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    "La Marche" : "Il fallait faire ce film contre vents et marées" selon Nabil Ben Yadir et Tewfik Jallab

    À l'occasion de la sortie de "La Marche", attendu sur nos écrans le 27 novembre, rencontre avec le réalisateur Nabil Ben Yadir et le comédien Tewfik Jallab.

    © 2013 / CHI-FOU-MI PRODUCTIONS / EUROPACORP / FRANCE 3 CINEMA / KISS FILMS / ENTRE CHIEN ET LOUP / L’ANTILOPE JOYEUSE / Marcel Hartmann / Thomas Bremond

    Comment cette histoire est-elle venue à vous ?

    Nabil Ben Yadir : Je ne connaissais pas vraiment l’histoire de la Marche, seulement la fin en fait. J’ai des souvenirs d’un rassemblement, mais je n’aurais jamais imaginé que c’était des jeunes des Minguettes, inspirés par Ghandi, qui avaient créé ce mouvement naïf, utopique. C'est une histoire que je trouve extrêmement cinématographique. Et puis, je me suis posé plusieurs questions : comment se fait-il que, grande gueule comme je suis, je ne sois pas au courant de cette histoire ? Comment se fait-il que les gens ne se la soient pas appropriée ? Comment se fait-il que 80% des moins de 30 ans ne la connaissent pas ? Ça c’est le deuxième moteur. Et le troisième, c’est la rencontre avec les vrais marcheurs, qui a été le dernier coup d’accélérateur pour se dire qu’il fallait faire ce film, contre vents et marées.

    Tewfik Jallab : Moi, j'ai pris un cours d'histoire en lisant le scénario. Le film fait exactement son travail, c'est-à-dire informer les gens sur cette histoire vraie qui a eu lieu et qu'il ne faut pas oublier.

    "Il fallait faire ce film, contre vents et marées"

    Les relations à l’intérieur du groupe : dans quelle mesure sont-elles vraies ?

    Tewfik Jallab : Tout est réel. Vous savez, ils se sont pris la tête. Forcément, il y a des jours où ils étaient mal lunés. Ils avaient fait 30 bornes, ils étaient mort. Et puis parfois ils hésitaient, ils doutaient, ils avaient envie d’arrêter, il fallait se remotiver… Ça reste des mecs qui ont 20 piges, qui n'ont jamais voyagé, qui découvrent la France, etc. Ils se tapaient des bonnes barres de rire. Ils se vannaient toute la journée mais ils savaient qu’il y avait un message profond, ils se découvraient les uns les autres. Ça a été une aventure extraordinaire et là on est dans la réalité, là on est proche du film. L'épisode de la croix gammée n’a pas eu lieu sur le mouvement de la marche mais il a eu lieu à Bondy à la même période : c’était une spécialité en France, le cutter c’était l’arme préférée des racistes et on allait jusque dans l’os pour que les gens soient marqués à vie. Sinon, tout ce qui s’est passé dans le film est réellement arrivé et je vais même vous dire, on a gommé beaucoup de choses, parce que ça aurait été insoutenable.

    De gauche à droite, Vincent Rottiers, Tewfik Jallab, M'Barek Belkouk, Charlotte Le Bon, Olivier Gourmet et Jamel Debbouze © CHI-FOU-MI PRODUCTIONS

    Nabil Ben Yadir : Les gens les attendait avec des fusils et c’est leur non-violence, leur inconscience qui leur a permis de survivre. C’est ce que disait Jamel, il faut avoir de l’inconscience, de la naiveté pour traverser une autoroute les yeux fermés et c’est ce qu’ils ont fait. Leurs parents les ont pris pour des fous, des inconscients, des allumés, mais c’est la naïveté qui a été leur premier moteur. Parce qu’ils y ont cru. Oui, je pense qu’il faut un peu d’inconscience pour pouvoir faire de grandes choses.

    "Il faut un peu d’inconscience pour pouvoir faire de grandes choses"

    Et les Renseignements Généraux dans tout ça ?

    Tewfik Jallab : Ils étaient là au départ pour court-circuiter la Marche et très vite, quand ils ont vu l’ampleur que ça prenait, on leur a dit : "Protégez-les" - parce qu’ils recevaient beaucoup de menaces les marcheurs - "Protégez-les car il ne faut pas en faire des martyrs". Et puis certains RG sont devenus réellement des marcheurs. Et ça, c’est vrai. Donc c’est magnifique.

    Les marcheurs se sont dit dépossédés de leur combat. Pourquoi ?

    Tewfik Jallab : Vous savez, ils étaient partis avec un objectif qui était celui de marcher pour l’égalité et contre le racisme. Alors c’est très naïf comme démarche, mais elle est grande et belle. Simplement, quand on arrive à Paris avec 100 000 personnes, le message a dépassé le messager.

    "SOS Racisme a divisé la France en deux"

    Nabil Ben Yadir : On a entendu parler de SOS Racisme juste après. Ils ont divisé la France en deux, en disant : "il y a les victimes, il y a les bourreaux, il y a les racistes, il y a les anti-racistes". C’est à l’opposé du message initial. Les marcheurs disaient : on est tous Français, on est tous pareil, unissons-nous. Et le fait que tout ça se soit politisé les a un peu dérangés.

    Tewfik Jallab : Ils se sont dit que, peut-être le message n’était pas réellement passé au bon endroit. Forcément la politique prend le pouvoir, on voit quelque chose qui fonctionne, qui est « en marche » (sans mauvais jeu de mots) et puis on le récupère. Et eux, on les laisse un peu de côté parce qu’ils étaient ce qu’ils étaient.

    Nabil Ben Yadir : Toumi Djaidja, c'est quelqu’un qui a disparu de la circulation et de la scène médiatique juste après la Marche parce que c’était quelqu’un d’innocent, d’humaniste, de totalement apolitique, donc finalement moins intéressant… pour certains. Quand je l’ai rencontré, je suis tombé sur Ghandi. Ghandi habite à Vénissieux.

    Selon un sondage, seulement 19 % des Français se souviennent de cette marche : Comment expliquez-vous cette amnésie collective ?

    Nabil Ben Yadir : Moi je préfère dire le contraire : 80% de la population n'est pas au courant. Je trouve ça hallucinant. Cette histoire a été un peu déformée : on est passé de "Marche pour l’égalité et contre le racisme" à "Marche des beurs" et c’est la pire chose qui pouvait arriver au mouvement. Le film prouve que c’est la marche des Français. C’est une histoire qui a été chaque fois réécrite au fur et à mesure. Et le sens même de cette histoire, très peu de personnes le connaissent, or plein de gens se sont appropriés cette Marche. Mais quand on regarde les images d’archives, on se rend compte qu’ils étaient juste à Paris. Et c’est important de leur dire : "Non vous n’étiez pas des marcheurs. Vous avez accueilli les marcheurs, mais les vrais marcheurs de 1983, c’est eux."

    "C’est dur pour un pays de se dire on a fait du mal"

    Tewfik Jallab : C’est dur pour un pays de se dire on fait du mal, on a fait du mal. C’est très dur de s’excuser, ça veut dire que l’on admet avoir été faible, avoir fait des choses qui sont horribles. Un pays qui pardonne, un pays qui s’excuse, ça fait avancer beaucoup de choses et on en est les premiers témoins. Nous, notre but, c’est d’inscrire La Marche dans les manuels scolaires. Parce que les années 80 c’est pas seulement les radios libres, c’est pas seulement Michael Jackson qui vend Thriller, c’est aussi La Marche.

    Jamel Debbouze et Olivier Gourmet© CHI-FOU-MI PRODUCTIONS

    Vous pensez que l’esprit de la Marche s’est éteint aujourd’hui en France ?

    Tewfik Jallab : La Marche c’est éternel. La lutte contre le racisme ou l’égalité c’est un chantier permanent. Le métissage va régler pas mal de choses, je crois que l’éducation c’est la base. Et puis il y a aussi, la culture, l’ouverure d’esprit… Ce sont des choses sur lesquelles il faut peut-être réorienter la politique.

    Propos recueillis à Paris le 14 novembre 2013 par Mathilde Degorce

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