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    Bong Joon-Ho nous parle de son nouveau né: "Mother"

    C'est l'un des réalisateurs les plus virtuoses du cinéma coréen. Après "Memories of murder" et "The Host", voici le nouveau film de Bong Joon-ho, "Mother", très remarqué au dernier Festival de Cannes, plus intimiste mais tout aussi puissant.

    AlloCiné : D’où vient votre intérêt pour les films d’investigation ?

    Joon-ho Bong: Depuis tout petit, je suis fasciné par tout ce qui tourne autour des crimes ainsi que par les courses-poursuites. Il m’est même arrivé adolescent de ne louer pendant une semaine que des films sur ce sujet, où le suspense a une place prépondérante. Si on regarde bien, les affaires de meurtres proviennent souvent de situations extrêmes où les gens ne savent plus quoi faire, plus où aller. Car c’est lors de ce genre de situation sans issue que votre vrai instinct se réveille, et c’est ce qui m’intéresse

    Pourquoi vous intéressez-vous autant à des personnages marginaux, déconnectés de toute réalité ?

    Parce que c’est à cause d’eux que les drames arrivent. Bien qu’ils soient le plus souvent protégés pas le système et son administration, ces gens semblent avoir une vie prévisible.

    Mais j’aime à penser qu’il s’agit avant tout de personnes abandonnées dans le désert et que les conséquences de leurs actes peuvent avoir un impact tragique dans la vie courante.

    Même les policiers semble inutiles, ce sont eux aussi des êtres marginaux.

    La structure de la police est assez spéciale en Corée. Je souhaitais en faire une satire. Mais on en vient surtout à avoir de la pitié pour eux car ils sont impuissants. Dans Memories of Murder par exemple, les policiers sont tous plus ou moins bêtes, incompétents. Mais je n’ai aucune haine envers eux, je souhaite juste montrer leur insuffisances.

    Les armes sont souvent des objets assez simples comme un marteau ou une clef à molette, il n'y a pas d'arme à feu...

    La Corée est différente des Etats-Unis car le port d’arme est interdit. Il est donc très difficile de se procurer des armes à feu. De même, nous n’avons pas comme au Japon de tradition de Samouraïs ou de Ninjas qui utilisent toute sorte de sabres. Les armes sont donc des objets de la vie quotidienne.

    "C'est dans les situations extrêmes que votre véritable instinct se réveille"

    Aussi bien dans "Memories of Murder" que dans "The Host" et "Mother", la pluie semble avoir une signification particulière...

    L’histoire de The Host était déjà située autour d’un fleuve. Il n’y a cependant pas vraiment de scène où les personnages se noient ou sont dans l’eau mais par extension, je désirais que l’eau soit également présente à travers la pluie. Le fleuve a une structure horizontale tandis que la pluie est verticale. Je souhaitais qu’il y ait de l’eau dans tous les sens, faisant écho à cette idée d’emprisonnement que ressent le spectateur. L’illustration même de cette idée est la scène où le grand-père meurt entouré d’eau, cela permet aussi de créer un sentiment d’oppression. Avec Mother, j’ai essayé de moins utiliser cet élément même s’il reste très présent comme on peut le voir sur l’affiche française.

    On pouvait voir dans "The Host" une satire du système américain. Qu’avez-vous souhaité faire avec "Mother" ?

    Mother dénonce le système coréen et sa bureaucratie. Comme The Host proposait une satire des Etats-Unis et une vision originale de la famille, j’ai souhaité avec Mother faire quelque chose d’autre en me concentrant sur un sujet plus profond et plus sérieux.

    Pouvez-vous nous parler de l’actrice principale, Kim Hye-Ja ?

    Elle a été le point de départ du film. C’est à cause, ou plutôt grâce à elle, que j’ai tout d’abord voulu écrire ce film.

    C'est une femme qui a plus de 40 ans de carrière à la télévision, une sorte d’archétype national de la mère en Corée. Mais moi, dès ma plus tendre enfance, je percevais en elle une sorte de folie et un côté sombre de sa personnalité qui n’avait jamais été montré. Il faut aussi dire qu’elle a tourné très peu de films au cinéma avant le mien. Il n’a pas été très difficile de la convaincre car elle a tout de suite aimé le scénario. Elle était partante pour jouer cette certaine folie à l’écran. Mais dans la réalité, on peut vraiment dire qu’elle a quelque chose de fou en elle (rires).

    Vous évoquez aussi le problème des enfants déficients dans "Mother"...

    Ce qui m’intéresse avant tout chez ces personnes, c'est leur faiblesse. Ils n’ont pas beaucoup de protection de la part de l'Etat ou de la société. Ils sont souvent immédiatement désignés comme coupable, ce sont de simple boucs émissaires et c’est de là que provient la vraie tragédie.

    On ne voit jamais la figure du père dans le film. Qui est-il vraiment ?

    Le film s’appelle Mother donc il était difficile qu’il y ait un « Father » dans le film (rires). Plus sérieusement, c’était intentionnel. Il fallait qu’il n’apparaisse jamais dans le film, qu'il soit complètement effacé, aussi bien dans le passé, le présent que le futur. Mais si vous faites bien attention, il y a une scène où on peut l’apercevoir mais il faut le deviner. Il s’agit du moment où la mère monte dans le grenier et tombe sur une vieille photo qu’elle déchire pour ne garder que celle où pose son fils. Peut-être que sur le DVD du film vous pourrez faire "pause" afin de bien voir son visage (rires).

    "L'horreur la plus totale vient de l'attraction qu'exerce le Mal"

    Les scènes d’ouverture et de fin sont magnifiques. Quand avez-vous pensé débuter et terminer le film de cette façon ?

    Le public trouvera la première scène de prime abord assez bizarre car on ne comprend pas qui est

    cette personne, ce qu’elle fait en plein milieu d’un champ. Pour moi, c’est tout bonnement naturel. La dernière séquence où elle danse dans le bus était pensée dès 2004, à l'écriture du scénario. Je me suis donc dit : si le film se termine par une danse, pourquoi ne pas le commencer par une autre danse ? La différence étant que nous sommes dans un grand espace au début et dans un espace clos à la fin du film. Dans la scène où elle danse dans le champs, elle semble complètement ahurie, détachée de toute réalité. Dans un sens, il s’agit d’un avertissement au spectateur, on lui indique qu'elle va peu à peu devenir « folle ». Le plan où elle met la main dans sa veste n'était pas écrit. On avait du temps, elle a pris différentes poses, et à un moment, je lui ai demandé d’effectuer ce geste.

    D’où provient cette humour absurde et assez décalé propre à vos personnages ?

    De ma propre personnalité. J’ai une fascination pour tout ce qui est différent. J’aime bien assembler les choses qui ne vont pas ensemble. J’aime aussi les scènes où l’on ne sait pas trop s’il faut rire ou pleurer. J’aime l’humour mais tout en retenue, quand on se retient de rire à gorge déployée car la situation ne s’y prête pas. On peut parler d’humour noir mais je préfère le qualifier d’amer car au bout du compte on ne sait pas s’il faut en rire.

    Les scènes violentes baignent toujours dans un certain esthétisme visuel :

    Plutôt que d’embellir des scènes violentes (comme le crime) je souhaite avant tout créer une ambiance qui puisse vous séduire. Quand nous sommes face à une situation sombre par exemple, je souhaite immédiatement l’embellir afin que le spectateur puisse voir le danger de la séduction du mal.

    Vous aimez donc mettre le spectateur à l’épreuve…

    Je ne souhaite pas le tester ou observer sa réaction mais je vois le mal comme un virus qui peut se répandre à vitesse grand V et qui attire beaucoup de monde. De manière générale, dès qu’il y a tentation, tout le monde est mis à l’épreuve. C’est de là que provient l’horreur la plus totale : de l'attraction qu'exerce le mal.

    Est-il aussi possible de parler d’esthétique musicale ?

    Lors de la reconstitution de la scène du crime, c’est vrai qu'on entend très fort le son d’une trompette, proche de la musique de cirque. Je voulais utiliser cet instrument car il a cette sonorité tout en ayant une signification ironique. L’ironie permet d'alleger cette séquence assez noire.

    "The Host" a été un grand succès au Box-office Coréen. En a-t-il été de même avec "Mother" ?

    Mother n’a pas eu le même succès que The Host. Il a correctement marché, beaucoup plus tout de même que mon premier film Barking Dogs Never Bite qui a été pour le coup un vrai désastre au box-office. Mais Mother est très différent de The Host. Je pense que si ce dernier film a aussi bien marché, c’est qu’il s’agissait d’un vrai phénomène car le film montrait un monstre qui plaisait à tous, le marketing a été extrêmement bien conçu. The Host avait plus des allures de blockbuster.

    "J'aime tout ce qui est sombre, je préfère d'ailleurs la nuit au jour"

    Dans le cinéma coréen, il semble qu'on peut tout dire, tout montrer : l’excès de violence, pas de happy end… Etes-vous conscient de cette liberté quand vous écrivez vos histoires ?

    Je ne dirais pas qu’il s’agit d’une spécificité coréenne. Il y a beaucoup plus de films coréens qui se terminent par des happy ends, même beaucoup plus qu’aux Etats-Unis, mais ils ne sont pas distribués donc vous ne pouvez pas vous en rendre vraiment compte. Aller jusqu’au bout des choses n’est pas une tendance générale dans le cinéma coréen d’aujourd’hui. De manière subjective, j’aime tout ce qui est sombre, tout ce qui est noir. Je préfère d’ailleurs la nuit au jour. J’aime tout ce qui tourne autour de l’abîme et du gouffre.

    Peut-on malgré tout parler de nouvelle vague du cinéma coréen ?

    On peut parler de nouvelle vague à partir du moment où un groupe d’individu est constitué, communique et établit des règles à l’image de la Nouvelle vague française ou danoise avec le Dogme. En Corée, il n’existe pas de réel mouvement. Chacun travaille de son côté. Je trouve d’ailleurs que nos films sont très différents les uns des autres.

    Où en est votre prochain projet "Le Transperceneige" ?

    Cette adaptation ne sera pas si fidèle que cela. Il s’agira bien d’un film de science-fiction, l’action sera grandiose et l’histoire sera la même que dans la BD : un train roule à grande vitesse alors que tout s’est écroulé sur terre et est enseveli sous la neige. Seule une poignée d'individus tente de survivre dans ce train et fera tout pour s'en sortir, y compris en s'entre-déchirant et en combattant. C’est d’ailleurs précisément autour du verbe « se battre » que tournera l’action du film. Je termine actuellement le scénario. Je pense que la pré-production sera terminée en 2010 et que nous pourrons tourner en 2011.

    Propos recueillis par Edouard Brane le 9 décembre 2009 à Paris

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