Votre expérience américaine a-t-elle été déterminante dans le choix de revenir au noir et blanc ?
Michael Haneke : Non, ca vient de moi, c'est un hasard. Je n'ai pas un planning pour ma carrière ou pour une oeuvre, je fais ce que je peux et je veux faire. Très souvent, je dois attendre un certain temps pour mener à bien mes projets. C'était le cas avec ce film là ou avec Le Temps du loup, un scénario que j'écrivais dix ans avant le tournage. Idem pour La Pianiste que j'avais écrit pour un ami qui a essayé de tourner ce film pendant dix ans et qui n'a pas réussi à le monter. Finalement, le producteur m'a demandé de la faire. On dépend toujours un peu des occasion, et aussi des entrées du film précédent. Alors si on fait un échec, on fait un petit film, si on fait un succès on fait un film plus important.
"Le Ruban Blanc" est-il plus axé sur le mal que sur la violence, comme l'était " Funny Games " ?
Funny Games est un film à part dans mon oeuvre car c'était le seul fait pour provoquer les gens. C'était pour donner une gifle au consommateur de films violents. A part ce film, je n'ai jamais essayé de provoquer. J'ai toujours essayé de raconter ce que je voulais d'une manière efficace mais pas pour provoquer. Je pense qu'on a une certaine responsabilité vis-à-vis des spectateurs. Quand je vais au cinéma, et si on m'explique les choses, je sors fâché. Pour qui se prend le réalisateur pour m'expliquer ainsi le monde ? On doit prendre le spectateur au sérieux, il n'est pas moins stupide que nous. Je ne veux pas être éduqué, je veux être invité à réfléchir par moi-même sur un certain sujet. Tous mes films essaient de développer une dramaturgie qui provoque ca.
Le but du " Ruban Blanc " est-il d'expliquer les racines du nazisme ?
Oui et non. À travers cet exemple du fascisme allemand, qui est malheureusement l'exemple le plus connu au monde, je voulais montrer comment l'être humain devient conditionné par l'idéologie. Partout où il y a une malaise, une pression, une humiliation, les gens arrivent à une situation où ils saisissent n'importe quoi pour s'en sortir. En général, au départ il y a quelqu'un qui dit " suivez-moi, on va essayer ". Ca peut être seulement le fascisme de droite, mais aussi le fascisme de gauche, une idéologie politique ou religieuse.
Quelles étaient vos intentions sur le plan visuel ? Vous êtes-vous inspiré de Carl Theodor Dreyer ou Ingmar Bergman ?
On a étudié naturellement énormément de photos de cette époque-là, spécialement celles de August Sander (1), qui sont les plus belles. L'idée était d'entrer dans un univers optique qui correspond à ces photos. J'ai regardé avec le chef operateur plusieurs films pour voir comment on peut arriver à tourner avec les bougies et les lampes à pétrole. On ne peut pas comparer avec les films anciens parce qu'à l'époque il y avait un gros travail sur la lumière. Si vous regardez les films de Carl Theodor Dreyer, c'est une lumière totalement théâtrale et jamais réaliste. Nous avons vraiment essayé de nous rapprocher du réalisme, ce qu'on ne fait jamais en noir et blanc. On a tourné en couleur parce que la pellicule en noir et blanc n'est pas assez sensible pour tourner avec des bougies. Ensuite, on a transféré tout ça en numérique et on a travaillé pendant des mois pour cacher et effacer les lumières.
Le comportement du pasteur est très contradictoire...
C'est comme dans la réalité ! La réalité est toujours contradictoire et je pense que, en raison de cette responsabilité dont j'ai parlé, on est obligé de se rapprocher un maximum de la complexité de la réalité, sinon ce serait mentir. Est-ce j'y parviens, c'est une autre question, mais c'est ce qu'on voit dans toutes les grandes oeuvres dans l'Histoire du cinéma. Mes films sont des modèles qui ne prétendent pas être la réalité. C'est pourquoi j'ai choisi le noir et blanc et un narrateur qui dit : " Je ne me souviens pas exactement... ". Je laisse une place au doute. C'est un mensonge de dire " je sais comment c'était " car personne ne le sait. On a des documents qui peuvent nous guider mais on doit préciser que c'est une projection d'aujourd'hui.
A la fin du film, le conflit n'est pas résolu...
Le contexte de l'histoire donne un peu une explication sur le film entier. Je ne savais pas comment inclure une réplique sur le déclenchement de la guerre, c'est une phrase qu'on a entendu mille fois, c'est pourquoi j'ai construit ainsi la discussion entre le le baron et sa femme : ils parlent d'autre chose et ca tombe du ciel pour faire entrer la vraie histoire. La vie fonctionne comme ca : on vit quelque chose d'intense, sans toujours comprendre ce qui se passe. Ce n'est que dans les films de distraction que toutes les questions sont résolues.
Comment avez-vous vécu la polémique concernnat le fait que la Palme d'or ait été décernée par le jury d'Isabelle Huppert ?
Dès que j'ai vu qu'elle était présidente du Jury, je me suis dit : " Oh la la c'est ennuyeux pour elle, et pour moi aussi, parce qu'il y a surement des gens qui ne m'aiment pas et qui vont s'appuyer sur ce point-là pour m'attaquer." Mais je m'en fous. Je la connais assez pour savoir qu'elle ne m'aurait pas défendu si elle avait trouvé le film mauvais. Après le palmarès, les membres du Jury sont venus vers moi pour me dire qu'ils avait été emballés par le film. Mais je savais que tout le monde dirait : elle lui doit un prix...
Propos recueillis dans le cadre d'une table ronde
(1) En ce moment à la Fondation Cartier-Bresson : Exposition "August Sander. Voir, observer, penser" jusqu'au 20 décembre. Pour plus de renseignements, cliquez ici
Rencontre avec le comédien Ulrich Tukur
C'est sans doute l'un des plus grands acteurs allemands d'aujourd'hui : on a remarqué sa subtilité et son charisme dans Amen, La Vie des autres ou Séraphine. Il évoque pour AlloCiné Le Ruban blanc, la personnalité de Michael Haneke et son travail d'acteur. (propos recueillis à Cannes en mai 2009 par Julien Dokhan - Image : Yohan Aziza - Montage : Sara Olaciregui)