C'est toujours avec une certaine appréhension mêlée de respect qu'on évoque une licence aussi vénérée que Metal Gear Solid. L'oeuvre d'une vie, celle d'Hideo Kojima, qui, en amoureux transi du cinéma qu'il est ("Mon corps est fait à 70% de films" se plaît-il à dire), est au bout du compte parvenu à faire son film interactif sous la forme de jeux vidéo. Une appréhension qui est celle du profane, intimidé devant le background incroyablement riche et particulièrement dense d'une telle licence, qui brasse avec une intelligence souvent confondante la géopolitique, la philosophie, la SF, la littérature, la religion...Metal Gear Solid ou l'oeuvre somme d'un brillant Game Designer de 51 ans.
Après la sortie en mars 2014 de Metal Gear Solid V : Ground Zeroes, conçu comme un fantastique et unique plan séquence qui faisait office d'introduction / Prologue (mais à la durée de vie contestable) au 5e volet de la saga, place à Metal Gear Solid V : The Phantom Pain, attendu le 1er septembre prochain. Sur l'invitation de Konami, nous nous sommes donc rendu dans leurs bureaux parisiens pour tester quelques heures le titre. On en profite d'ailleurs pour jeter un oeil aux demandes formulées par l'éditeur dans un NDA. Elles sont assez drastiques : interdiction de révéler quoi que ce soit des Cut scenes, aucun élément de l'intrigue, objectifs spécifiques de missions, références à la BO du jeu, aucun nom ou détail concernant des Boss du jeu... Une liste longue comme un jour sans pain. Ou presque. Parler du titre relève donc un peu de l'exercice de contorsionniste...
Si vous avez manqué le début...
"On n'habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c'est cela et rien d'autre". C'est avec une citation extraite d'Aveux et anathèmes, écrit en 1987 par le philosophe d'origine roumaine Emile Cioran, que Metal Gear Solid V s'ouvre. Cioran, le philosophe du pessimisme, du scepticisme et du cynisme par excellence. Une manière de souligner ici le rôle de la langue comme pilier de l'identié d'un pays et d'une nation. La question de l'identité donc, qui est justement au coeur de l'ouverture du jeu, qui fonctionne à la fois comme un prologue et un tutoriel. Disons-le tout net et sans détour : cette séquence, qui dure près de deux heures, est extraordinaire.
Evoluant sur des rails invisibles, ayant juste assez de contrôle sur le personnage avant que le jeu ne lui reprenne régulièrement et en douceur les commandes, le joueur se glisse donc dans la peau du personnage Big Boss. Coincé dans un hôpital, un bras en moins, le corps en charpie, des fragments de Shrapnels dans le corps et jusque dans le crâne, il a le visage bandé. Par ellipses temporelles, on comprends qu'il a passé neuf ans dans le coma. Par une astuce que nous tairons, le médecin nous tend un miroir pour que l'on puisse contempler notre visage mutilé, tout comme notre identité. Big Boss prend un nouveau nom : Achab. Tel le capitaine traquant la baleine Moby Dick. Une lutte à mort symbolisant sur le plan métaphorique la lutte entre le bien et le mal, mais c'est aussi une quête de vengeance qui s'ouvre.
Les choses s'accélèrent lorsque l'hôpital est pris d'assaut par des hommes armés, tandis que les patients et le personnel sont impitoyablement massacrés dans un déchaînement de violence et de brutalité. Big Boss ne doit la vie sauve que grâce à un autre patient, à l'identité incertaine (tiens donc !). L'évasion est spectaculaire, oppressante, gorgée de moment de tensions comme cette séance de cache cache sous les lits, pendant que les hommes armés ratissent la pièce et abattent froidement les patients. C'est d'ailleurs là que Kojima le facétieux brise le 4e mur et nous offre une petite métalepse, qui nous rappelle que nous sommes en train de jouer : notre compagnon d'infortune nous invite à presser la touche triangle de notre pad PS4 pour nous coucher et faire le moins de bruit possible.
Formidablement mis en scène par de petites cinématiques qui ont le bon goût de ne pas marquer de transition brutale avec le gameplay, la fuite de l'hôpital est un sacré hors-d'oeuvre, plongeant le joueur dans un bain de sang et de violence dont on sort un peu groggy et ravi.
Ci-dessous, un petit aperçu de ce prologue, dans des images déjà dévoilées en 2012 :
Tactical espionage
Ce n'est véritablement qu'après que le jeu commence, une fois Big Boss récupéré par le personnage Revolver Ocelot (ce n'est pas un spoil, les images ont déjà été révélées dans les différents trailers du jeu). En quête de vengeance, les deux vont mettre sur pied une armée de mercenaires du nom de Diamond Dogs, rebâtir la Mother Base, et traquer sans répis les responsables de leur quasi anéantissement lors des événements qui se déroulent dans Metal Gear Solid : Ground Zeroes.
C'est l'Afghanistan qui est choisi comme terrain de chasse. Pensé et voulu comme un jeu Open World, la zone semble être effectivement très vaste (même si nous ne l'avons quand même pas ratissée de fond en comble...), et c'est dans ce cadre que nous avons effectué les trois premières missions, faisables dans l'ordre que l'on souhaite. Des missions aux objectifs variés : tuer un commandant, récupérer des informations... Après être passé par une phase de préparation de mission (sélection de l'équipement, choix du coéquipier, sélection du véhicule...), le joueur a la possiblité de choisir son heure et son point de largage : 6h00 ou 18h00.
Ce n'est évidemment pas un simple gimmick : en fonction de l'heure, le placement des ennemis n'est pas le même, et il est évidemment bien plus risqué de s'attaquer par exemple à une place fortifiée en plein jour, car la visibilité des ennemis est au maximum, qu'en pleine nuit. A ce titre d'ailleurs, Big Boss possède dans sa panoplie d'accessoires un cigare...électronique, qui, en le fumant, fait avancer le temps. Pratique. Et puisque l'on parle des ennemis, leur I.A. est plutôt satisfaisante et réussie, parfois même imprévisible.
Si Big Boss peut toujours, à l'aide de ses jumelles, les marquer, il arrive fréquemment que certains ennemis déboulent sans crier gare dans le champ de vision, jusque-là invisibles pour cause d'angle mort, par exemple. Et s'ils vous traquent et vous repère, non seulement leurs rondes peuvent changer aléatoirement, mais ils donneront de surcroît l'alerte dans les postes de contrôles environnant, ce qui corsera évidemment la suite des opérations. Autant dire que mieux vaut se faire discret et veiller à utiliser au mieux la topographie des lieux, comme les inévitables repérages de la zone aux jumelles sur les points surrélevés.
Ces missions permettent aussi de renforcer et développer la Mother Base, que le joueur devra gérer. A l'aide d'un ballon Fulton (sorte de mini montgolfière pour faire simple), on peut y expédier depuis le terrain des ennemis assommés (et même les animaux) qui viendront garnir les rangs de notre armée de mercenaires. Ils possèdent tous des compétences spécifiques : recherche et développement, soins, combats, ingénieurs qui développeront de nouvelles armes et gadgets, etc. Inversement, Big Boss peut directement mettre à profit les ressources de sa base, en demandant par exemple de se faire larguer sur le terrain de nouvelles armes spécifiques.
Beau, immersif, même si au final nous n'avons vu que très peu de séquences faisant avancer l'intrigue (nous n'avons joué que 5-6h sur les douze prévues), bénéficiant d'un gameplay sans doute plus accessible / souple qu'auparavant (ce qui fera peut être hurler à la mort les puristes...), Metal Gear Solid V : The Phantom Pain est peut être le volet le plus accessible pour les néophytes qui souhaiteraient se plonger dans la saga, d'autant qu'il y a toujours la possibilité de consulter l'encyclopédie du jeu, qui revient à grands renforts de mémos vocaux sur les événements passés. Vivement le 1er septembre pour mesurer la pleine puissance d'un titre prometteur encore loin d'avoir épuisé tous ses secrets.