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    We Are What We Are : "C'est encourageant de voir des films de genre présentés en festival"
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Membre de la nouvelle génération du cinéma d'horreur américain, Jim Mickle revient sur son troisième long métrage, "We Are What We Are" (en DVD le 3 septembre), dont la présentation à Deauville a fait grand bruit en 2013.

    Koch Media & Maximilien Pierrette/AlloCiné

    Exclusivement connu des fans d'horreur avec ses deux premiers longs métrages, l'Américain Jim Mickle s'est davantage fait remarquer en 2013 : auprès de ceux qui ont découvert We Are What We Are à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, ou des spectateurs du festival de Deauville, acteurs d'une projection mémorable qui s'est achevée sur une battle entre applaudissement et huées, la faute (ou grâce) à une fin surprenante. Pour le plus grand plaisir de son réalisateur, que nous avions rencontré dans la foulée.

    AlloCiné : Comment avez-vous vécu cette projection et la façon dont la fin a été reçue ?

    Jim Mickle : J'ai adoré. Je n'avais pas revu le film depuis sa présentation à Cannes [en mai 2013, ndlr] donc c'était un peu comme si je le voyais pour la première fois, surtout que j'ai tourné un autre film entre temps, donc je l'avais un peu moins en tête et c'était vraiment rafraîchissant. De plus, la salle ressemblait davantage à un public normal qu'à un public de festival, et je n'avais encore jamais vu le film dans de telles conditions.

    J'ai aimé les réactions des gens dans la salle, car je ne veux pas faire des films qui glissent sur eux et qu'ils oublient rapidement. Je veux qu'ils aient un impact sur eux et les fassent réfléchir, donc une réaction aussi violente, qu'elle soit positive ou négative, c'est très cool.

    C'est vrai que la salle était vraiment divisée en deux clans. C'était votre but que de choquer les gens, de les secouer ainsi ?

    Non. Nous savions que la scène aurait cet effet mais pour moi, sur le plan narratif, c'était la meilleure façon de clôre le récit. Et je peux d'autant plus le dire que je ne l'ai pas écrite. Nous avions plusieurs fins possibles, mais quand mon co-scénariste m'a présenté cette idée, je l'ai trouvée parfaite car elle résume tous les personnages et leur offre une fin poétique. C'est une très belle façon de terminer le film et, comme le sang ne me dérange pas, je n'y vois rien de choquant.

    Je savais néanmoins que le public réagirait face à cette scène, mais j'ignorais si ce serait bon ou pas. Ce qu'il faut c'est faire le film tel qu'on veut le faire, et laisser les spectateurs se faire leur propre avis. Au final j'ai quand même été surpris de voir combien de gens avaient aimé ce passage, et combien l'avaient détesté (rires)

    Donner une autre chance au film original

    Qu'est-ce qui vous avait plus dans le film original, "Ne nous jugez pas", pour décider d'en faire un remake ?

    Ce que j'avais aimé, c'était ce concept intéressant : l'idée de cette famille confrontée à une tragédie avec l'ombre de quelque chose très sombre qui plane au-dessus. J'avais réalisé deux films d'horreur auparavant [Mulberry Street et Stake Land, ndlr], et il est vraiment difficile d'être original et de trouver une histoire qui n'ait pas déjà été racontée un million de fois. On a tendance a toujours s'appuyer sur les zombies, les vampires ou les OVNI et le cinéma d'horreur offre de nombreuses possibilités.

    J'aime quand des gens trouvent de nouvelles façons de raconter des histoires, donc quand j'ai entendu parler de Ne nous jugez pas, j'ai trouvé l'idée terrible : elle permet de raconter l'histoire de cette famille qui traverse un moment difficile, et de faire un petit film contenu , avec de l'espace pour explorer les personnages. Et il y a le cannibalisme qui flotte sur l'ensemble. Jusqu'ici le thème ne m'évoquait que des films comiques ou vraiment extrêmes, mais rien de fragile ou délicat dans le ton.

    Je n'aime pas les remakes donc quand on m'a approché pour We Are What We Are, je ne voulais pas copier ce qu'avait fait le réalisateur original en changeant juste la langue. Mais le film avait été distribué aux Etats-Unis par la même compagnie que Stake Land : tous deux sont sortis à une semaine d'intervalle, sans pub ni rien donc ils ont vite disparu et ont été peu vus. J'ai donc vu cette proposition comme une possibilité de lui donner une autre chance tout en le respectant, et au final nos deux films sont très différents, malgré un concept et des thèmes communs, car je mets un peu de ma propre expérience dans le mien.

    Peut-on aussi le voir comme une métaphore de l'adolescence, cette période où les parents essayent de se libérer de leurs parents ?

    Totalement. Le film parle du fait de grandir mais aussi de religions organisées, surtout aux Etats-Unis, où les gens font des choses, ou prétendent les faire, au nom de Dieu et ont l'esprit tranquille ensuite. C'est une idée complètement folle et absurde pour moi qui ai grandi dans un petit village où ce genre de choses arrive souvent. Et chacun le prend en disant que c'est la vie. L'idée était donc d'évoquer ce sujet, en montrant à quel point cela peut être dangereux et puissant.

    Mais je voulais aussi raconter une histoire de passage à l'âge adulte. Ma mère a déménagé lorsque j'avais 15 ans, et ma soeur et moi avons vu notre père faire de son mieux pour nous élever, mais il était trop occupé et n'avait pas les outils pour réussir pleinement, même si c'est justement pour ça que je l'aime. C'est pour ça que nous ne présentons jamais le père du film comme un monstre, mais comme quelqu'un qui doit élever ses deux filles grâce à ce qu'on lui a toujours enseigné. L'aspect horrifique fonctionne surtout comme une métaphore.

    Koch Media

    C'est drôle que vous parliez de religions organisées car l'une de vos actrices, Julia Garner, avait joué dans "Martha Marcy May Marlene" et "Electrick Children", qui abordaient déjà ce thème. Cela a-t-il motivé votre choix de l'engager ?

    J'ai vu Martha Marcy May Marlene et j'adore ce film, qui est l'un de mes préférés de ces dernières années. Et même si c'est un film d'art et essai, je le trouve terrifiant. C'est presqu'un film d'horreur pour moi et je tenais à faire un long métrage dans la même veine, mais je n'ai pas choisi Julia dans ce but : c'est l'un de nos producteurs, Andrew Corkin, qui avait également travaillé sur Martha Marcy May Marlene, qui m'a demandé si j'avais pensé à elle après avoir lu le scénario.

    Quand il m'a expliqué de qui il s'agissait, je trouvais l'idée super. Je l'ai donc rencontrée et son agent m'avait donné une sélection de scènes d'Electrick Children, que je n'avais pas encore vu, et je l'ai trouvée très bien en mormonne. Ce qui est étrange, c'est qu'elle est totalement différente dans la vraie vie : elle est pétillante, vit en ville et est une jeune fille complètement fofolle. Mais elle est pourtant parfaite dans ces rôles de fille flippante membre d'un culte (rires)

    Vous êtes à la fois réalisateur, co-scénariste et monteur sur ce film : n'est-ce pas un peu risqué ? Y a-t-il des moments où vous aviez le sentiment de manquer de recul ?

    Oui, bien sûr que c'est risqué. Mais le fait d'être co-scénariste signifie surtout que Nick Damici écrivait et m'envoyait ses productions pour que je lui fasse des suggestions en retour. Il est meilleur que moi en ce qui concerne les personnages, mais je me débrouille mieux que lui en terme de structure, donc je lui suggérais parfois de déplacer une scène à un autre endroit du récit car je pensais que cela fonctionnerait mieux. Mais au final c'est son histoire, et je l'ai juste influencée.

    Pour ce qui est du montage, je m'y suis mis dès le lendemain de la fin des prises de vues, après une simple nuit de sommeil. Du coup je n'avais aucune distance et il m'était vraiment très difficile de prendre du recul sur l'histoire. Heureusement, ma compagne est aussi productrice et elle parvient à analyser les choses de façon très objective, donc j'ai pu m'appuyer sur elle. Je n'y serais sans doute pas arrivé sans elle et mon producteur Jack Turner, et j'ai changé de façon de faire sur mon prochain film [Juillet de sang, ndlr] : non seulement en prenant une pause d'une semaine pour venir ici, mais aussi en engageant un monteur. Comme ça je verrai la méthode traditionnelle.

    Koch Media

    Vos trois films ont un thème en commun : la maladie. Qu'est-ce qui vous fascine dans ce thème ?

    C'est un hasard en fait, car je ne cherche pas à parler de ça à tout prix. Parfois on se rend compte de ce genre de choses après coup. Mais je dirais que cela tient à cette idée de la nature qui finit toujours par l'emporter, malgré la résistance des gens. Il y a de ça dans Mulberry Street, où les gens sont impuissants face à la maladie et voient leur comportement changer. En fait je suis moins intéressé par la maladie en elle-même que par la façon dont les gens y réagissent.

    Puisque vous parlez de "Mulberry Street", votre premier long métrage : que vous a-t-il apporté en tant que réalisateur ?

    J'ai énormément appris en faisant ce film : j'ai fait une école de cinéma puis travaillé dans le milieu pendant quelques années [au département éléctrique notamment, ndlr] avant de passer derrière la caméra. J'avais quand même fait des courts métrages pendant mes études donc je possédais les bases, mais faire un long métrage m'a beaucoup appris en terme de couverture et d'endurance, afin d'être à fond sur un projet pendant trois mois, et sur la façon de diriger toutes les personnalités présentes sur un plateau. Les leçons que j'ai apprises sur ce tournage sont infinies et elles me suivent encore dans ce que je fais maintenant, en sachant que je continue d'apprendre puisque c'est appris avoir terminé un film que je me rends compte de la façon dont j'aurais dû le faire (rires)

    Encourageant de voir des films de genre en festival

    Vous appartenez à une nouvelle génération du cinéma d'horreur, aux côtés de Ti West ou Adam Wingard. Êtes-vous proches de ces réalisateurs, ou avez-vous le sentiment de l'être ?

    Je les connais de nom mais je n'ai pas vraiment eu l'occasion de les voir souvent. J'ai vu Ti à deux reprises je pense, même si nous avons des collaborateurs en commun. Même chose avec Adam Wingard, dont nous partageons le manager, mais que je ne vois pas plus alors que nous faisons à peu près le même travail. Je côtoie davantage quelqu'un comme Jeremy Saulnier, réalisateur Blue Ruin [présenté à Deauville cette même année, ndlr], car Mulberry Street et son premier long métrage ont été présentés dans le même festival, et que nous sommes allés à Cannes ensemble cette année.

    Pour résumer, je ne suis pas si proches de ces réalisateurs, mais je pense qu'il y a une espèce de compétition étrange, dans la mesure où l'on regarde ce que font les autres et l'on se dit : "Non, je ne vais pas faire ça. Ti vient juste de le faire. Ou Adam." Mais c'est une compétition enjouée : lorsqu'il faisait The Innkeepers avec mon compositeur habituel [Jeff Grace, ndlr], celui-ci m'a un jour dit que Ti voulait savoir ce qu'il avait fait pour moi sur Stake Land, afin de ne pas faire la même chose (rires) En tout cas j'aime leurs travaux et le fait de pouvoir être surpris par ce qu'ils font.

    Avant Deauville, vous êtes passés par Cannes avec "We Are What We Are", et Ti West a très bien été accueilli à Toronto avec "The Innkeepers" : avez-vous le sentiment que les films d'horreur sont aujourd'hui mieux reçus par les professionnels ?

    (il hésite) C'est une bonne question. Peut-être que oui car You're Next [réalisé par Adam Wingard, ndlr] a fait un très beau parcours dans le circuit des festivals avant de très bien marcher aux Etats-Unis. Le public de Toronto est le meilleur que l'on puisse avoir : ils font la queue pendant des jours pour voir un film, ils savent tout à son sujet avant qu'il ne sorte et la relation entre le film et les spectateurs y est incroyable. En grandissant, je suis souvent allé à Toronto en tant que fan, et j'adorais voir comment les gens réagissaient pendant les films de Séances de Minuit. C'est l'une des choses qui m'a donné envie de faire des films.

    Donc pouvoir y retourner, face à un public au sein duquel je me sentais à l'aise, pour présenter un de mes films, c'est une expérience incroyable. Un peu comme celle de ce matin. On sent qu'il y a une connexion. Les gros films d'horreur qui sortent aujourd'hui ne sont pas bons. Ils sont bêtes et insultent le public, et rares sont ceux qui essayent de faire quelque chose d'intéressant, d'original ou de nouveau. J'ai l'impression que l'on peut prendre plus de risques avec les films montrés en festivals. C'est encourageant de voir des films de genre présentés dans des festivals tels que Deauville ou la Quinzaine des Réalisateurs car il leur donnent une légitimité.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 6 septembre 2013

    "We Are What We Are" est disponible en DVD depuis le 3 septembre, et Jim Mickle sera de retour au Festival de Deauville pour y présenter "Juillet de sang", polar emmené par Michael C. Hall qu'il avait déjà emmené à la Quinzaine des Réalisateurs au mois de mai.

    La bande-annonce de "We Are What We Are" :

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