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    Polémique sur "Django Unchained" : 4 questions à l'Historien François Durpaire

    Alors qu'une vive polémique a entouré et un peu écorné aux Etats-Unis la sortie de "Django Unchained", notamment sur le thème du film mais surtout sur l'usage du mot "Nigger" dans l'oeuvre de Tarantino, nous avons posé quelques questions à François Durpaire, historien, spécialiste des Etats-Unis et des minorités.

    Attendu dans les salles ce mercredi, Django Unchained a alimenté ces dernières semaines une vive polémique aux Etats-Unis, notamment entre Spike Lee et Quentin Tarantino, en raison de la manière dont il aborde l'esclavage aux Etats-Unis mais surtout l'usage du mot "Nigger" dans le film. Un mot particulièrement tabou au pays de l'oncle Sam.

    Nous en avons profité pour poser quelques questions à François Durpaire, historien, spécialiste des Etats-Unis et des minorités. Agrégé d'histoire en 1996, auteur d'une thèse de doctorat soutenue en 2004 sur le rôle des Etats-Unis dans la décolonisation de l’Afrique noire francophone (1945-1962), il enseigne depuis 2007 à l’IUFM de Versailles (Université de Cergy) où il est en charge de la formation des enseignants. Membre du Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage, il est l'auteur de plusieurs ouvrages. Dernier ouvrage paru : Histoire des Etats-Unis, dans la collection Que sais-je ? (PUF, 2013). On lui doit également le documentaire Barack Obama : un rêve métissé, produit par BBC Worldwide. Il tient régulièrement un blog, consultable ici.

    AlloCiné : Une vive polémique est née dernièrement, autour de l’usage du mot "Nigger" dans le film de Tarantino, qui a notamment pour toile de fond l’esclavage. Comment peut-on expliquer qu’une telle polémique naisse alors qu’il s’agit avant tout d’une œuvre de fiction ?  Pourquoi ce mot est-il si tabou aux Etats-Unis, et même semble-t-il chez les journalistes ?

    François Durpaire : Ce mot est très légitimement tabou aux Etats-Unis aujourd'hui. Sa connotation est très fortement raciste et dégradante. La question est cependant de savoir si ce terme peut être utilisée dans une oeuvre historique, comme c'est le cas du film de Tarantino. Et cela semble incontournable. Comment désigner les "Noirs" au XIXe siècle sans utiliser les mots de cette époque ? Utiliser la terminologie présente - "Blacks" ou "African Americans" apparaitrait totalement anachronique, voire ridicule.

    AlloCiné : Spike Lee a annoncé en décembre dernier qu’il n’irait pas voir le film de Tarantino, notamment "par respect pour ses ancêtres"; comme s’il ne reconnaissait pas le droit à un réalisateur non noir de traiter ou même d’évoquer le sujet. Peut-on élargir le propos, au sens où la communauté afro-américaine ne souhaite pas voir quelqu’un extérieur à elle traiter / évoquer ce sujet ?

    François Durpaire : Spike Lee est très loin de représenter l'ensemble des 33 millions de Noirs américains. La plupart d'entre eux ne voit aucune objection à ce qu'un réalisateur, quelle que soient ses origines, ne traite de ce sujet. Amistad de Steven Spielberg, qui traitait de la Traite et indirectement donc de l'esclavage, n'avait suscité aucune polémique. Et des acteurs noirs de premier plan participent au film de Tarantino : Jamie Foxx, Kerry Washington, Samuel L. Jackson. Ils ne sont pas moins légitimes que Spike Lee qui n'a aucune légitimité à parler "au nom des Noirs". Comme du reste les propos d'un réalisateur "blanc" n'engagent pas l'ensemble des Blancs...

    AlloCiné : Dans les années 70, avec le cinéma de la Blacksploitation, l’usage du mot "Nigga" était courant. A-t-on constaté / observé depuis un glissement sémantique dans l’usage et le sens de ce mot ?

    François Durpaire : Il s'agit d'un usage détourné. Qui se prolonge jusqu'à aujourd'hui dans certains textes de rap. Mais c'est évidemment très différent lorsqu'il s'agit de membres de la communauté qui s'approprient des mots portant les stigmates de cette histoire, pour mieux les dépasser.

    AlloCiné : Le sujet de l’esclavage aux Etats-Unis est aussi revenu avec le film de Spielberg, "Lincoln". Où en sont les Etats-Unis dans leur travail de mémoire justement concernant la question de l’esclavage et de la ségrégation ? Ont-ils encore du mal à se pencher sur leur passé concernant ces sujets ?

    François Durpaire : On peut constater que Hollywood s'est très peu penché sur l'esclavage. On peut penser qu'il y a une difficulté avec cette histoire, mais plus fondamentalement, c'est que de nombreux artistes ont considéré que l'histoire la plus essentielle à traiter est l'histoire de la ségrégation et des droits civiques, traitée à de nombreuses reprises au cinéma, comme Mississippi Burning, Malcolm X, etc. Pourquoi ? Parce que l'esclavage n'a pas abouti à une égalité réelle, et qu'il a fallu attendre les années cinquante (du XXe siècle) pour que cette égalité émerge.

    Propos recueillis par Olivier Pallaruelo le 11 janvier.

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