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Et si nous étions tous espionnés ? Et si Big Brothers avait bel et bien un oeil sur tout ce que nous faisons ? C'est le parti pris de Person of Interest, drama ambitieux et intelligent lancé mardi 06 mars en prime-time sur TF1. Créée par Jonathan Nolan, scénariste de Memento ou encore de The Dark Knight, Person of Interest se déroule dans une Amérique post-11 septembre et développe une idée aussi effrayante que plausible : l'existence d'une machine qui nous espionne tous, partout, à toute heure de la journée et de la nuit, par l'intermédiaire des vidéo surveillance, des appels téléphonique et des e-mails. Conçue spécialement pour détecter en avance les actes terroristes et ainsi permettre au Gouvernement de les empêcher, la machine ne s'arrête pas à ça. En réalité, elle identifie en avance tous les autres crimes violents et les personnes qui seront impliquées, qu'elles soient victimes ou coupables. En secret et dans l'ombre, deux hommes diamétralement différents vont unir leurs forces pour empêcher que ces crimes - que le Gouvernement juge "non pertinents" - ne se produisent : Harold Finch, le concepteur de la machine, et John Reese, un ancien des forces spéciales présumé mort...
Véritable succès aux Etats-Unis (voir les audiences), le show allie un côté procédural - une affaire par épisode - à une mythologie de plus en plus foisonnante où les flashbacks, les fils rouges, les personnages récurrents et les secrets nous sont dévoilés au fur et à mesure du temps. Mais, Person of Interest est aussi une pure série d'action - mêlant des scènes aussi fun qu'impressionnantes - où l'importance des personnages est primordiale. Au coeur de l'intrigue, le duo formé par Mr Finch (Michael Emerson) et Mr Reese (Jim Caviezel) est certainement l'un des aspects les plus intéressants de la série. Dôtés d'un passé aussi flou que fascinants, les deux héros - pourtant partenaires - sont des solitaires qui se cachent l'un l'autre des tas de secrets... Qui est donc Finch, ce milliardaire introverti et boiteux ? Qui est donc Reese, ce pro de la gâchette, cet homme de la situation blessé par la vie ? Autour deux, la série déploie également deux autres personnages réguliers : les représentants de la loi que sont le détective Carter (Taraji P. Henson) et le détective Fusco (Kevin Chapman), qui vont croiser la route de ces deux hommes pas comme les autres...
Les quatre protagonistes de "Person of Interest" © CBS
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La semaine dernière, nous avons pu nous rendre à New York afin d'assister au tournage des épisodes de la série. L'occasion également de rencontrer le casting ! Au fur et à mesure de la diffusion, vous pourrez ainsi découvrir sur Allociné une nouvelle interview. Cette semaine, c'est au très magnétique Michael Emerson, l'ancien Benjamin Linus de "Lost", que nous avons décidé de vous confronter. Acteur habitué aux rôles ambigus, Emerson est aussi chaleureux qu'intéressant. La preuve avec cette interview !
Allociné : Bien que "Person of Interest" soit une création signée Jonathan Nolan, elle marque aussi votre deuxième collaboration avec J.J. Abrams après "Lost"...
Michael Emerson : Oui, c'est comme cela que ça s'est passé. J'ai lu le pilote de Person of Interest dans les bureaux de Bad Robot (la société de production de J.J. Abrams). Nous travaillions alors ensemble sur un projet après Lost mais ça n'avait finalement pas marché.
C'était le pilote avec Terry O'Quinn ?
Oui, c'est bien ça. Donc, j'étais dans les bureaux et je me disais : "C'est vraiment dommage, j'aimerai vraiment retravailler. Allez, on est à Bad Robot, il y a des scripts partout, des tonnes de scripts ! Et quelque part, parmi tout ça, se cachent de très bons scripts ! Donnez-moi quelque chose à lire !" Et ils m'ont dit : "Nous avons ce script de Jonathan Nolan". Ca me disait bien car je savais qui il était, je le connaissais de réputation. J'admirais son travail, surtout pour Memento, Inception... Tout ces films sont sombres et mystérieux mais ce sont aussi des puzzles. Des puzzles cérébraux et j'adore ça. Lost était aussi en quelque sorte un puzzle. Et J.J. Abrams adore aussi les puzzles, toutes ses séries sont des puzzles. Quand je l'ai lu, je me suis dit que c'était ce qu'il me fallait. C'est noir, urbain, c'est paranoïaque et ça se déroule dans une ville qui grouille de partout avec une telle condensation humaine, de tels chevauchements de vies et tellement de surveillance. Tellement de choses se passent derrière les surfaces, derrière les façades... Et il y avait cette atmosphère noire et c'est quelque chose qui me parle. Je savais aussi qu'on pouvait faire confiance à Jonathan Nolan pour établir un récit puissant, des dialogues solides et une vraie écriture. Il avait de bons états de service et J.J. l'aimait beaucoup. Quand j'ai étudié mon personnage, je me suis dit : "Enfin, un personnage héroïque." Mais, qui n'allait pas dans l'emballage conventionnel du héros tel qu'on l'entend. Un homme estropié avec des lunettes et des milliards de dollars. C'est tellement intéressant... Tout sonnait juste. Ensuite, on ne peut pas savoir ce que ça va donner et si ça va marcher. Mais, lorsqu'on choisit un script pour tourner un pilote et qu'à la base, on se dit déjà qu'il s'agit de quelque chose de cool, ça donne envie d'y aller.
Et vous ne vous êtes pas trompé puisque la série va beaucoup plus loin que ce qu'on imagine au départ. Même si elle a des éléments procéduraux, elle développe une mythologie et un passé pour chaque personnage... C'est une série très intelligente.
Oui, nous avons toujours le mystère de la semaine, l'affaire de la semaine, mais en même temps des fils rouges, des arcs narratifs importants sur le passé des personnages et sur l'histoire de la machine.
Et dans "Person of Interest", il y a aussi des nombres. Ca vous poursuit !
Oui, c'est vrai. Un nouveau puzzle. Des nombres sur un bout de papier. Des nombres sur un compteur. Et ce qu'il y a derrière ces nombres : tellement de codes, tellement de puzzles à résoudre... C'est tellement mieux ainsi.
La série n'est pas fantastique et frôle même le réalisme. Cela ne serait pas totalement fou d'envisager qu'une telle machine puisse véritablement exister...
Oui, c'est tout à fait imaginable. La technologie existe. Aux Etats-Unis, nous avons des lois pour empêcher la surveillance intérieure mais cela ne signifie pas qu'il n'existe pas quelque part une machine capable de le faire, si jamais cela devenait légal. Cela ne veut pas non plus dire qu'ils ne l'utiliseraient pas, que ce soit légal ou pas.
D'ailleurs, cet aspect-là est traité dans la série puisqu'on a affaire à des autorités aux desseins plus qu'ambigus, la CIA est même représentée comme un organisme très nébuleux. Du coup, il y a un vrai esprit de rébellion qui se dégage de l'activité de Finch et Reese. Ils travaillent ensemble avec et contre les autorités légales...
C'est vrai. Il y a aussi un sens de l'isolement. Ils n'ont aucun allié. Même les autorités sont parfois leurs ennemis, à la CIA, au sein de la police, au sein du Gouvernement. Dieu sait qui a un oeil sur la Machine en réalité...
Ca c'est du teasing !
(Rires) Restez à l'écoute...
Comment décririez-vous la relation entre Reese et Finch ? Comme deux âmes solitaires qui finissent par se rencontrer ?
Oui. Comme deux hommes désespérés qui se sont engagés dans un véritable acte de foi pour s'unir dans une mission suicide. C'est un exercice de confiance phénoménal dans lequel ils s'engagent...
C'est-à-dire ? Pour tous les deux qui ne font confiance à personne d'autre qu'à eux-mêmes ?
Tous les deux ont appris à ne faire confiance à personne, car ils sont tous les deux considérés comme morts. Et cette dernière continue de les attendre à chaque coin de rue. Ils ont même une prise très fragile sur l'existence. Pour eux, faire simplement le compromis de former une équipe est, en un sens, un acte de foi. C'est une collaboration très complexe et leur relation l'est forcément elle aussi. C'est une relation froide mais elle se réchauffe avec le temps. On voit de l'humour naître entre eux, plus de chaleur et un sens de la loyauté pour le danger qu'il partage, le sacrifice qu'ils ont en commun. Il y a un côté âme soeur dans un certain sens. Reese a été soigneusement choisi par Mr Finch. Combien d'années Finch a regardé les faits et gestes de Reese avant de décider que c'était le bon. Le bon candidat avec qui il pourrait travailler, en qui il estimait pouvoir avoir confiance, qui comprendrait et qui ressentirait le même besoin de rédemption de Mr Finch.
La rédemption est effectivement l'une des thématiques principales du show. Tous les personnages éprouvent le besoin de se repentir, même Lionel Fusco, le détective avec qui ils collaborent.
Tellement d'expiations à faire... C'est un beau thème. (pause) Oui, on oublie à quel point Fusco faisait partie des damnés et, maintenant, il essaie de revenir dans le droit chemin.
Seule Carter semble ne pas changer. Elle était droite avant et elle l'est toujours après sa rencontre avec l'homme au costume.
Elle est constante. Mais, elle a vu le côté sombre lorsqu'elle était au service de l'Armée. Elle a donc, à mon sens, un certain raffinement dans le sens où elle comprend pourquoi ces hommes ont choisi cette mission et ces méthodes.
Dans la série, Finch est très souvent décrit comme une personne très secrète, il a beaucoup de secrets. Pensez-vous qu'il soit le personnage le plus paranoïaque de la série ?
Il a des raisons d'être paranoïaque. Mr Reese est tout aussi secret. Mais, pour lui, cela résulte d'une question de profession, d'entraînement. Mais oui, Finch est paranoïaque mais, malgré tout, il sort et voit le monde. Un autre choix aurait pu être de le voir uniquement dans la bibliothèque, qu'il ne sorte jamais mais ce n'aurait pas été aussi drôle. Cela n'aurait pas créé les situations amusantes qui existent aujourd'hui lorsque Mr Finch doit sortir et agir sous couverture.
Et c'est pareil pour vous...
Oui, c'est beaucoup plus drôle pour moi aussi...
Est-ce que c'est dur pour vous de jouer son handicap, de devoir boiter, de montrer la douleur qu'il porte tout le temps en lui ?
Je n'y pense pas. La façon dont il se tient physiquement suggère la douleur physique qu'il ressent à chaque instant. Mais, comme tant d'autres gens, il dépasse cette douleur. Cela n'arrive que de temps en temps de l'entendre dire : "aie" (rires).
Une autre idée intéressante de "Person of Interest" est de suggérer l'idée de l'amour. On ne présente pour le moment pas d'histoires d'amour mais on sait qu'il y en a eu. De ce fait, l'amour l'absence et la perte flottent sans arrêt au-dessus de la série.
Cet espace vide dans la vie de Mr Finch, vous le comprendrez plus tard dans la saison. Vous verrez qui remplissait autrefois cet espace, vous verrez qui a été perdu et laissé derrière. Qui était aimé. C'est un beau développement...
Après "Lost" où votre interprétation de Benjamin Linus était plus qu'ambigue, vous êtes à nouveau choisi pour incarner quelqu'un bourré de secrets... Qu'est-ce que ça vous fait ?
J'aime ça. J'aime Mr Finch. J'aime devoir deviner. Quand je regarde un film ou une série, je suis plus intéressé par les personnages que je n'arrive pas à cerner. Je suis content de jouer dans ce mode et d'avoir ce genre de rôles. Tous les acteurs ne sont pas à l'aise avec l'ambiguité, ou du moins comme je le suis. Ca me plaît. Je pense que c'est comme le monde dans lequel on vit. On lutte tellement pour comprendre les gens, même les gens les plus ouverts, même ceux que l'on voit tous les jours. On ne peut pas savoir ce qu'ils ont dans la tête, ce qu'ils ont sur le coeur, tout le temps. En plus du fait que ce soit intéressant à jouer, je trouve que cela respecte ce qu'est la nature humaine.
Et justement, êtes-vous enfin parvenu à cerner Mr. Finch?
Oh non. Les scénaristes continuent de me montrer de nouvelles dimensions de sa personnalité.
Plusieurs de vos anciens compagnons de "Lost" sont apparus dans la série. Ken Leung, Alan Dale, Mark Pellegrino... Comment cela s'est passé ?
Oui, Mark Pellegrino était génial dans la saison 2, c'était un bel épisode. Beaucoup de très bons acteurs ont travaillé sur Lost. Etant donné que Person of Interest est en partie une production Bad Robot, certains de ces acteurs sont connus des producteurs et en sont aimés. Mais, il y a aussi le fait que plusieurs acteurs de Lost vivent aussi à New York et ils sont disponibles pour venir jouer dans la série. C'est toujours sympa quand on a des acteurs de Lost qui viennent, ça donne un sentiment de réunion.
Qu'en est-il de Terry O'Quinn ? Quand viendra-t-il vous rendre visite ?
Il vivait ici. Il n'a déménagé que ce mois-ci. Je le voyais tout le temps lorsqu'il était dans 666 Park Avenue. Et maintenant, il est parti, je suis triste ! La série était tournée ici mais elle a été annulée, et il est parti pour Hawai. Il me manque. Nous sommes de très bons amis.
ATTENTION SPOILERS SAISON 2 !!!
Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur la saison 2 ?
Je peux vous dire que la série était déjà très compliquée mais qu'en seconde saison, le degré de complexité s'intensifie... De même, le nombre d'adversaires auxquels Reese et Finch vont devoir se confronter augmente et ils vont rencontrer beaucoup plus de dangers, semaine après semaine. Certains d'entre eux viendront de l'aspect privé de leur vie ou de l'intérieur de notre propre gouvernement, de notre propre police. Ils seront assaillis. Il y aura aussi des développements approfondis concernant la nature de la Machine. On apprendra à connaître la Machine beaucoup mieux. La Machine deviendra comme un personnage à part entière et de manière très intéressante. Restez à l'écoute... (rires)
A quel point la machine est-elle intelligente ?
Bonne question. Vous verrez les choses différemment après avoir vu la deuxième saison... (Pause) Nous savons que la Machine est un outil gigantesque, une super collectionneuse d'informations en quelque sorte. Mais, si la Machine avait de l'initiative ? Si elle pouvait se démarrer elle-même ? Si elle pouvait choisir ses propres projets ? Si ce genre d'éléments était présent, ce serait intéressant...
Que la Machine soit comme un être humain ?
Oui... Et si la Machine avait quelque chose comme une personnalité propre ? Mais, je ne sais pas...
Raphaëlle Raux-Moreau
Propos recueillis à New York le 23 février 2013