De Caché à A history of violence, l'édition 2005 du Festival de Cannes a été marquée par des oeuvres sombres et éprouvantes. Au milieu de cet océan de noirceur, le sensuel Peindre ou faire l'amour, troisième long métrage des frères Larrieu, a fait souffler un vent de fraîcheur et de légèreté sur la Croisette. Portée par un joli quatuor d'acteurs (Sabine Azéma, Daniel Auteuil, Amira Casar et Sergi Lopez), cette comédie à l'insolente douceur sort en salles ce mercredi 24 août. L'occasion de revenir sur la conférence de presse que donnait, en mai dernier à Cannes, l'équipe du film au grand complet.
Eros & anti-héros
J-M L. : Le titre est un programme ironique destiné à nos 2 personnages : peindre ou faire l'amour. L'idée était de se demander : que reste-t-il quand la vie sociale s'achève ? On voulait aussi montrer qu'il peut arriver des choses exceptionnelles à des gens communs. Ces personnages, qui sont confrontés à des grandes questions comme l'Amour, le Désir, le Sexe ou l'Art, ne sont pas des héros. Ce sont des petits bourgeois de province. Mais ils traversent des moments forts et puissants.
Nature & découverte
Arnaud Larrieu : Le film devait se tourner dans les Pyrénees. Tous les lieux de tournage avaient été repérés, mais pour des raisons de production, on s'est retrouvé en Rhône-Alpes. Dans un premier temps, cela nous a troublés. On a ensuite trouvé la maison, mais ses alentours ne nous satisfaisaient pas. On est alors partis marcher autour de cette maison, et là, le lieu a commencé à exister. En fait, où que l'on soit, il suffit de s'arrêter un peu, de marcher et tout arrive.
Sabine Azéma : Je me suis beaucoup imprégnée de la nature dans laquelle on tournait. J'étais venue avant le tournage, j'avais repéré les montagnes, près de Grenoble. C'est avec la nature que j'ai essayé de me remplir, puis de restituer l'amour que j'ai pour cette vie qu'on peut vivre dans des endroits plus sauvages.
Amira Casar : La nature est omniprésente dans ce film, on se sent tout petit par rapport aux montagnes. Ca donne une sérénité, un apaisement. Et en même temps, on se rend compte de la courte durée de la vie. C'est aussi un film sur la solitude, les maisons sont loin les unes des autres. Le film pose cette question : comment gérer la fin d'un cycle, la retraite, la peur de la mort ? Ca ne se fait pas de façon mentale, mais ça passe par le corps, les saisons.
Ceci est mon décor
Jean-Marie Larrieu : On a retiré une scène dans laquelle Sergi Lopez exposait une théorie selon laquelle les paysages étaient des grands corps nus qu'on traverse. C'est vrai que pour moi, les paysages, ce sont des corps. L'intimité d'un paysage a un rapport avec le nu.
A. L. : Le but du film, c'est d'érotiser le paysage. On avait souvent ça à l'esprit. Ca peut passer, à l'écran, par un rapport entre une courbe et une lumière, un personnage et un paysage.
J-M L. : Les noms des lieux sont importants. Par rapport au sujet du film, par exemple, le fait de tourner dans le Vercors, ce n'est pas rien. De même pour les prénoms des personnages que jouent Sergi Lopez et Amira Casar : Adam et Eva. Je pense vraiment que dans la vie, il y a des rencontres qui se font autour des noms.
Bêtes de scènes
S. A. : Je ne pensais pas des gens comme les Larrieu, qui font partie d'une certaine famille de cinéma, s'intéresseraient à Daniel et moi, et ça me rendait triste. J'étais donc très heureuse qu'il me choisissent. C'est difficile de faire connaissance sans se faire peur, de montrer qu'on est bien ensemble. Mais on a fini par s'apprivoiser. Ils sont extrêmement secrets, plutôt introvertis, alors que je suis plutôt extravertie. Pendant longtemps, ils ont fait des documentaires animaliers. Eh bien, sur ce tournage, c'était un peu pareil... Pour filmer des animaux il ne faut pas s'approcher, ne pas bouger. Savoir regarder, ne pas contrarier, ne pas faire peur. C'est une très bonne méthode pour moi. On est un peu comme des oiseaux, avec Daniel.
A. L. : Le premier plan qu'on ait tourné avec Daniel, c'est quand il sort de la voiture pour aller visiter la maison. On reste longtemps sur la voiture. Vous pouvez penser que c'est un mouvement de caméra qui a été très réfléchi... En réalité, c'est parce que je regardais Daniel sortir du cadre, et je me disais : "C'est Daniel Auteuil !" Il fallait rester étonné que ce soit eux, dans cette histoire. Comme des animaux sauvages.
Douce audace
J-M L. : Ca démarre dans la douceur, et on va au bout de quelque chose. Mais les choses sont là dès le début. La visite de la maison, par exemple, est très sexuelle. Ce n'est pas un film malin, il n'y a pas de stratégie. Ce qui est peut-être provocant, c'est que les personnages suivent leur pente naturelle en allant jusqu'au bout. D'habitude, on s'arrête avant. Il y a une douceur transgressive. En fait, il suffit à chacun d'entre nous de pousser un peu les situations du quotidien, les rencontres, pour que des choses extraordinaires nous arrivent.
Et la lumière fut
A. L. : La différence entre la dernière partie et le reste, c'est que là, ça se passe dans la lumière et non plus dans le noir. On a pris le même chemin que les personnages, William et Madeleine, qui ont fait accéder leurs désirs à la lumière.
J-M L. : Adam et Eva, c'est un couple rêvé. Ils ne sont pas loin d'être des créatures inventées par William et Madeleine, des projections de leurs désirs. Et comme ces deux-là sont un peu coincés, ils choisissent un aveugle...
A. C. : On est comme des réflecteurs pour ce couple. On amène une lumière sur leur vie, et ce faisant, on la transforme de manière cataclysmique. C'est l'histoire d'une première fois. L'Adam qu'incarne Sergi Lopez, c'est l'homme originel de cette histoire-là.
S. A. : Le film parle d'une renaissance. Apprendre à vivre, à regarder la vie. Apprendre à voir : souvent, on est à côté et on ne voit pas. Ca paraît simple, mais c'est très compliqué.
J-M L. : Il y a beaucoup de premières fois dans le film. L'idée, c'est qu'on peut en vivre à tous les âges. C'est un film sur les premières fois, mais pas avec des adolescents de 15 ans.
Recueilli à Cannes le 18 mai 2005 par Julien Dokhan
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