AlloCiné : Quel est votre premier ressenti à propos du palmarès ?
Franck Finance-Madureira : Un peu déçu que les deux films, qui pour moi sont les deux films les plus forts de l’année, L' inconnu du lac -qui a eu la Queer Palm-, et La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2 -qui a eu la Palme d’or-, aient été complètement ignorés des votants aux César. Ils étaient tous les deux plus ou moins dans les favoris et je suis un peu surpris de cette petite razzia du film de Guillaume Gallienne.
Qu’est ce que cela dit, signifie, selon vous ?
Franck Finance-Madureira : C’est compliqué d’analyser cela à chaud. Des trois, c’est vrai que Les Garçons et Guillaume, à table ! est le film qui a fait le plus d’entrées. C’est un film qui a marché. Cela dit peut-être que l’Académie va dans un sens un peu plus populaire qu’elle n’a pu le faire avant. Maintenant, c’est peut-être au détriment de ce qui fait la force du cinéma français justement, c’est-à-dire des schémas de production qui ne sont pas forcément calqués sur les schémas hollywoodiens.
"Peut-être que l’Académie va dans un sens un peu plus populaire qu’elle n’a pu le faire avant"
Le film "L’inconnu du lac", pour prendre cet exemple, est produit par Sylvie Pialat, Les Films du Worso : c’est une petite boîte de prod, c’est un film qui est fait avec un budget très léger, avec une équipe très très légère, décors naturels, lumière naturelle... "La Vie d’Adèle", on sait que c’est un film qui a été long à faire, mais en même temps, on voit qu'il n’a pas été fabriqué comme peut l’être un produit hollywoodien. C’est vraiment un film de metteur en scène.
Avec "Les Garçons et Guillaume, à table", j’ai plus l’impression de voir un film de comédien, de scénariste, de dialoguiste, mais pas un grand film de réalisateur. C’est une bonne comédie, un film sympa, mais ça reste un peu ambigu sur l’idéologie que ça défend, du garçon qui est « sauvé » par une fille, et qui, « ouf, ne deviendra pas PD » !
"ça reste un peu ambigu sur l’idéologie que ça défend, du garçon qui est « sauvé » par une fille, et qui « ouf, ne deviendra pas PD !»"
Vous voulez dire qu'il y a un décalage entre les nominations qui laissaient entrevoir une sorte de vent de liberté, de passion, de toutes les passions, et au final, ces résultats qui mettent en avant un cinéma plus politiquement correct…
Franck Finance-Madureira : Disons que "La vie d’Adèle", "L’Inconnu du lac", et puis à sa manière le film de Guillaume Gallienne qu’on classe aussi dans cette même thématique de genre et d’altersexualité, c’était un peu nouveau. C’est la première année qu’il y a trois films qui parlent de ces sujets-là, qui plus est trois films cannois, qui donc étaient en compétition chez nous pour la Queer Palm. Ca donnait un petit vent de fraicheur.
Pendant la cérémonie, on a vu Beth Ditto arriver, plein de choses qui donnaient envie au début de la soirée… Et c’est un peu retombé comme un soufflet parce que les votes ont été très dispersés. Et en même temps, la question peut se poser : est-ce que ces thématiques-là font peur, font encore peur ? "La vie d’Adèle", c’est quand même deux filles qui baisent… "L’inconnu du lac", ce sont des mecs qui draguent dans un bois … Est-ce que cela n’est pas encore un truc qui fait peur à l’ Académie…
Il faut surtout se demander : comment faire en sorte que l’Académie se renouvelle un peu plus, en terme d’âge, de profession… Il y a des choses qui sont évoquées notamment sur des César qui n’existent pas, comme le maquillage, la coiffure… C’est important, Guillaume Gallienne le rappelait pendant la soirée. Il y a aussi l’affiche, qui est importante pour un film. Il y avait un César qui a été supprimé. Il y a plein de créations autour d’un film qui sont importantes.
Il y a plein de choses à développer, ça pourrait peut-être rajeunir le panel, amener des gens un peu nouveaux, rééquilibrer entre créatifs et techniciens au sein du cinéma, avoir des votes qui seraient peut-être un peu différents... Je ne sais pas. Le fait que "La vie d’Adèle" et "L’inconnu du lac", doivent se contenter des prix –ô combien importants- que sont les espoirs pour Adèle Exarchopoulos et Pierre Deladonchamps… Espoir, le terme est peut-être significatif…
Propos recueillis par Brigitte Baronnet et Laetitia Ratane, le 1er mars 2014
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