Alors que l'on parle souvent de "trêve des confiseurs" pour qualifier cette période de l'année où l'actualité est plus creuse dans les médias, une tribune publiée dans le journal Le Monde daté du samedi 29 décembre a eu l'effet d'un coup de tonnerre !
Vincent Maraval, producteur et distributeur chez Wild Bunch, s'y exprime longuement sur la situation du cinéma français (pour qui l'année 2012 a été un "désastre") et explique pourquoi selon lui les films français sont trop chers aujourd'hui.
En voici quelques extraits :
"Après les films des studios américains, la France détient le record du monde du coût moyen de production : 5,4 millions d'euros, alors que le coût moyen d'un film indépendant américain tourne autour de 3 millions d'euros. Ce coût moyen ne baisse jamais, alors qu'il y a toujours plus de films produits, que le marché de la salle stagne, que la vidéo s'écroule et que les audiences du cinéma à la télévision sont en perpétuel déclin face à la télé-réalité et aux séries. Mais alors, pourquoi s'émouvoir ainsi sur le cas Depardieu ? Pourquoi ce déchaînement médiatique et politique ? Sans doute parce qu'il y a là un vrai scandale d'ordre plus général. (...) Il est d'ordre systémique."
"Mais pourquoi, au fond, les acteurs seraient-ils pires que les sportifs ? Parce que leur carrière est potentiellement plus longue ? Non, le seul scandale, le voilà : les acteurs français sont riches de l'argent public et du système qui protège l'exception culturelle. A part une vingtaine d'acteurs aux Etats-Unis et un ou deux en Chine, le salaire de nos stars, et encore plus le salaire de nos moins stars, constitue la vraie exception culturelle aujourd'hui."
"Mais à quoi servent de tels cachets si les résultats ne se matérialisent pas en recettes économiques ? En réalité, ils permettent d'obtenir le financement des télévisions. Black Swan se finance sur le marché. Il n'y a dans son financement aucune obligation, aucune subvention, l'acteur est donc payé pour ce qu'il vaut, 226 000 euros. Mesrine, en revanche, a besoin de ce financement pour exister, ce qui explique que l'acteur se retrouve avec un pouvoir de vie ou de mort sur le projet, et ce en fonction de sa valeur télé. Il réclame donc sa part du gâteau. Lui sera payé entre 1 et 1,5 million d'euros. Qui peut l'en blâmer ? Cela devrait vouloir dire qu'il touche là le fruit de sa notoriété sur le marché télévisuel. Sauf que le cinéma enregistre des contre-performances à la télévision. Sans les obligations légales issues de notre système public de financement, il y a bien longtemps que "Les Experts" et la "Star Ac" auraient réduit à néant les cases "Cinéma" des chaînes de télévision."
"Une idée simple : limitons à 400 000 euros par acteur - et peut-être un peu plus pour un réalisateur -, assorti d'un intéressement obligatoire sur le succès du film, le montant des cachets qui qualifient un film dans les obligations légales d'investissement des chaînes de télévision. Qu'on laisse à Dany Boon un cachet de 10 millions d'euros, si telle est véritablement sa valeur marchande. Mais alors que ce soit en dehors de ces obligations. Et redonnons ainsi à notre système unique et envié sa vertu en éliminant ses vices."
L'intégralité de la tribune est à lire ici : www.lemonde.fr/a-la-une/article/2012/12/28/les-acteurs-francais-sont-trop-payes_1811151_3208.html
Les réactions
Jetant un pavé dans la mare, les réactions ont été très nombreuses, notamment sur les réseaux sociaux, D'autres articles ou témoignages ont ensuite été publiés.
AlloCiné en a réuni quelques uns :
Le billet de Jean-Michel Frodon, critique de cinéma, "De la fortune des vedettes en particulier et des perversions d’un bon système en général", à lire ici : http://blog.slate.fr/projection-publique/2012/12/29/de-la-fortune-des-vedettes-en-particulier-et-des-perversions-d%E2%80%99un-bon-systeme-en-general/
"Ce qui arrive avec les acteurs est le plus visible, et le plus choquant. C’est la part la plus spectaculaire d’une dérive générale, une dérive fondée sur l’augmentation continue des sources de financement du cinéma en France. Mais il n’y a pas que les acteurs. Lisez bien la phrase qui suit, elle contient une révélation bouleversante. Lorsqu’un film coûte 30 millions d’euros, cela veut dire que des gens ont touché ces 30 millions. Qui ? Pour l’essentiel, les professionnels du cinéma. Les acteurs gagnent la plus grosse cagnotte, dans des conditions et selon des mécanismes qu’explique très bien Maraval. Mais les producteurs, les réalisateurs, les chefs de postes techniques aussi. Pourquoi ? Parce que l’essentiel de la stratégie des pouvoirs publics depuis le milieu des années 90 (...), a fait de l’augmentation des financements son objectif central. A nouveau : pourquoi ? Parce que le nécessaire équilibre de pouvoir entre professionnels et politiques a été rompus au profit des premiers. Avec succès, il faut le reconnaître, au sens où de fait les investissements dans la production de films français n’a cessé d’augmenter, grâce encore une fois à des dispositifs réglementaires toujours plus nombreux, récemment la taxation des Fournisseurs d’Accès à Internet (FAI), et pas grâce à des ponctions sur le budget de l’Etat. (...)
Comme tous les professionnels du cinéma, Vincent Maraval défend surtout ses propres intérêts lorsqu’il prend la parole en public au nom de l’intérêt collectif et de la justice sociale. Lui aussi a besoin de ces acteurs incontestablement surpayés pour financer ses films auprès des télévisions. Le seuil de rémunération qu’il propose est une idée aussi saine qu’assez improbable, tant qu’à faire élargissons-la à l’ensemble du milieu. Elle permettrait par exemple une réorientation massive des crédits au profit des lieux d’action culturelle, en particulier de l’éducation au cinéma, ou mieux avec le cinéma… Ce n’est pas vraiment à l’ordre du jour."
La réaction de Vincent Maraval au billet de Jean-Michel Frodon, à lire ici : http://blog.slate.fr/projection-publique/2012/12/29/de-la-fortune-des-vedettes-en-particulier-et-des-perversions-d%E2%80%99un-bon-systeme-en-general/#comment-1637
Le témoignage de Sam Karman, acteur et réalisateur, "Réponse de Sam Karmann à l’article de Vincent Maraval sur les salaires des acteurs français", à lire ici : http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article8348
"Cher Vincent Maraval Je pense que votre article dans le Monde suscitera des réactions qui vont faire gonfler votre boite mail et la rumeur parisienne. En tous cas je le souhaite. En cette période de crise quand on parle d’argent et quelque soit le secteur, les passions sont vives. En ce qui me concerne -et à part le titre de votre article que je trouve mensonger parce que partiel- : "Les acteurs français sont trop payés" je le trouve évidemment pertinent et vous avez le courage de jeter enfin le pavé des salaires exhorbitants dans la mare de notre cinéma national. J’y souscris. Mais vous auriez du aller plus loin."
Le billet de Serge Toubiana, directeur général de la Cinémathèque, "Après lecture du texte de Vincent Maraval dans Le Monde", à lire ici : http://blog.cinematheque.fr/?p=1039
"L’attaque de Vincent Maraval est facile, presque trop payante. En affirmant que les acteurs français sont trop payés, exemples à l’appui (Dany Boon, Daniel Auteuil, parmi d’autres), il est sur de taper fort et de toucher large.(...) La « valeur marchande » des acteurs français serait davantage fixée par le marché audiovisuel (les télévisions publiques et privées) que par le marché du cinéma proprement dit. D’où l’inflation des cachets et des coûts, et plus globalement le surfinancement des films.
Mais le raisonnement curieusement est court, limité. Certes, les films français sont trop chers. Le coût moyen d’un film (5,4 millions d’euros) devient exorbitant, mais cela n’est pas seulement dû aux cachets des acteurs. Pourquoi ne pas parler de celui des producteurs, par exemple des 10% d’imprévus qui pèsent sur chaque film, calculés sur la totalité du budget, salaires des acteurs inclus ? S’il y a inflation des prix, elle se répartit logiquement sur tous les postes de production des films.
Mais le plus grave, à mon sens, c’est que le coup de balai de Maraval risque de montrer du doigt tout le système de financement du cinéma français, qui fonde son « exception culturelle » : l’obligation imposée aux chaînes publiques et privées de participer au financement des films. À force de répéter que le cinéma décline à la télévision, supplanté par « Les Experts et la Star Ac », les politiques auront beau jeu de remettre en cause tout l’arsenal juridique mis au point depuis de longues années pour protéger la production française, avec les résultats que l’on connaît : plus de 200 films français produits chaque année, une part de marché non négligeable, ce qui fait du cinéma français un cas unique dans le monde. Comment, après un tel article, aller plaider la cause de l’exception culturelle devant la Commission de Bruxelles, toujours prompte à rabattre le cinéma sur une économie libérale dépourvue de tout système de protection et d’incitation ? Comment, par exemple, faire enfin approuver par Bruxelles le fait de taxer les fournisseurs d’accès, dont la contribution au financement du cinéma est un élément stratégique aujourd’hui ?"
La réaction de Vincent Maraval au billet de Serge Toubiana, à lire ici :
http://blog.cinematheque.fr/?p=1039#comment-106931
La réponse de Serge Toubiana au commentaire de Vincent Maraval : http://blog.cinematheque.fr/?p=1039#comment-107771
La réaction d'Aurélie Filipetti sur l'antenne d'Europe 1, "ne pas jeter "aux orties" le cinéma", à retrouver ici : www.europe1.fr/Cinema/Filippetti-ne-pas-jeter-aux-orties-le-cinema-1362869/
"Je crois qu'il y a beaucoup de débats autour du financement du cinéma et finalement, on jette des pierres aux arbres qui portent des fruits. Je suis heureuse, satisfaite, des succès du cinéma français dans son ensemble. On est l'un des seuls cinéma au monde –si ce n'est le seul- à résister à l'omniprésence du cinéma américain. En France, les gens vont à 40% voir des films français. C'est unique au monde. Il faut aussi rappeler qu'il y a de plus en plus de gens qui vont au cinéma malgré tout. (...) Alors après j'entends bien les critiques et il y a sans doute beaucoup d'améliorations à faire à notre système, mais je crois qu'il ne faut pas jeter la pierre à l'ensemble d'un système qui a finalement bien fonctionné depuis la Libération"
Le témoignage de Philippe Daniel Coll, "Un Producteur Niçois répond à Vincent Maraval et Sam Karmann", à lire ici : http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article8350
La réaction de Jean-Paul Salomé, auteur, réalisateur, producteur, sur son compte Twitter :
"Maraval dans sa tribune du Monde a raison de dire que le salaire de nos stars est une bulle totalement artificielle."
La réaction de Pascal Rogard, directeur général de la SACD, sur son compte Twitter:
"En cette fin d'année le Cinéma français est au bord de la crise de nerf. Attention au réveil avec la gueule de bois."
La réaction de Romain Lévy, réalisateur et scénariste, sur son compte Twitter :
"Bravo à Vincent Maraval pour sa salutaire tribune dans le Monde, si jetais un interlocuteur crédible j'aurais ajouté qu'il faut indexer le MG (minimum garanti) des scénaristes sur les budget des films. Plus nos scénaristes seront bien payés, plus ils passeront du temps sur les histoires. Au lieu de s'arrêter a une v3 contractuelle, ils poursuivraient jusqu'à la v10. C'est toujours les bonnes histoires qui feront venir les bons acteurs. Aux US, la loi oblige l'indexation du scenar sur une base minimum de 8%. Au final même leurs merdes tiennent debout. Je suis pour les acteurs surpayés une fois que le film a surmarché! C'est sain. Mais un scénariste payé de la merde n'a pas envie de réécrire et c'est déjà mort"
L'article d'Olivier Babeau, professeur de stratégie d’entreprise à l’université Paris 8, à lire ici :
www.atlantico.fr/decryptage/que-affaire-depardieu-appris-absurdites-financement-cinema-francais-olivier-babeau-591848.html
Une page de soutien à la proposition faite par Vincent Maraval pour le cinéma français a été créée sur Facebook baptisé "Un Salary Cap pour le cinéma français", à retrouver ici : www.facebook.com/UnSalaryCapPourLeCinemaFrancais