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    Les Nouveaux Sauvages n'est pas "un film traditionnel" pour Ricardo Darin

    Dans Les Nouveaux Sauvages, Ricardo Darín incarne un homme rendu fou par l'absurdité de la société moderne. L'immense comédien argentin, révélé au monde entier par le film Dans ses yeux, revient sur le film à sketches de Damián Szifron...

    BORDE-MOREAU / BESTIMAGE

    Cet entretien a été réalisé durant le 67ème Festival de Cannes, le 17 mai 2014.

    Je vous ai découvert dans le magnifique film "Kamchatka". Et c'est avec ce film que j'ai aussi découvert le cinéma argentin. Est-ce que ce film a compté pour vous ?

    Ricardo Darín : Le scénario et le livre dont Kamchatka est une adaptation est un roman écrit par Marcelo Figueras. C'est un écrivain argentin qui fait aussi des films. C'est le premier scénario que j'ai lu dans ma carrière qui m'a étonné, surtout dans la façon dont il avait structuré l'histoire. Le scénario se déroule à une période vraiment difficile, celle de la dictature militaire, mais vue à travers les yeux d'un enfant de 10 ans. Cet aspect-là m'a tellement frappé. Je suis tombé amoureux du scénario. Et j'ai dit à Figueras que j'étais à sa disposition pour faire le film. Son scénario était surprenant. Cecilia Roth, qui joue ma femme dans le film, chaque fois qu'on faisait une scène, il fallait qu'on arrête et qu'on respire, qu'on récupère. Parce que toutes les scènes, on pleurait à chaudes larmes. Et surtout en ce qui concerne les scènes, les instants de bonheur de la famille. Quand on voit ces petits moments de bonheur de cette famille, on comprend beaucoup mieux, la douleur que représente cette absence.

    Après "Kamchatka", je vous ai revu dans le film "Dans ses yeux", et mon histoire avec le cinéma argentin s'est poursuivie. Aujourd'hui vous êtes à Cannes pour "Les Nouveaux Sauvages". C'est important qu'un film argentin soit présent dans ce festival, le plus grand festival de cinéma au monde ?

    Cannes est le festival de cinéma le plus important au monde. Et pour plusieurs aspects. D'un point de vue purement artistique, on a la chance de voir des oeuvres de toutes les parties du monde, des sujets difficiles, des moments très douloureux de l'histoire de l'Humanité... C'est un endroit particulier pour le cinéma. Pour nous, c'est un honneur incroyable d'être ici à Cannes. Nous sommes aussi très agréablement surpris que Cannes ait choisi un film avec une structure à sketches. Nous avons conscience qu'il ne s'agit pas d'un film traditionnel pour le festival. C'est un défi, cela représente aussi un risque que Thierry Frémaux (ndlr : le délégué général de Cannes) et l'organisation ont décidé d'assumer. Si on regarde cela d'un autre point de vue, cette manière de faire du cinéma est aussi une ouverture pour d'autres réalisateurs jeunes, qui essaient de faire des premiers films et qui ont beaucoup de bonnes idées. Cette forme leur permet aussi d'exprimer toutes ces idées. La structure du film à sketches permet de protéger chacune de ces idées, qu'elles soient cinématographiques, qu'il s'agisse de sensations ou de visions, sans avoir besoin de surcharger le spectateur. Et en même temps on arrive à le toucher et à le faire réfléchir.

    La structure du film à sketches permet de protéger ses idées, qu'elles soient cinématographiques, qu'il s'agisse de sensations ou de visions, sans avoir besoin de surcharger le spectateur.

    Effectivement, "Les Nouveaux Sauvages" regorge d'idées de mise en scène, de thématiques...

    Damián Szifron, le réalisateur de Relatos Salvajes (ndlr : titre des "Nouveaux Sauvages" en version originale) a tellement d'idées dans la tête... Ce film n'est qu'une toute petite expression de ses idées ! D'un point de vue cinématographique, on peut dire qu'il est complètement fou. Il a trop d'idées ! Il a dû faire une énorme sélection pour ne raconter au final que six histoires. C'est incroyable.

    Quand il vous a présenté le film, vous a-t-il parlé de l'intégralité des histoires ou simplement de "votre" sketch ?

    D'après ce que j'ai compris, il n'a pas travaillé de la même manière avec tous les acteurs. Je suppose que c'est aussi pour des questions pratiques. J'ai eu la chance de lire tout le scénario, de connaître toute l'histoire. Je suppose que les autres acteurs également, mais je ne peux pas le garantir. Damián a vraiment une façon très particulière de travailler. C'est étrange (sourire)

    Qu'est-ce que cela signifie "étrange" ?

    Il n'a pas seulement des idées, mais aussi des images dans la tête. Des images très précises. Il sait exactement ce qu'il a en tête et ce qu'il veut. Il est très précis et veut l'obtenir à l'image. Et son image est ultra composée. Regardez le premier plan, mais aussi le 2ème et le 3ème. Damián a sa prise précise en tête et nous recommençons jusqu'à ce que nous l'obtenions. Et cela concerne aussi bien l'image évidemment, mais aussi la musique des paroles, l'intonation... tout ce qui fait une image cinématographique.

    Damián Szifron sait exactement ce qu'il a en tête et ce qu'il veut. Il est très précis et veut l'obtenir à l'image.

    Au-delà de la cohérence thématique générale, il est étonnant de voir comment le film réussit à garder une cohérence visuelle, malgré des épisodes radicalement opposés.

    Damián Szifron est un professionnel de la mise en scène. On pourrait même dire qu'il est obsessionnel. Et quand je dis cela, c'est positif, un compliment. Damián a par exemple beaucoup d'humour. Il rigole beaucoup sur le plateau, y compris pendant le tournage d'une scène. Il est comme un enfant qui rigole en racontant une histoire. C'est un fou ! (rires)

    Un vrai fou qui fait débuter son film avec un crash d'avion...

    Oui mais la vraie force de ce sketch réside aussi dans le fait que nous ne voyons pas l'avion s'écraser ! J'ai la chair de poule quand je raconte tout cela. Quand on lit pour la première fois le scénario du premier sketch... Parce que le film a toujours été censé débuter par cette séquence. L'ordre des sketchs a quelque bougé lors du montage. Bref, quand on lit le scénario, on comprend toujours la subtilité de ce qui va suivre, cela met tout de suite le spectateur dans le ton du film.

    Quand on lit le scénario des "Nouveaux Sauvages", on comprend toujours la subtilité de ce qui va suivre, cela met tout de suite le spectateur dans le ton du film.

    Le film commence très fort. Avec le plus drôle des crashs d'avion. Le sketch dans lequel vous apparaissez marque une rupture dans la tonalité. Vers un ton plus sombre...

    Je suis tout à fait d'accord. Mais je ne pouvais pas en avoir conscience avant. Tout simplement parce que "mon" sketch était théoriquement le dernier du film. C'est au montage que Damián a décidé de le placer finalement au milieu, pour enclencher justement cette transition tonale et parce que placer le sketch du mariage à la fin du film était la solution la plus logique en terme de rythme, car il s'agit de la plus longue séquence, mais aussi parce l'histoire du mariage a en son coeur une ouverture positive, une possibilité de réconciliation entre les personnages, ou tout du moins une lueur d'espoir.

    Ce n'est pas entièrement vrai. Votre sketch contient cette lueur d'espoir, notamment à travers la famille "recomposée"...

    Je comprends. Mais j'ai l'impression que l'esprit de mon personnage, "Bombita", est le plus proche des spectateurs, de l'esprit de ce que les spectateurs éprouvent. C'est quelqu'un qui fait ce que au fond beaucoup d'entre nous rêveraient de faire.

    La bande-annonce des "Nouveaux Sauvages" :

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