AlloCiné : Dans Le Dernier Loup, on peut déceler plusieurs niveaux de lecture... Est-ce une des choses qui vous a intéressé avec ce livre que avez adapté, Le Totem du loup ?
Jean-Jacques Annaud : C'est bien sûr ce qui m'a enthousiasmé. Quand j'ai lu le bouquin, j'ai vu évidemment le potentiel de scènes épiques extraordinaires, de scènes que je n'avais encore jamais vu au cinéma... Et puis, une histoire d'émotion, de tendresse... Une histoire initiatique, de ce jeune homme cultivé qui vient dans les zones reculées de la Chine alphabetisée, avec une histoire pleine de tendresse, émouvante, avec un petit loup qu'il essaye de comprendre et d'élever dans un milieu de berger, ce qui n'est pas simple.
Mais évidemment, il y a d'autres niveaux. Ca m'a fait beaucoup penser au travail que j'avais fait sur Le Nom de la rose. Le Nom de la rose pouvait être lu comme un polar, dans un endroit bizarre, sombre et inquiétant. Mais il y avait évidemment d'autres niveaux de lecture, en particulier l'accès interdit au savoir et l'interdiction des religions de se moquer des choses, de rire de Dieu, sujet qui est redevenu contemporain...
La beauté qu'on voit à l'écran donne envie qu'on la préserve.
Là dans Le Dernier Loup, le thème de l'équilibre nécessaire de l'homme et de la nature -c'est un message qu'on entend beaucoup, dans beaucoup de documentaires-, mais mon métier ce n'est pas le documentaire, c'est de faire passer les choses par l'émotion, par la fiction, même si cette fiction est basée sur une histoire vraie. Cette nature est indispensable à préserver : on ne peut pas scier la branche sur laquelle on est accrochés, nous tous. La Mongolie se prête bien à ça, car ça reste une région totalement incroyablement belle, et je crois que la beauté qu'on voit à l'écran donne envie qu'on la préserve.
Finalement, l'attachement aux choses passe aussi par le plaisir d'y être, le concept de beauté, et c'est pour ça que je suis heureux que les gens voient au-delà de cette histoire émouvante, de ces scènes épiques, des scènes d'action, qu'ils repartent avec quelque chose d'autre. Ca a toujours été mon désir dans le cinéma, vous savez. Bien entendu, mon devoir premier, c'est le divertissement. Je suis un homme de spectacle. Mais si dans le spectacle, il y a d'autres éléments que les gens emportent avec eux, alors je crois que je me sens plus heureux encore.
Vous avez affirmé que pour vous le cinéma est comme un sport de l'extrême, que vous n'aimez pas les vacances, ni le sport. Votre sport, c'est donc le cinéma ?
Le cinéma est un sport de l’endurance. Ça fait 7 ans que je travaille sur ce film, peut être même un peu plus… On est venu me chercher en 2007 pour me proposer ce roman [Le Dernier Loup est une adaptation du Totem du loup, Ndlr.]. Il y a le marathon que représente un film comme ça, mais aussi les difficultés physiques qui sont les plus faciles à comprendre. Là, on était au fin fond de la Chine, à 17 heures de voiture de Pékin, plus à 1 heure et demi de 4x4, plus à 20 minutes d’escalade pour accéder au décor, qu’on faisait à pied pour ne pas esquinter la steppe… Rien que ça, c’était complètement physique. On dort très peu… Et c’est des années et des années…
Et puis il y a tous les éléments du sport. Il y a la compétition évidemment. Et il y a ce désir de faire des choses de plus en plus compliquées. Quand vous êtes un jeune alpiniste, vous faites la promenade dans la montagne à vaches, et après vous voulez faire la face Nord en plein hiver… C’est comme ça, c’est une sorte de dépassement de soi, avec en plus de ça une notion qui est importante pour moi : la notion de partage. Si c’est pour faire du trekking, je n’ai pas besoin de 600 personnes avec moi ! Quand j’aime quelque chose, j’aime l’offrir, le partager. C’est le charme de mon métier.
Il y a ce désir de faire des choses de plus en plus compliquées.
Quand je suis convaincu de quelque chose, je peux faire partager mon effort, faire partager mon enthousiasme, ce que font aussi les sportifs qui procurent du rêve en faisant des choses extraordinaires, en dépassant la nature humaine. Je crois qu’il y a tout ça dans nos métiers de cinéma. Il y a ce besoin-là, cette espérance d’excellence aussi.
C’est vrai que quand on me propose de partir en vacances, je trouve ça morne, même si c'est très bien. Les vacances, je fais ça pour moi, et j'ai ce sentiment d'être égoïste. Alors que quand je fais des repérages, j'ai besoin de trouver un décor qui va signifier quelque chose. Quand je suis en vacances, j'ai besoin de trouver un endroit à l'ombre pour faire pique-nique, ce n'est pas du même noveau (rires). Il n'y a pas la même excitation. Vacances est synonyme de vacuité...
Etait-ce également un défi de tourner en Chine, en chinois ?
Zéro problème. La plupart de mes films, je n'ai pas pu les monter en France, donc j'ai été amené très tôt, par exemple pour La Guerre du feu, à m'expatrier. La Guerre du feu, c'était au Canada; Le Nom de la rose, en Allemagne; L'Ours, je l'ia tourné en Autriche; L'Amant, au Vietnam... Je me retrouve tout le temps à tourner avec des équipes, des comédiens, qui ne parlent pas ma langue.
Nous parlons tous la même langue : le cinéma. C'est le langage universel.
Mais nous parlons tous la même langue : le cinéma. C'est le langage universel, le cinéma. Vis à vis de mon équipe, zéro problème. Et pour les acteurs, ce qui compte, c'est la mise en scène, la mise en place, et le travail en amont. 60-70 % du travail du metteur en scène, c'est de choisir les bons acteurs, pas celui qui convient au financier, mais qui convient au rôle. Ensuite d'expliquer à chacun à quoi sert chaque scène et réplique. Vous avez fait le principal.
Après, là où je suis vigilant, c'est sur la qualité de la prononciation. Mais sur un film comme celui-là, on est généralement obligé de refaire le son en post-production, donc on fait revenir les acteurs qui font de la post-synchronisation. Quand il y a des problèmes de doublage, d'intelligibilité d'un mot, d'accentuation d'un mot, j'ai plein de temps devant moi pour gérer ça. Nous avons consacré un mois et demi rien que pour faire du doublage à Pékin en prenant toutes les phrases qui n'étaient pas parfaitement ciselées. Si je tourne un film en français ou en anglais, c'est pareil.
Avez-vous d'autres projets de longs métrages en Chine? Il était question d'un accord de coproduction pour trois longs métrages avec la Chine...
J'ai été reçu avec tellement de cordialité. Les premiers jours, je me suis pincé. Je me suis dit : ils m'invitent très gentiment. Au bout d'un an, je me suis dit que ça faisait un an qu'ils m'inviaitent très gentiment, des diners amicaux, respectueux... Là, ça continue. Bien sûr, je serai très heureux de récidiver. Mais c'est toujours une question de projets. Pour aller travailler en Chine, il faut qu'il y ait une vraie raison.
On m'a laissé complètement libre. Le film que vous avez vu, c'est celui qui passe en Chine, sans aucune altération.
Non seulement j'ai été très bien accueilli, mais j'ai aussi beaucoup d'affection pour mes acteurs, pour mon équipe... J'ai une famille là-bas maintenant, ce que je ne pouvais pas imaginer... Je ne pouvais pas penser que ça se passerait d'une manière aussi fluide, dans une liberté dont on ne m'avait pas prévenu qu'elle existait. On m'a laissé complètement libre. Le film que vous avez vu, c'est celui qui passe en Chine, sans aucune altération.
Donc, oui, j'ai quelques projets en tête, mais c'est trop tôt là. Je suis encore avec ce Dernier Loup que je ne vais pas quitter tout de suite. J'ai encore pas mal de pays où je dois l'accompagner. Je repars en Asie dans quelques jours.
Making of : Les comédiens du Dernier Loup
Propos recueillis à Paris, le 17 février 2015