AlloCiné Séries : Comme la saison précédente, la saison 2 est visuellement incroyable. Est-ce que, pour vous, la réalisation et la beauté des images sont des éléments essentiels à conserver dans "Breaking Bad" ?
Bryan Cranston : Oui, c'est essentiel. Ça l'est pour n’importe quelle expression artistique... C’est comme en peinture où l’on doit sélectionner les couleurs et les textures appropriées, la dimension, le cadre, tout... L’art de filmer n’a rien de différent. C’est important de voir le paysage, la couleur du ciel, les montagnes… Tout cela contribue au look mais aussi aux émotions que peut procurer la série aux téléspectateurs.
Le cadre du Nouveau-Mexique est justement l'un des éléments de cette magnifique photographie. Est-ce que pour vous, c'est un personnage à part entière ?
C’est une très bonne question… En fait, oui, je le pense. Ça l’est devenu. La manière dont c’est arrivé est d'ailleurs amusant, parce qu’honnêtement, au départ, on a atterri là-bas pour des raisons économiques. C’était pour des raisons financières qu’on s’est retrouvé à filmer au Nouveau-Mexique. Mais, au fur et à mesure du temps, cette région est devenue un personnage de la série. Je suis d’accord.
Le Nouveau-Mexique n’était donc pas le premier choix ?
Non, le script original prévoyait que l’action se déroule dans la banlieue de Los Angeles, qui avait un côté un peu plus rustique. Finalement, l’Etat du Nouveau-Mexique nous offrait de meilleures avantages financiers pour tourner. Au début, on se disait tous qu’on allait devoir quitter nos foyers pour le tournage et on n'y voyait pas vraiment d'aspect positif. Mais aujourd’hui, le Nouveau-Mexique est devenu très important dans la série. Cette région apporte du réalisme, mais aussi sa culture et ses couleurs uniques.
Ce que l'on peut également noter cette saison, c’est que la réalisation est plus audacieuse. Il semble qu'il y ait eu une volonté de prise de risque, d'opter pour des plans plus effrontés et étonnants, qu'on ne s’attendait pas forcément à voir. On peut prendre pour exemple la chanson pour Heisenberg, dans l’introduction d’un des épisodes…
(Rires) Oui, c'est vrai... Je pense que c'est dû à la liberté que la télévision d’aujourd’hui offre aux scénaristes. Il y a tellement d’autres options de divertissements partout... Les DVD, l'internet... Tellement d’autres moyens pour les gens de faire ce qu'ils veulent autrement. De nos jours, il faut donc prendre des risques pour produire de la télévision, afin de retenir l’attention des gens. Sony TV et notre chaîne câblée, AMC, ont donné à notre scénariste / créateur Vince Gilligan carte blanche pour tourner ce qu’il estime être le meilleur dans l'optique de raconter son histoire. Ce genre de soutien est génial, c’est devenu un vrai partenariat. Il y a beaucoup de séries où les studios et les chaînes interfèrent. Nous n’avons reçu que du soutien.
En parlant de prise de risque, "Breaking Bad" aime aussi insuffler de l’humour et du burlesque. On pense par exemple à cette scène où Butcher est assis sur un banc et un homme vient le rejoindre. Une scène drôle et qui prend totalement son temps…
Oui… Je pense que tout bon drama doit comporter une bonne dose d’humour, juste pour faire un contre-balancement et que tout ne soit pas que morose et que l'ambiance soit trop lourde. Cela donne aux téléspectateurs, qui sont intrigués par le drama, un petit espace où respirer et se détendre avant de repartir pour les moments sombres et dramatiques. L’inverse est également vrai.. Les meilleures comédies doivent avoir des moments sincères et dramatiques, pour ne pas qu’on ait le sentiment que rien ne compte.
Cette seconde saison est justement très éprouvante pour les nerfs. Il s’y passe beaucoup d’événement dérangeants, notamment entre Walt et son fils Junior. Leur relation n’est plus du tout la même.
C’est vrai. On assiste cette saison à la métamorphose de mon personnage. Walt Sr. passe de l’homme bien élevé et honorable à cet homme désespéré, ce criminel. C'était fascinant pour moi, en tant qu’acteur, lorsque j’ai appris que le personnage allait changer au fur et à mesure de la série, qu’il allait se transformer d’une personne à une autre. Cela n’était jamais arrivé à la télévision auparavant. On n’avait jamais vu ça. C’est excitant de faire partie de l’avant-garde d’une nouvelle manière de raconter des histoires…
Ce que vous découvriez dans les scripts ne vous effrayait-il pas par moment ? Le fait de ne plus reconnaître son personnage et d'avoir affaire à la place à une sorte de monstre devait être assez curieux…
C’est vrai… Mais, je savais vers où l'on allait. Après avoir lu le script, j’ai eu un rendez-vous avec Vince Gilligan. Je connaissais ses intentions, là où il désirait aller. Mais, c’était ce qui était si excitant pour moi de voir ce voyage s’étendre à l’horizon, cette étendue d’inconnu, comme vous le disiez. La saison 2 est devenue encore plus désespérée que la première et je ne vois pas comment ça pourrait changer. La perte de contrôle de cet homme va s'accélérer, lui qui est scientifique par nature, qui a été habitué à garder le contrôle de ses expériences dans son laboratoire. Où tout est très contrôlé, orienté. Mais, cette nouvelle vie qu’il a embrassé est complètement impossible à contrôler.
Vous pensez que dans la saison 3, Walt se rendra compte des erreurs qu’il a commises ?
On le voit déjà dans la saison 2. La série pose vraiment la question : qu’est-ce que vous feriez si vous étiez dans cette condition, celle de savoir que vous êtes en phase terminale. En priorité, vous souhaiteriez léguer quelque chose à votre famille. Et là, vous prenez une décision absurde, basée sur le désespoir. C’est ce que Walt a fait. Mais maintenant, il ne peut pas retourner en arrière et changer cette décision. C’est allé trop loin. Et à sa grande surprise, il s’est aussi laissé séduire par le côté obscur de tout ça. Le pouvoir que cela lui confère, le sentiment de virilité, le facteur de l’intimidation. Avant, il n’intimidait personne, maintenant si. Et pour la première fois de sa vie, il a de l’argent dans sa poche et c’est quelque chose qui donne de la puissance à un homme. Il ne le sait pas vraiment, je ne sais pas s’il s’en rend compte, mais tout cela l’a séduit et il a été attiré par ces ténèbres et tous les charmes qu’elles possèdent. A contre-cœur, il essaie de s’accrocher à celui qu’il était avant mais il permet tout de même à cette métamorphose de s’accomplir. A un moment, il abandonnera et acceptera qui il est aujourd’hui…
Sa quête d'argent devient même obsessionnelle...
C’est une faiblesse humaine, n'est-ce pas...
Oui, c'est sûr. Quoique je n’ai jamais eu autant d’argent !
Oui, bien sûr ! Mais, si je vous dit de sauter dans cette rivière glacée pour moi. Vous allez me dire : non. Puis, je vais vous offrir 100 $ et vous allez me dire : "non, non, non !!!" Allez, je vous donne 1 000 $ et là vous êtes plus "Non…" mais vous commencez à réfléchir… Mais, si je vous dit : "Allez, je vous donne 10 000 $ pour sauter dans la rivière" Vous pourriez très bien le faire ! Et là, on arrive à la question fatidique de "ce que l'on ne fera jamais" et de "la personne qu'on ne pourra jamais être". Sauf que pour une certaine somme d’argent, on y pense tous quand même. "Bon, je ne me sentirai pas bien pendant quelque temps, mais je serai plus riche de 10 000 $. C’est fou mais je vais le faire… !" Il y a de la séduction tout autour de nous. Et on ne sait jamais vraiment ce à quoi l’on succomberait jusqu’à ce que l’opportunité ne se présente. Et cette opportunité s’est présentée à Walter White.
Il y a un détail assez significatif qui montre que Walter a changé : il semble ne jamais s’intéresser à la grossesse de Skyler jusqu'à ce qu'elle n'accouche.
C’est une observation très astucieuse… Personnellement, je pense qu’il l’est mais… Parfois, on peut prendre une condition comme un status quo et je pense que c’est ce qu’il a fait. Il a ainsi pris la grossesse de Skyler parce qu’il rencontrait des problèmes beaucoup plus énormes et intenses qu’il devait gérer de façon immédiate, des problèmes qui lui trottaient sans cesse dans la tête. Tant qu’elle allait bien, il était capable d’accepter et gérer la situation. Et lorsque le bébé naît, il se met aussi à penser – à tort – que son problème va se résoudre bientôt. Il se dit : "Je vais encore faire ça pour une courte période et ensuite, c’est fini, j’arrête, tout ça sortira de ma vie. Et je peux me remettre à me concentrer sur ma famille pendant les mois qu’il me reste à vivre." Mais, en se disant ça, il se ment à lui-même parce qu’il n’est pas équipé, il n’a pas les connaissances suffisantes pour savoir qu’il entre dans une vie qui est brutale et effrayante, à côtoyer des gens qui sont des meurtriers, des menteurs, des voleurs, des gens totalement imprévisibles. Il a sous-estimé les conséquences de s’engager dans ce genre de vie.
A la fin de la saison, la relation entre Jesse et Walt change. Walt devient soudainement une figure paternelle pour Jesse… Ce sont des mots, des gestes qu’on a longtemps attendus. Étiez-vous heureux de cette nouvelle direction ?
Ces deux hommes sont complètement différents. Dans n’importe quelle circonstance normale, ils n’auraient jamais passer un seul moment ensemble. Tout les oppose, tout en chacun d’entre est contraire à ce qu’est l’autre. Mais ce qui arrive à Walt, c’est que malgré ses sentiments de mécontentements constants à l’égard de Jessie, à cause de sa négligence, qu'il n’aille pas au bout des choses, qu'il soit accro à la drogue… Toutes ces choses qui font qu'il se dit qu'il n'a guère de quoi apprécier Jesse. Mais, malgré tout ça, la gentillesse et la douceur innée de ce garçon ont réussi - on ne sait comment- à traverser Walt. Il n’arrive pas à s’empêcher de ressentir quelque chose pour ce gamin et d’avoir envie de l’aider. Bien sûr, ce que Jesse ne sait pas, c’est qu’il est en partie coupable de ce qui est arrivé à sa petite amie. C’est une perspective assez intéressante à venir…
On ne parle pas assez souvent de Hank qui, cette saison encore, nous montre qu'il est un personnage passionnant... Quel est votre sentiment au sujet de ce personnage ?
Hank est un homme bien qui tente de faire le bien mais… Ce qui le rend intéressant et ce qui rend tous les autres personnages intéressants, c’est que tous les personnages de la série – excepté peut-être Walt Jr – ont des failles, qui sont visibles. Les failles dans un personnage sont absolument essentielles tout spécialement dans cet ère télévisuelle dans laquelle nous nous trouvons. Parce que cela offre aux personnage du réalisme, les gens parviennent à s’identifier à eux. Si un personnage est absolument parfait et ne fait jamais d’erreurs, ils le repoussent car ils ne reconnaissent pas cette personne, on dirait quelqu’un d’imaginaire. Lorsqu’ils aperçoivent les failles, et qu’ils voient que le personnage tente de dépasser ses défauts pour faire les bons choix, cela les touche. Concernant Hank, ses défauts sont son machisme... il est très macho et il essaie de se cacher derrière un côté mâle plein de testostérone. Mais, ce qu’il est vraiment, c’est un petit garçon. Un petit garçon totalement fou de sa femme, Marie, qui chérit leur relation. Si jamais elle le quittait, il serait totalement dévasté et brisé. C’est un homme bien qui essaie de faire ce qui est juste. Hank et Walt en sont aujourd’hui au stade du chat et de la souris. Hank se rapproche de plus de Heisenberg, il est passe de découvrir sa véritable identité et Walt va faire son possible pour rester juste un pas derrière lui…
Propos recueillis le jeudi 18 février 2010 par Raphaëlle Raux-Moreau