Nouvelle débâcle pour le gouvernement ou finalement beaucoup de bruit pour rien ? Le second volet de la loi "Création & Internet" ou "Hadopi 2", censé compléter le premier volet de la loi et revenir sur les points censurés par le Conseil Constitutionnel le 10 juin dernier (VOIR NOTRE ARTICLE), aurait fait l'objet de sévères critiques de la part du Conseil d'Etat, selon le quotidien La Tribune dans son édition de mardi.
Rappel des faits
Le 10 juin dernier, le Conseil Constitutionnel infligeait un sérieux camouflet au gouvernement en censurant sévéremment la loi "Création & Internet", notamment pour atteinte au principe de séparation des pouvoirs et présomption de culpabilité. Une décision qui a non seulement et sans doute coûté à Christine Albanel sa place au ministère de la Culture, mais a aussi contraint le gouvernement à revoir à la hâte sa copie, en promulguant dans l'urgence les parties non censurées de la loi, et à aménager un nouveau volet de sanctions contre le téléchargement illégal. Signe d'un net durcissement, c'est Michèle Alliot Marie, ministre de la Justice (et non le ministère de la Culture) qui a présenté mercredi dernier en conseil des ministres le nouveau "projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet" (VOIR NOTRE ARTICLE).
Sévères réserves
Lors du passage du nouveau projet de loi devant le Conseil d'Etat lundi dernier, ce dernier aurait émis de sévères réserves, selon le quotidien La Tribune dans son édition de mardi. Premier point qui fâche : le recours aux ordonnances pénales. Censées accélérer les procédures judiciaires et prévues dans les cas où "il n'y a pas de lourd préjudice", le rapporteur estime que si le nouveau texte confie bien le pouvoir de sanctions à une autorité judiciaire, les garanties apportées par le Juge sont drastiquement réduites. Chaque cas serait traité en 45 min, et le juge aurait 5 min pour prendre sa décision, en s'appuyant sur un dossier ficelé et livré "clé en main" par Hadopi, la haute autorité indépendante. L'intervention du Juge et ses garanties seraient donc réduites "à la portion congrue" précise la quotidien. Une chose qui porterait gravement atteinte au sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs selon le Conseil d'Etat, et pourrait donc se voir à nouveau frappé d'inconstitutionnalité.
Par ailleurs, le juge aura la possibilité de choisir entre trois types de peines : l'amende, la prison et / ou la suspension de l'accès Internet. Selon le rapporteur du Conseil d'Etat, ces peines, qui rappelons-le peuvent s'élever jusqu'à 300.000 euros d'amende et 3 ans de prison pour contrefaçon, "pourraient ne pas être proportionnées".
Défaut de sécurisation de sa ligne internet : 1500 euros d'amende
Le Conseil d'Etat aurait également suggéré de supprimer le dernier alinéa de l'article 3 du nouveau projet de loi : "lorsque le règlement le prévoit, la peine complémentaire définie au présent article peut être prononcée à l'encontre des personnes reconnues coupables des contraventions de la cinquième classe prévues par le présent code. Dans ce cas, la durée maximale de la suspension est de un mois". En fait, ce règlement fait référence à un futur décret, qui prévoit la possibilité de sanctionner l'internaute fautif d'une peine complémentaire : amende de 5e catégorie soit 1500 euros, assortie d'une suspension de l'abonnement de 1 mois, pour défaut de surveillance de sa connexion internet. Une disposition qui porterait une nouvelle fois atteinte à la présomption d'innocence selon le Conseil d'Etat, et déjà retoquée par le Conseil Constitutionnel. Dans sa décision rendue le 10 juin, ce dernier avait critiqué l'absence pure et simple de l'autorité judiciaire dans la coupure de l'accès à internet, pourtant la seule qui puisse "ordonner toute mesure propre à faire cesser ou prévenir une atteinte au droit d'auteur ou droit voisin, occasionnée par le contenu d'un service en ligne".
"Le Conseil d'Etat n'a pas formulé de réserves"
Interrogé hier par l'AFP, le ministère de la Culture dément formellement les réserves qui auraient été émises par le Conseil d'Etat. Ainsi, le document que s'est procuré La Tribune n'aurait rien à avoir avec la version définitive des conclusions. Selon Le Point, il s'agirait tout au plus "d'un brouillon, qui annote le projet de loi en mettant entre crochets les parties du texte qui peuvent prêter à débat au regard de la constitution. Puis, le Conseil d'État, en formation collégiale, "lève les crochets", selon le jargon administratif. Et c'est exactement ce qu'a fait le Conseil d'État, après délibération". Pour lever les soupçons, selon le site Pcinpact, "le mieux serait que le ministère de la Culture accepte de rendre public cet avis du Conseil d'État. Si le juge administratif ne le peut, la Rue de Valois en a le pouvoir"... Quoiqu'il en soit,et même si le gouvernement tente visiblement le passage en force, le texte sera débattu à l'Assemblée Nationale le 8 juillet prochain.
Olivier Pallaruelo avec Libération, La Tribune, Pcinpact et Degroupnews