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    "Miel" : Rencontre avec le réalisateur

    A 47 ans, Semih Kaplanoglu a reçu cette année au Festival de Berlin l’Ours d’or du meilleur film pour "Miel", qui sort le 22 septembre sur nos écrans. Allociné est allé à la rencontre de ce réalisateur turc pas tout à fait comme les autres…

    Allociné : Entre nous, le titre "Miel", c’était pour attirer l’Ours de Berlin ?

    Semih Kaplanoglu : (Rires) Non, sans quoi Lait aurait eu le prix du meilleur film en Inde…

    "Miel" clôt une trilogie, après "Œuf" (Yumurta) et "Lait", (Süt, qui sort également ce mercredi), centrée sur un personnage, Yusuf. Y a-t-il un peu de vous dans ce jeune homme ?

    Yusuf n’est pas un alter ego, il me ressemble par touches : comme lui, j’avais des difficultés à lire à l’école. De même j’ai été poète, ce n’est donc pas un hasard si le personnage l’est lui aussi. Pour moi, la poésie est source de tout. Chaque individu a quelque chose à voir avec la poésie à un moment donné de sa vie. Dans Lait, lorsque le personnage découvre que son poème est publié, j’ai réellement vécu cette scène.

    Qu’est-ce qui vous a poussé à passer à la réalisation de votre premier film, "Away from home" ?

    En 1939, quelqu’un de ma famille s’est enfui en Union soviétique. Il voulait faire partie de l’armée russe communiste. Il n’a pas eu beaucoup de chance, il a été arrêté et mis dans des camps par Staline. Il a résisté à ces conditions extrêmes et 50 ans après, en 1995, il est venu en Turquie pour un voyage. Il était très âgé, je l’ai accueilli, on a commencé à parler, il regardait la Turquie 50 ans après. Il m’a beaucoup influencé et j’ai fait mon premier film sur cette personne.

    Votre cinéma est assez contemplatif. Comment avez-vous souhaité représenter la nature ?

    Je ne veux pas la montrer comme quelque chose de dangereux. Dans la culture turque, la nature n’est pas un ennemi. C’est une chose avec laquelle nous devons vivre de façon équilibrée. Nous la respectons, alors qu’en Occident elle est perçue comme menaçante, et devant être dominée. La nature est un personnage à part entière de mes films, elle a même des dialogues. J’essaye de rendre visible l’autre nature, celle qui vit près de nous de façon invisible.

    La musique est absente de la plupart de vos films, est-ce par souci de réalisme ?

    Oui, mais pas uniquement. J’essaye de n’utiliser aucun effet, que ce soit musical ou autre. Je demande même à mes comédiens de ne pas jouer, mais d’être, car je ne veux pas les manipuler. J’essaye de garder le langage cinématographique pur, tous les sons sont les bruits ambiants.

    Vos films reflètent le thème de la transmission : du père au fils ("Miel"), de la mère au fils ("Œuf"). Revendiquez-vous ce thème ?

    Oui, mes films sont centrés autour de cette idée d’un personnage qui doit protéger quelque chose, et le transmettre. Je connais un vieil artisan menuisier qui, même au restaurant, ne s’occupe de rien d’autre que du bois dans la pièce, il le touche pour savoir de quel bois il s’agit, et cette connaissance-là ne se transmet plus. On n’apprend plus qu’en lisant, et c’est un vrai problème. Heureusement, certains réalisateurs m’ont transmis des choses, car le cinéma n’est pas fait seulement pour les spectateurs. De grands metteurs en scène tournent des films pour les jeunes réalisateurs.

    Votre dernier film, "Miel", a reçu l’Ours d’or à Berlin, cette victoire va-t-elle influencer votre cinéma ?

    Certaines récompenses peuvent porter malchance. C’est pourquoi j’y accorde peu d’importance. Le prix a été décerné par un jury. Un autre jury aurait peut-être choisi un autre film. Puisque ça s’est passé comme ça, je peux être découvert en France et bénéficier d’une aura internationale. J’espère que grâce à ça j’aurai des conditions de travail plus faciles pour mes prochains films. Je ne demande pas la lune, mais je serai content si je peux passer moins de temps à chercher des financements, car pour l’instant, je suis mon propre producteur. Je veux faire des films tels qu’ils sont dans mon cœur, et qu’ils me viennent naturellement. J’essaie de ne pas penser aux spectateurs, aux professionnels et aux critiques de cinéma. Mon seul critère lorsque je travaille, c’est "si Tarkovski, Ozu ou Bresson voyaient ce film, qu’en penseraient-ils ?"

    Vous êtes le troisième réalisateur turc à avoir reçu l’Ours d’or, comment ce succès a-t-il été perçu dans votre pays d’origine ?

    A la sortie de la salle de Berlin, des Turcs ont voulu me porter sur leurs épaules. Il y a eu un sentiment de fierté nationale, car la Turquie n’avait plus gagné ce prix depuis 46 ans*. J’ai donc conscience de l’importance de l’événement, mais j’aurais préféré qu’ils montrent plus d’intérêt au film qu’au prix. Les turcs n’ont pas envie d’aller voir Miel, car ils ont peur de s’y ennuyer.

    Des propositions arrivent-elles de l’étranger ?

    Non, et de toute façon je préfère tourner des films que j’ai moi-même écrits. Et si on me demandait de faire un remake de mes films, je pense que je n’accepterais pas. Haneke a fait Funny Games U.S. et c’était totalement inutile, à mon avis.

    Quel regard portez-vous sur le cinéma turc actuel ?

    Je suis de la nouvelle génération, née dans les années 2000. Comme dans tous les pays, il y a le cinéma commercial, et l’autre, celui que j’essaye de faire. Depuis 7 ou 8 ans, des minorités kurdes ou homosexuelles tentent de s’exprimer, et la pression de l’État s’allège de plus en plus. Je suis convaincu que dans un avenir proche, de jeunes cinéastes vont pouvoir réaliser des documentaires, et s’exprimer librement.

    Un Ours d’or… Et après ?

    J’ai une idée dont je ne suis pas encore sûr, cela se passerait de nos jours à Istanbul, une histoire d’amour entre une jeune femme et un homme un peu plus âgé. Je pense aussi à faire un film se déroulant également à Istanbul, mais au XVIème siècle.

    *Semih Kaplanoglu écarte le film Head on de Fatih Akin, une coproduction germano-turque, qui a gagné l’Ours d’or du meilleur film en 2004.

    Propos recueillis à Paris le 1er septembre par Corentin Palanchini

    La bande-annonce de Miel

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