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    Cannes 2015 : quand le jeune cinéma d'auteur français casse les codes
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    De Cannes 2015, on retiendra le cinéma français en force au Palmarès officiel. Mais aussi dans les sections parallèles... La nouvelle génération a montré de belles ambitions et prise de risques, en n'hésitant pas à "casser les codes". La preuve par 3

    Mars Distribution / Diaphana Distribution

    Avec trois films français primés au Palmarès officiel du Festival de Cannes 2015, on peut dire non sans fierté, et un brin de chauvinisme, que la production hexagonale a brillé. Là où l'on a d'autant plus de raisons de se réjouir, c'est que la nouvelle génération, présente du côté des sections parallèles, à elle aussi fait preuve, cette année encore, d'une belle ambition et d'une prise de risques, n'hésitant pas à "croiser les genres" ou "casser les codes". La preuve par trois.

    1 - Les Anarchistes : quand le film d'infiltrés croise le film d'époque

    Les Anarchistes
    Les Anarchistes
    Sortie : 11 novembre 2015 | 1h 41min
    De Elie Wajeman
    Avec Tahar Rahim, Adèle Exarchopoulos, Swann Arlaud
    Presse
    3,0
    Spectateurs
    2,6
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    Avec Les Anarchistes, film d'ouverture de la Semaine de la critique, Elie Wajeman signe un film d'époque revisité, élégant et personnel, empruntant aux codes du film... d'infiltrés !

    Faire un film d'infiltrés, c'était même le but premier d'Elie Wajeman. "C'était présent dès le début de l’écriture de ce projet, détaille-t-il à notre micro. Qu’est-ce que le personnage pouvait infiltrer ? Qu’est-ce qui m’intéressait le plus ? Et au même moment, j’ai découvert les écrits anarchistes, et à quel point ces anarchistes étaient surveillés par la police. Comment ce travail d’infiltration était au cœur même du dispositif policier à l’époque. Donc j’ai allié les deux : faire un récit d’infiltrés et ce portrait d’anarchistes."

    Mars Distribution

    Après Alyah, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2012, le cinéaste pousse ses ambitions un cran plus loin. "J’avais envie d’être ambitieux, et ma productrice (Lola Gans, Ndlr) aussi. Ambitieux, ça n’est pas forcément un vilain mot. J’avais envie d’associer un travail que j’avais fait dans mon premier film sur l’intime et rencontrer la grande Histoire en même temps, mixer ces deux choses. Que ça puisse à la fois être romanesque et ample, tout en étant singulier, précis, original. Je ne sais pas si j’ai réussi. En tout cas, c’est ce que j’ai voulu faire."

    Ambitieux, ce n'est pas forcément un vilain mot

    Ses modèles ? "Un certain cinéma des années 90 français, notamment La Sentinelle ou Les Patriotes qui sont deux films très importants pour moi. J’ai le sentiment que ce sont des cinéastes (Arnaud Desplechin et Eric Rochant) qui veulent s’emparer de l’Histoire, et en même temps raconter l’intime, quelque chose de très personnel, dans une structure dramaturgique précise, comme le film d’espionnage."

    Travailler le rapport entre le film de genre et le film d’auteur. Comment concilier les deux choses ?

    "Au fond, ce que j’essaye de travailler, c’est le rapport entre le film de genre et le film d’auteur. Comment concilier les deux choses. Pour ça, il faut des producteurs forts, il faut que les financiers soient audacieux aussi."

    Et de citer Mia Hansen Love, Rebecca Zlotowski, Katell Quillévéré, Alice Winocour, "j’en passe et des meilleurs", faisant partie de ce même élan, et partageant de mêmes envies.

    Pour Adèle Exarchoupoulos aussi, Les Anarchistes est un film "générationnel"

    Les Anarchistes d'Elie Wajeman, avec Tahar Rahim, Adèle Exarchopoulos, Swann Arlaud, Guillaume Gouix... / Scénario : Elie Wajeman et Gaelle Macé / Production : Lola Gans (24 Mai Productions) / Sortie : 11 novembre 2015 

    2 - Maryland : à la croisée du documentaire et du film d'horreur

    Maryland
    Maryland
    Sortie : 30 septembre 2015 | 1h 38min
    De Alice Winocour
    Avec Matthias Schoenaerts, Diane Kruger, Paul Hamy
    Presse
    3,0
    Spectateurs
    2,7
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    Un détail frappe au moment du générique de fin de Maryland sélectionné à Un Certain Regard : la longue liste de remerciements de la réalisatrice Alice Winocour. On y voit voit défiler des noms (qui auraient pu figurer dans cet article si ils ou elles avaient eu un film en sélection cette année), comme Céline Sciamma (Bande de filles), Marie Amachoukeli et Claire Burger (Party Girl).

    Il y a quelque chose d’assez exaltant dans cette nouvelle génération de cinéastes

    Pourquoi tous ces noms ? "J’aime beaucoup faire lire le scénario, nous répond la cinéaste. C’est parfois un peu violent dans le processus de l’écriture, mais je trouve intéressant d’avoir des retours qui nourrissent ce moment. J’ai remercié tous ces gens à qui j’avais fait lire le scénario, ou qui étaient venus au montage, qui m’avaient conseillé."

    Et d'ajouter : "En fait, je trouve qu’il y a quelque chose d’assez exaltant dans cette nouvelle génération de cinéastes, une forme de solidarité entre nous, une sorte d’énergie collective qui est belle."

    Mars Distribution

    Autre détail qui frappe : l'histoire de Maryland commence là où s'arrête celle de Ni le ciel ni la terre ! Si les films n'ont rien à voir, leurs intrigues respectives montrent une forme de continuité ! Un film de guerre en Afghanistan, puis le retour d'un militaire, sous le coup d'un traumatisme post-opération.

    Interrogée sur cet écho que trouvent certains films entre eux à Cannes cette année, Alice Winocour avance l'explication suivante : "Parce qu’on a tous vus beaucoup de films et du coup on a sans doute envie d’explorer de nouveaux territoires." Avant de revenir sur ses influences premières :"En fait, dans mes sources, il y avait aussi beaucoup la photographie. Pour mon premier film, Augustine, je m’étais inspiré des photos de Francesca Woodman. Pour celui-ci, à l’origine, c’était beaucoup les photos de Grégory Krutzen et Philip-Lorca diCorcia, qui mélangent une sorte de tradition documentaire et de cinéma d’épouvante, de cinéma fantastique."

    Il y a l’envie de mélanger des choses a priori hétérogènes

    "Il y avait vraiment l’idée de faire co-exister ces deux choses qui sont a priori hétérogènes : le film commence un peu comme un documentaire sur un garde du corps qui arrive dans cette maison. Il y a une volonté d’ancrer le film dans le réel. Et en même temps, essayer une déréalisation progressive. C’est-à-dire que plus le récit avance, plus on rentre dans la tête de Vincent (Matthias Schoenaerts), dans ses fantasmes. Ca glisse de plus en plus vers le cinéma fantastique, avec les codes du cinéma de genre."

    Maryland, un film de genre assumé. Un domaine qui n'est pas réservé aux hommes, insiste Alice Winocour :

    Maryland d'Alice Winocour, avec Matthias Schoenaerts, Diane Kruger, Paul Hamy... / Scénario : Alice Winocour, avec la collaboration de Jean-Stéphane Bron / Production : Isabelle Madelaine et Emilie Tisné (Dharamsala) / Sortie : prochainement 

    3 - Ni le ciel, ni la terre : traverser les genres

    Ni le ciel ni la terre
    Ni le ciel ni la terre
    Sortie : 30 septembre 2015 | 1h 40min
    De Clément Cogitore
    Avec Jérémie Renier, Kévin Azaïs, Swann Arlaud
    Presse
    3,7
    Spectateurs
    3,1
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    Peut-on donner un genre à Ni le ciel, ni le terre, présenté à la Semaine de la critique ? La réponse est non. Et c'est tant mieux, à vrai dire ! Quand on pose la question à son réalisateur Clément Cogitore, la réponse va de même : "Je n’ai pas envie qu’on colle un genre au film, mais le film joue avec les genres. Pas uniquement avec le film de guerre, mais avec le policier, le fantastique. Au final, c’est un film d’auteur, mais j’avais envie de jouer avec les genres, les traverser, de jouer sur ces codes. D’être à la croisée d’un film qui est visuellement à la limite de l’expérimental, et qu’on nous raconte une histoire, qui soit forte jusqu’au bout."

    Formé aux Beaux Arts, l'artiste plasticien qui s'essaye ici pour la première fois au long métrage reconnait avec enthousiasme se sentir partie prenante d'un élan, d'une génération : "Je pense qu’il y a l’envie de se détacher d’un certain naturalisme. Je le sens beaucoup en tout cas. De se détacher d’un cinéma qui vient plutôt des années 90, très naturaliste."

    Et si on s'aventurait sur d'autres choses ?

    "Il y a un désir, soit romanesque, soit de casser un peu les codes et de s’aventurer un peu ailleurs… Moi je me sens assez bien dans cette génération, confie-t-il. Il y a plein de jeunes cinéastes dont j’admire beaucoup le travail et dont je me sens proche. C’est vrai que c’est peut être quelque chose qui arrive de se dire : « et si on s’aventurait sur d’autres choses ». Que ça passe par, soit le costume, soit le film de guerre, le film de gangster, de jouer avec ça. Et, d’en-dessous, faire un film d’auteur".

    Diaphana Distribution

    "Il y a une chose qui m’a beaucoup guidé pour filmer, poursuit Clément Cogitore. On a tourné vraiment loin dans les montagnes marocaines, dans un endroit vraiment perdu, avec beaucoup de monde, de matériel dans des conditions très difficiles."

    "En tête, j’avais les premiers films de Werner Herzog, Aguirre, Fitzcarraldo… Caméra à l’épaule, très documentaire. De jouer sur les lumières naturelles. De tout mettre à l’image. Et de partir dans une espèce de mise en danger, pas forcément physique, mais artistique. D’aller chercher le film de cette manière-là, au lieu de tout sécuriser."

    Des conditions difficiles de tournage pour Ni le ciel, ni la terre ? Jérémie Rénier confirme en n'y allant pas par quatre chemins : "on en a ch... !"

    Ni le ciel, ni la terre de Clément Cogitore, avec Jérémie Rénier, Swann Arlaud, Kevin Azaïs... / Scénario : Clément Cogitore et Thomas Bidegain / Production : Jean-Christophe Reymond et Amaury Ovise (Kazak Production) / Sortie : prochainement

    Et demain ?

    Elie Wajeman, Alice Winocour, Clément Cogitore ne comptent pas s’en arrêter là.  Tous trois ont déjà en tête de nouveaux projets. Pour Elie Wajeman, ce sera peut être "un portrait d’une jeune femme". "J’ai plusieurs idées, certaines plus avancées que d’autres. Mais je crois que après avoir fait le portait de deux magnifiques bruns -Pio Marmai dans Alyah,  Tahar Rahim dans Les Anarchistes-, j’ai envie de faire le portrait d’une jeune femme." En mélangeant les genres à nouveau ? "Oui, je pense". Pour Clément Cogitore, cela passera par du documentaire, et de la fiction. Quant à Alice Winocour, son troisième long, déjà en cours d'écriture, sera "une histoire d'amour un peu étrange", dévoile-t-elle sans vouloir rentrer davantage dans les détails.

    Au sein de cette génération, et promettant de s'essayer au genre, sont attendus deux premiers longs : celui d'Arthur Harari (Diamant noir) et celui de Nicolas Pariser, Le Grand Jeu, un thriller avec André Dussollier (sortie le 25 novembre), déjà tournés. A l'état de projet, le second long de Yann Gonzalez, qui après Les Rencontres d'après minuit, s'essayera au film d'horreur, et le troisième film de Rebecca Zlotowski, Les soeurs Barlow, un film fantastique avec Natalie Portman et Lily Rose Depp.

    Les Palmés du Festival de Cannes 2015 en vidéo - notre reportage :

     

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