Comme Steven Spielber, je ne veux pas rester dans ma zone de confort. Je veux me challenger, faire des choses différentes les unes des autres, mais c'est ce qui rend le métier intéressant. Je n'ai donc pas de regrets car j'apprends sans cesse.
Qu'auriez-vous fait si vous n'étiez pas devenu réalisateur ?
J'ai voulu être vétérinaire puis magicien. Joueur de baseball aussi, mais en pratiquant le sport à la fac, je me suis rendu compte que ma frappe n'était pas si bonne que ça. J'aurais aussi pu être photographe, ou architecte. Je suis d'ailleurs allé dans une école et j'ai pu construire une maison, ce que j'ai adoré. C'était comme construire un film.
Et au final vous détruisez des maisons dans vos films.
(rires) Je ne voulais pas détruire cette maison à la fin de Bad Boys II, mais le terrain avait été vendu et il ne pouvaient pas vendre la maison. J'étais dégoûté.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 11 septembre 2015
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