C’est pratiquement devenu une tradition : chaque début d’année, débarque sur nos écrans le nouveau film des studios Ghibli. Fondés en 1985 par le célèbre réalisateur Hayao Miyazaki, la maison Ghibli s’est vite imposée comme l’une des références en matière d’animation japonaise, avec des chefs-d’œuvre tels que Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro ou encore Mon voisin Totoro. Désormais en recherche de son digne successeur, le Walt Disney du Japon a confié à son propre fils, Goro Miyazaki, la réalisation du nouveau long métrage Ghibli.
Empreint d’une poésie et d’une atmosphère musicale qui sont les marques de fabrique du studio, La Colline aux Coquelicots se démarque pourtant en laissant de côté les univers fantastiques que l’on retrouve habituellement chez Ghibli, pour situer son action dans un contexte résolument réaliste et historique : celui du Japon après la Guerre du Pacifique.
En direct du « pays du Soleil levant », Goro Miyazaki a répondu à nos questions.
-Quand avez-vous découvert l’histoire de la Colline aux Coquelicots ? Dans quelles circonstances ?
J’étais au collège lorsque j’ai découvert pour la première fois la bande dessinée de La Colline aux Coquelicots. Je l’ai lue dans un magazine que ma cousine avait apporté dans le chalet de mon grand-père. Hayao Miyazaki a également lu ce même magazine, et cela a donné ce nouveau projet de film.
-Ce nouveau film est complètement différent de votre précédent long métrage, “Les Contes de Terremer”. Pourquoi avoir choisi d’adapter cette histoire en particulier ?
Le projet en lui-même a été initié par Hayao Miyazaki et par le producteur Toshio Suzuki, qui m’ont demandé de réaliser le film. J’étais également intéressé par la vie des gens après la Guerre du Pacifique, pendant les premières années de l’ère moderne japonaise.
-"La Colline aux Coquelicots" est votre deuxième film Ghibli en tant que réalisateur. Comment avez-vous vécu ce nouveau palier dans votre carrière ? Etait-ce quelque chose de particulièrement important pour vous ?
Ma première œuvre semblait avoir échoué alors que j’avais travaillé dessus sans relâche, mais cette fois je pense que j’ai été capable de mieux raisonner sur le projet une fois confronté au scénario. C’était également une bonne opportunité d’apprendre une chose importante à propos de la création de films d’animation. Je me suis ainsi rendu compte que la clé dans la fabrication de films d’animation était à la fois de savoir créer « l’image », et de savoir décrire le « propos ». Avec tout cela en tête, je me sens à présent enfin sur la ligne de départ.
-Avez-vous travaillé de la même façon que pour « Les Contes de Terremer », ou avez-vous changé vos méthodes de réalisation ?
Pour ce projet, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour me préparer, et lire l’histoire de long en large a été le mieux que je puisse faire. Je n’ai donc pas eu le temps de travailler à de nouvelles méthodes.
-Votre père Hayao Miyazaki a signé le scenario de « La Colline aux Coquelicots ». Comment avez-vous vécu cette collaboration avec lui ? Considérez-vous cela comme un lien avec le film, dans lequel une rencontre a lieu entre deux générations de personnages ?
C’était parfois difficile mais à présent, quand je repense à mon travail effectué avec lui, je comprends qu’il s’agissait d’une bonne opportunité d’apprendre ce qu’est vraiment un « film d’animation ». Si je n’avais pas bénéficié de cette expérience, je pense que je n’aurais pas eu la motivation de me diriger moi-même sur le prochain projet. D’autre part, je pense effectivement que l’on peut faire un lien avec le film, car l’un des thèmes de l’histoire est l’héritage des pensées et des objectifs du temps de nos parents.
-Le contexte historique décrit dans le film prend malheureusement aujourd’hui un sens nouveau, suite au récent désastre nucléaire de Fukushima. Pensez-vous que « La Colline aux Coquelicots » peut avoir un écho particulier sur le public actuel ?
De nombreuses personnes m’ont dit avoir été émues par le film. J’ai tout de suite pensé que c’était parce que nous vivons après cette immense catastrophe à laquelle un minuscule individu ne peut absolument rien. Le plus grand enjeu est de pouvoir vivre cette situation en tant qu’être humain.
-C’est l’étude de l’art et de la science au “Quartier Latin” qui crée un lien d’amitié entre Umi et Shun dans le film. Cela leur permet de se rencontrer et d’oublier leurs problèmes respectifs. Vouliez-vous montrer cela comme une solution potentielle aux tragédies de la vie ?
Pour que deux personnes puissent se lier l’une à l’autre, j'ai pensé qu’il ne fallait pas simplement qu’elles soient attirées mutuellement ou qu’elles se comprennent, mais également qu’elles agissent ensemble. Je crois que lorsque des gens travaillent ensemble à un but commun, ils sont confrontés l’un à l’autre et surmontent leurs tragédies.
-Quelles ont été vos influences artistiques pendant la réalisation de ce film ? Considérez-vous les autres films Ghibli comme des références majeures ?
Le photographe Motochika Hirose a pris des photos de la ville de Yokohoma pendant la période d’après-guerre. Ces photos m’ont beaucoup inspiré. D’autre part, Mon voisin Totoro a été une bonne référence lorsque j’ai été amené à dessiner des paysages du vieux Japon.
-Comme d’habitude dans les productions Ghibli, la musique est un élément particulièrement important dans votre film. Comment avez-vous choisi les chansons et l’atmosphère musicale ?
Etant donné la nature de l’histoire, une musique dramatique, symphonique aurait été inappropriée. A la place, nous avons choisi des sonorités pop et jazzy. La chanson «Marchons en regardant le ciel » symbolise l’époque du film, et a été intégrée au film suite aux fortes recommandations du producteur Toshio Suzuki, qui est un grand fan du chanteur Kyo Sakamoto (interprète de la chanson). D’autres chansons interprétées par Aoi Teshima dans le film viennent de notre « album-image », et ont grandement contribué à l’atmosphère du film.
-De nombreux éléments du film semblent faire référence à la France. S’agit-il d’une sorte d’hommage ?
Jusqu’à il y a quelque temps, les Japonais étaient très attirés par la culture européenne, ou par tout ce qui venait d’Europe, et spécialement la culture française. Par conséquent, pour dépeindre des étudiants des années 60, la présence d’éléments français était justifiée.
Je porte moi-même un grand intérêt à la culture et à l’histoire française.
-Quelle a été votre réaction quand vous avez vu le film terminé pour la première fois ?
L’histoire était très bien transmise, mais il m’a semblé que l’expression visuelle était un peu faible à certains endroits. Je suis encouragé à m’améliorer en poursuivant mes efforts.
-Quels sont vos projets aujourd’hui ? Souhaiteriez-vous réaliser d’autres films pour les studios Ghibli ?
Je n’ai pas de projet en particulier pour le moment, mais j’aimerais diriger à nouveau si je le peux.
Propos recueillis par Thomas Imbert
La bande-annonce de "La Colline aux Coquelicots"
La Colline aux Coquelicots