C'est chez elle, dans son bureau parisien que la scénariste et réalisatrice Danièle Thompson (La bûche, Fauteuils d'orchestre, Des gens qui s'embrassent) a accepté de nous rencontrer pour évoquer son choix de présider le 7e festival international du film policier de Beaune, qui se déroule à partir de ce mercredi 25 mars et jusqu'au dimanche 29. Rencontre avec une grande dame du cinéma, entourée du portrait de son père Gérard Oury, de bibliothèques bien garnies, de scénarii et d'un magnifique chat persan.
Vous aviez été membre du jury du festival de Cannes en 1986, celui qui avait su sacrer aussi bien "Le Sacrifice", "Mission", "Thérèse", "Tenue de soirée" ou "After Hours". Cette expérience va-t-elle vous inspirer en tant que présidente du jury de Beaune ?
A Cannes je n’étais pas présidente, c’était Sydney Pollack, un merveilleux président. Il était très attentif aux opinions des uns et des autres et en même temps avec une autorité certaine. En plus à Cannes il avait deux voix et c’est un souvenir formidable. J’ai fait partie d’autres jurys depuis mais c’est vrai qu’il se crée des complicités de goût, d’humeur, de sympathie et chacun montre ou cache un côté de sa personnalité. C’est très révélateur de qui est qui par rapport aux conversations qu’on a à propos des films.
C’est un peu la même chose avec le travail de scénario et de co-scénariste. Il se crée une grande intimité et une grande connaissance de l’autre à travers les goûts qu’on a ou pas pour le cinéma. C’est très intéressant, ça m’amuse beaucoup.
Quels seront vos principaux critères de jugement sur ces films policiers ?
Le critère est le même pour tous les films pour moi : c’est l’ennui. Au théâtre comme au cinéma, c’est une chose envahissante, terrifiante, quand on sent cette envie de dormir qui monte et qu’on est condamnée… En plus dans un jury on est obligés de rester ! Mais je ne suis pas du genre à m’en aller. Ceci dit, je dis une bêtise car finalement je vois des films très longs –j’ai adoré Winter Sleep qui fait 3h20 ou Boyhood, tous ces films longs qui ne m’ont pas ennuyé une seconde, bien au contraire. J’en aurais demandé plus. Alors que je peux m’emmerder devant un film d’action qui ne m’intéresse pas du tout.
L’autre critère c’est d’être emportée, d’avoir le cœur qui bat, de se demander ce qui va se passer. Car en dehors de tout espèce de jugement esthétique de décorticage de qui joue quoi, comment, comment c’est filmé, etc. Le rythme du film et le fait qu’on arrive à vous prendre et à vous faire penser à autre chose (…). Et il ne faut pas être déçu par la fin. Quand on est scénariste, on sait que finir un film ce n’est pas évident.
Quelles sont vos références en matière de films policiers ?
Ça va d’Hitchcock en passant par Clouzot, Lumet, Scorsese, Corneau, Melville… Ou des metteurs en scène comme Sydney Pollack, qui font des films très différents, qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. (…) Et on ne peut pas séparer le film policier du film d’espionnage, du thriller… Ils appartiennent au même registre. Et j’ai revu il y a peu Les Trois jours du condor et on est dans un état ! C’est formidable. Alors il y a des polars existentiels, d’autres plus vers l’action pure (…) et la réussite d’un film est tellement dure à décrire. Un film raté c’est plus simple.
Parfois, un film qui a été lauréat d’un festival a une seconde vie qu’il n’aurait pas forcément eu s’il n’avait pas été sacré dans un festival. N’y a-t-il pas alors une responsabilité supplémentaire à être présidente de jury ?
Cela fera sans doute partie des débats. Car c’est un débat de fond. Il faut savoir si on donne un prix pour aider ou pour récompenser. Si c’est les deux tant mieux. Et si c’est l’un ou l’autre, ça risque d’être compliqué.
Trois hommages seront rendus à Beaune : à John McTiernan, mais aussi à Bertrand Tavernier et à Claude Brasseur. Quel regard portez-vous sur ces talents français ?
Claude, c’est un acteur extraordinaire et je l’ai prouvé [Danièle Thompson a employé Brasseur dans Fauteuils d’orchestre, NdlR]. Il a une intelligence du texte absolument formidable. Je dois dire que lorsque tout à coup il se met à jouer, on redécouvre son propre texte. Il est à la fois juste et en même temps il invente des choses qu’on n’imaginait pas. C’est un vrai bonheur. Et il a bien vieilli. Il a eu sa grande heure de gloire à l’époque de La crime ou La guerre des polices, et il est devenu un monsieur plus âgé, il a pris une sorte de stature qui rappelle un peu son père. Sa voix s’est aggravée et c’est un acteur extraordinairement solide.
Bertrand Tavernier c’est autre chose. C’est un très grand metteur en scène, qui s’est frotté à des genres très différents quand on pense à des films comme Que la fête commence, L.627, Une semaine de vacances, La princesse de Montpensier, Un dimanche à la campagne et La vie et rien d’autre, c’est une filmographie passionnante. C’est quelqu’un qui est parti explorer des univers très différents et il a un talent fou. Il a une grande simplicité dans sa manière de filmer, ce n’est pas un fou des mouvements artificiels. Je l’admire énormément. Melville faisait un genre de films, c’est ça qu’il aimait et qu’il faisait. C’est un choix. Mais Bertrand Tavernier s’est explosé dans des tas de choses formidables, à la manière des américains.
Vous n’avez jamais réalisé de films policiers. Est-ce que l’envie pourrait prochainement vous en prendre ?
Pourquoi pas ? Je ne suis pas contre. Il se trouve que ça ne s’est pas fait. Je ne sais pas si je serais à l’aise. Là, je fais un film en costumes, donc déjà ça et après nous verrons.
Aux Etats-Unis, les producteurs tendent à produire des suites, la France s’y remet peu à peu. Vous-même avez écrit "La Boum 2". Y a-t-il un autre de vos films auquel vous pourriez imaginer une suite ?
Quand j’y pense, je me dis que La bûche, mon premier film, avec les trois sœurs plus Christopher –mon fils- et Claude Rich… On pourrait imaginer ce qui est arrivé à ces gens. Ils ont tous pris quinze ans. Mais ça ne s’est pas fait, et ça ne se fera pas, je pense.
Vous aviez co-écrit avec votre fils Christopher : "Cannes", un projet qui devait vous tenir à cœur mais qui a été annulé peu avant le tournage. Ce film est-il définitivement abandonné ?
J’espère que non. Je pense que ça pourrait renaître. J’adorerais car j’aimais beaucoup ce scénario, il y avait une distribution de rêve : Ana Girardot, Pierre Niney, Emmanuelle Seigner. Ça bouge un peu, j’adorerais que ça se fasse, mais il fallait laisser un peu de temps. Ça a été terrible. Un film qui s’arrête quinze jours avant c’est horriblement douloureux. Car on a tout : le lieu, les acteurs, les costumes et voilà… ça nous a beaucoup… c’est un très mauvais souvenir. En tout cas ça n’est pas mort, ni dans sa tête ni dans la mienne.
Danièle Thompson avait décortiqué pour nous le casting de son film "Le Code a changé" :
Propos recueillis par Corentin Palanchini à Paris, le jeudi 19 mars 2015.