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    Helena Wolinska-Brus : les trois vies terrifiantes du personnage de la tante d' "Ida"
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Avec "Ida", en salle ce mercredi, le réalisateur Pawel Pawlikowski signe un drame bouleversant, où l’intime se mêle douloureusement aux souvenirs laissés par l’occupation nazie de la Pologne. L'occasion de revenir sur l'histoire d'Helena Wolinska - B

    Dans la Pologne farouchement communiste des années 1960… Avant de prononcer ses vœux, Anna, jeune orpheline élevée au couvent, part à la rencontre de sa tante, seul membre de sa famille encore en vie. Elle découvre alors un sombre secret de famille datant de l’occupation nazie du pays…

    Tourné en noir et blanc, avec une mise en scène épurée qui pourrait parfois confiner à l’austérité, Pawel Pawlikowski signe avec Ida un drame bouleversant, où l’intime se mêle douloureusement aux traces  laissées par l’occupation nazie de la Pologne.

    Helena Wolinska - Brus, une vie singulière et terrifiante

    Pour incarner Wanda, la tante d’Ida, le metteur en scène a fait appel à une actrice expérimentée, Agata Kulesza. "Elle fut de loin la meilleure de toutes les actrices que j’ai pu auditionner" explique le réalisateur ; "le contraste entre son tempérament naturel intense et la forme contraignante de notre film créait une bonne tension".

    De gauche à droite : Agata Kulesza dans le rôle de "Wanda", un personnage inspiré de Helena Wolinska-Brus, et Agata Trzebuchowska, alias "Ida" / © Memento Films Distribution

    Son personnage est complexe, ambiguë, et ne doit rien au hasard. Il est en effet inspiré de quelqu'un que le cinéaste a recontré. "Etudiant à Oxford au début des années 1980, j’ai connu un professeur d’économie en exil, chassé de Pologne en 1968. Un marxiste réformiste qui, un jour, m’a invité à un dîner chez lui où j’ai rencontré son épouse, une personnalité extrêmement drôle, généreuse" raconte le cinéaste. "Je les ai ensuite perdus de vue avant d’apprendre par la BBC, dix ans plus tard, que le gouvernement polonais demandait à la Grande-Bretagne l’extradition de cette femme, Helena Wolinska - Brus, afin qu’elle soit jugée pour crimes contre l’humanité…"

    "Jamais je ne retournerai dans le pays d'Auschwitz – Birkenau, je ne bénéficierai pas d’un procès équitable "

    C’est que Helena Wolinska - Brus a une histoire personnelle aussi singulière que terrifiante. Une vie de résistante antinazie farouche, d’autant plus recherchée par l’occupant qu’elle était aussi de confession juive. Une vie de bourreau dans la Pologne d’après-guerre, où elle joua un rôle clé dans l’appareil d’état communiste envoyant à la torture et à la mort les opposants –mêmes suspectés- du régime. Une vie d’exil enfin, de quarante ans, avant d’être rattrapée par la Justice. Une histoire à bien des égards hors-normes, qui mérite d’être racontée.

    Agata Kulesza (droite) et Agata Trzebuchowska (gauche) -  © Memento Films Distribution

    Les trois vies de Helena Wolinska - Brus

    Née Fajga Mindla Danielak au sein d'une famille juive à Varsovie le 27 février 1919, Helena grandit dans une période déjà trouble pour les personnes de confession juive, en particulier en Europe Centrale. La mort du chef de l'Etat en 1935, le Maréchal Pilsudski, ravivent les tensions envers la communauté juive, cible de la vindicte de l'extrême-droite, notamment au sein des Universités. Marquée à l'extrême gauche, Helena rejoint quant à elle une organisation communiste clandestine , et se marie juste avant que n'éclate la Seconde Guerre Mondiale.

    Helena Wolinska - Brus, dans son uniforme de Lieutenant - Colonel, après la guerre.

    Durant l'occupation Nazie de la Pologne, tous les deux perdent leurs familles. Séparée de son mari dans la tourmente, elle devient la maîtresse de Franciszek Jóźwiak, le commandant de la Gwardia Ludowa, organisation clandestine armée du Parti des Travailleurs Polonais. Jóźwiak deviendra commandant de la police politique dans la Pologne de l'après-guerre. Helena parvient à s'enfuir du terrible Ghetto de Varsovie. Endurcie par les épreuves de la guerre, elle soutient clairement le coup de force soviétique sur le régime polonais après la guerre. Elle s'affiche même au bras d'un chef de la police politique stalinienne, et membre du Politburo du Parti des Travailleurs Polonais.

    Une carrière de procureur stalinien

    A compter de 1949, avec le grade de Lieutenant-Colonel, elle s'engage activement en tant que procureur dans la poursuite des anciens membres de l'Armia Krajowa, le plus important mouvement de résistance polonais en action durant la Seconde Guerre mondiale, formant l'aile armée de ce qui fut connu sous le nom d'État secret polonais. Bien que dissoute en janvier 1945, ses ex-membres restent autant d'épines dans le pied de Staline...

    Emil August Fieldorf, héros de la résistance polonaise face aux Nazis, condamné à mort par Helena Wolinska - Brus. Exécuté par pendaison en 1953. Sa famille n'a jamais pu récupérer le corps.

    "Qu'est-ce que vous croyez ? Que j'étais assise à boire du café ?" lança l'intéressée en 1998 à la journaliste américaine Anne Applebaum, future Prix Pulitzer en 2004; "on était très occupé à cette époque !" Effectivement. Occupée à pourchasser notamment de grandes figures de la résistance anti-nazi, comme le général Emil August Fieldorf, un héros de la résistance, désormais déclaré traître.

    Sa fille, Maria, apprendra des années plus tard le terrible sort de son père. Il passera 23 mois en isolement, torturé aussi, avant d'être exécuté par pendaison en 1953. "Helena Wolinska-Brus est une de ces carriéristes qui étaient les piliers du régime dictatorial" dira-t-elle. "Tous les jours ou presque j'allais dans les bureaux du procureur demander des nouvelles de mon père. Un jour, ils m'ont dit : "ne reviens pas, n'envoies plus d'argent, de cigarettes ou de nourriture. On a pendu ton père". Ce fut une expérience terrible, et depuis ce jour, je me suis juré de le leur faire payer". Maria Fieldorf jouera effectivement un rôle dans la première tentative d'extradition de Wolinska, en 1999.

    Les historiens pointent aussi le nom de Wolinska - Brus dans les arrestations arbitraires, condamnations et exécutions de personnes ayant aidé les juifs en Pologne pendant la guerre, des membres de la Zegota, la Commission d'aide aux Juifs clandestine qui opéra en Pologne entre 1942 et 1945.

    Du travail de bourreau à l'exil forcé

    En 1956, dans la foulée de la mort de Staline survenue trois ans plus tôt, le régime communiste polonais s'ouvre un peu. Durant les événements qualifiés d'Octobre polonais, nom donné à la courte période de dégel qui suivit la nomination de Wladyslaw Gomulka à la tête de la République populaire de Pologne en octobre 1956, Helena Wolinska - Brus est destituée de ses fonctions de procureur. En 1968, à la faveur d'une grave crise politique doublée d'une vague d'antisémitisme, elle est forcée de s'exiler avec son mari en Grande-Bretagne.

    © Memento Films Distribution

    Ce n'est que bien des années après la chute du Rideau de fer, en 1999, qu'Helena Wolinska - Brus est inquiétée par la Justice de son pays. Accusée de crimes et de génocide par les Autorités polonaises, la demande d'extradition est pourtant refusée par le British Home Office (le Bureau de l'Intérieur), d'autant que Wolinska a désormais la nationalité britannique...Une nouvelle demande d'extradition est refusée par le gouvernement britannique en 2001. Refus motivé par l'âge avancé de Wolinska (82 ans), et une période de prescription des faits reprochés, vieux de 50 ans. "Jamais je ne retournerai dans le pays d'Auschwitz - Birkenau" dira-t-elle dans une interview accordée au journal The Guardian, arguant le fait qu'elle ne bénéficierait pas d'un procès équitable, notamment "pour des raisons d'antisémitisme".

    La tombe d'Helena Wolinska - Bus au cimetierre de Wolvercote, à Oxford.

    En 2004, la Pologne rejoint l'Union Européenne. Et elle n'a pas oublié Helena Wolinska - Brus. En janvier 2006, sa pension de retraite de procureur est révoquée, et le président polonais signe un décret la radiant de l'ordre Polonia Restituta; la seconde plus haute décoration civile polonaise, qu'elle reçut alors qu'elle était en pleine activité de procureur, en 1954. En 2007, un mandat d'arrêt européen est délivré contre elle; 3e tentative d'extradition. Mais elle meurt sans être inquiétée, en Grande-Bretagne, à Oxford, en novembre 2008. Etrangement, elle fut enterrée en toute discrétion deux jours avant que la date des funérailles ne soit annoncée.

    Olivier Pallaruelo

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