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    Rencontre avec Hong Sangsoo, réalisateur de "HA HA HA"

    A l'occasion de la sortie de "Ha ha ha", présenté au dernier Festival de Cannes, AlloCiné a rencontré Hong Sangsoo, un des grands noms du cinéma coréen d'aujourd'hui.

    Cette semaine sort sur nos écrans HA HA HA, dixième film du réalisateur coréen Hong Sangsoo (Turning Gate, Woman on the Beach...). Le cinéaste est venu à Paris pour nous parler de cette comédie douce-amère sur le désir amoureux. Tout en répondant, il griffonne des dessins sur des cartons. Il avoue être un peu fatigué. On devine aisément, en voyant ses films, qu'il a su profiter de son séjour ici pour goûter à une certaine ivresse française.

    Hong Sangsoo lundi 14 mars devant la Cinémathèque Française © Fred Atlan / Cf.

    On a le sentiment qu’avec "Ha ha ha", vous allez vers un cinéma rudimentaire. Etait-ce votre volonté ?

    Pour répondre à votre question, je vais prendre l’exemple de l’angle de la caméra. Il peut arriver que le réalisateur ou le directeur de la photographie choisisse un angle parce qu’il nous parait beau , parce que ça ferait joli visuellement. Mais ce qui est beau pour nous peut interpeller le spectateur. Cette beauté visuelle vient se superposer au contenu même du film et donner quelque chose d’assez artificiel. Cela peut devenir une pollution ou une gêne, qui force le spectateur à adopter quelque chose qui peut-être n’existait pas. Certains réalisateurs y recourent. C’est quelque chose qui a son utilité mais je n’approuve pas forcément. Donc, en effet, je souhaite aller vers l’essentiel des choses, dans une vision plus épurée, sans superflu.

    On a l’impression que cet essentiel du cinéma pour vous, ce sont les comédiens.

    Certes, les acteurs sont importants, mais pas seulement. En fait, je crois que les acteurs exercent une stimulation permanente sur le réalisateur, une stimulation continue et forte. Du coup, quand j’ai une idée, je la teste d’abord sur l’acteur qui doit jouer le rôle. Quand ça se passe bien, l’idée est gardée. Mais si jamais rien ne se passe, je dois trouver autre chose. Ca va dans les deux sens.

    La discussion entre les deux amis dans le film est réduite au plus simple, avec un rappel constant qu’ils boivent beaucoup, comme une rengaine. Pouvez-vous nous parler du rôle de l’alcool dans votre film ?

    En fait, j’adore boire moi-même. Je crois que ça n’est donc pas quelque chose de calculé mais qui vient spontanément.

    Jo Munkyung (Kim Sang-kyung) ne prend pas trop au sérieux Seongok au début, il ment pour coucher avec elle. Mais au final, il se laisse prendre au jeu de sa naïveté et s’attache vraiment à elle. Avez-vous vécu le même cheminement ?

    Je ne suis pas à l’aise pour parler de mes personnages mais je vais quand même essayer de vous répondre. Très jeune, j’avais une certaine idée de mon idéal féminin. Mais avec les années qui passent, je me rends compte que chacun a son charme. Il y a différents types de personnalité, avec ses points positifs, sa beauté…

    Est-ce que le personnage de Bang Junshik (Yu Jun-Sang) va assumer sa décision de vivre pleinement sa relation avec Ye Jiwon quand il se retrouvera face à sa femme ?

    On ne sait pas s’ils vont continuer à se voir ou si c’est une rupture, mais ça n’est pas le plus important. Ce qui compte c’est que tout cet amour ait existé, qu’ils aient vécu cette belle histoire.

    Pourquoi ce titre, «HA HA HA » ?

    Il y a deux raisons à ça. Un jour, je me déplaçais en taxi, je regardais par la fenêtre et je suis tombé sur un panneau publicitaire partiellement effacé où l’on voyait « HA HA », deux fois. C’était intéressant en soit parce que c’est le rire, et qu'en coréen le mot « Ha » signifie « l’été », c’est une transcription phonétique de l’idéogramme chinois. Ca m’a fait penser au roman d’une célèbre auteur coréenne qui s’appelle « Bom Bom Bom » ce qui veut dire « Printemps Printemps Printemps »; Je me suis dit : "Tiens, pourquoi ne pas faire la même chose avec l’été ?". D’ailleurs ce film est basé sur une très forte impression de l’été.

    Venons-en au cinéma coréen de façon plus générale. Ce qui est surprenant pour nous, spectateurs français, c’est cette violence constamment sous-jacente qui existe dans les relations sociales. On peut la retrouver chez certains de vos compatriotes (Kim Ki-duk, Bong Joon-ho, Park Chan-wook) mais même dans un registre plus léger, comme le votre, elle persiste. Est-ce quelque chose dont vous êtes conscient ?

    Je crois qu’il faudrait demander à un spectateur coréen s’il ressent la même chose que ce que vous venez de décrire. Je pense deviner pourquoi il est perçu ainsi. Je ne m’estime pas la personne la mieux placée pour en parler mais on peut supposer que c’est lié au contexte culturel, historique et social s’il y a tant de violence en réaction à l’oppression [NDLR : La Corée a été sous le joug d’une dictature militaire jusqu’à la fin des années 1980].

    Une autre chose propre, me semble-t-il, au cinéma coréen, ce sont ces fréquentes ruptures de ton, cette facilité à passer du tragique au burlesque le plus cru. Est-ce que vous sauriez nous expliquer d’où ça vient ?

    Je ne peux pas parler pour les autres. Peut-être que chez eux c'est le résultat d’un immense travail. Quant à moi, il se peut qu’il y ait ces changements de ton dans mes films mais ça n’est jamais intentionnel. Quand j’écris le script, ça n’est jamais dans l’intention de faire rire ou pleurer le spectateur. C’est après, quand j’ai fini d’écrire que je me dis « Tiens, cette scène pourrait avoir tel ou tel effet ». Mon écriture est avant tout intuitive.

    Quel est votre regard sur les cinéastes coréens qui arrivent chez nous ? On en a cité quelques uns, on peut parler aussi de Hong-jin Na (The Chaser) ou Ik-june Yang (Breathless). Vous sentez vous dans une même mouvance ?

    Je ne sais pas. C’est à vous de dire.

    En France, on associe souvent vos films à ceux de Rohmer ou de Bresson. Votre premier film, Le jour où le cochon est tombé dans le puits, avait en effet quelque chose de très « bressonien ». Comment ressentez-vous cette comparaison ?

    Pour ce qui est de la comparaison, je n’ai pas d’avis tranché, c’est la liberté du spectateur de trouver des points communs ou des références. Rohmer et Bresson sont des cinéastes que j’ai étudiés pendant mes années d’études, tant mieux s’il y a eu des influences positives de leur part. Je pars du principe que le spectateur a ses propres références, chacun voit ce qu’il veut voir. Quant au réalisateur, il travaille de manière intuitive, avec son cœur, ses tripes. Mais j’aime beaucoup ces deux réalisateurs.

    Il semblerait que ce soit au cours d’une soirée arrosée que quelqu’un vous ait conseillé de faire du cinéma, est-ce exact ?

    Effectivement, cette anecdote est vraie. Un jour, j’avais 19 ans, et je dinais avec un ami un peu plus âgé qui étudiait la mise en scène de théâtre. Il m’a dit soudain : « Pourquoi tu ne ferais pas du théâtre ? ». Je me suis donc inscrit à la fac, mais mes camarades de promo inscrits dans les années supérieures m’embêtaient beaucoup et je me suis aperçu que les étudiants en cinéma étaient plus calmes. Ils travaillaient par trois, par quatre, beaucoup plus sereinement. Je me suis donc inscrit dans la filière cinéma qui me correspondait mieux.

    Selon vous, est-ce plus difficile aujourd’hui de faire du cinéma que quand vous avez commencé ?

    C’est un peu compliqué. Comme vous le savez, il y a eu une sorte de « boom » du cinéma coréen. Il y a eu énormément de réalisateurs et plein de créations, c’était une sorte d'âge d’or. Mais le phénomène s’est tassé. C’est donc plus difficile aujourd’hui que quand il y a eu ce mouvement. Mais c'est tout de même plus facile qu’il y a quinze ans où c’était vraiment une galère de sortir un film. S’il fallait relever un problème, ce serait le souci de fonds. A l’heure actuelle, les sources de financement ne sont pas très variées. L’avantage quand il y a différentes sources de financement, c’est qu’il y a beaucoup d’idées et différentes sortes de films peuvent se faire. Mais quand le nombre de sources de financement est réduit, soit il faut faire le film avec un très faible budget, soit le film ne voit pas le jour parce que celui qui finance impose ses idées.

    Avez-vous une idée de votre prochain film ?

    Le film qui vient après Oki's Movie (inédit en France, mais visible ce mois-ci à la Cinémathèque Française) est presque terminé. Le titre en anglais est The Day He Arrives. La plupart des scènes ont été tournées en Corée. L’histoire se déroule en hiver et le personnage principal est un homme qui se rend trois fois de suite dans un même endroit.

    Pour finir, vous revenez du Festival asiatique de Deauville. Comment cela s’est-il passé ?

    Deauville, c’est une ville calme, il n’y a pas trop de monde, donc je me suis bien reposé.

    Propos recueillis à Paris le 14 mars 2011 par Matthieu Le Caisne

    Une rétrospective Hong Sangsoo est programmée à la Cinémathèque jusqu'au 28 mars.

    Un extrait de Ha ha ha

    Vignette article : Hong Sangsoo lundi 14 mars à la Cinémathèque Française © Fred Atlan / Cf.

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