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    "Coffee and cigarettes" : rencontre avec Jim Jarmusch

    De passage à Paris pour la présentation de "Coffee and cigarettes", Jim Jarmusch, figure-culte du cinéma indépendant, a répondu à AlloCiné. Morceaux choisis.

    14h30, un grand hôtel parisien. A l'heure du café, Jim Jarmusch, élégant et courtois, reçoit les journalistes autour de Coffee and cigarettes, son dernier film en salles ce 7 avril. Onze courts-métrages, drôles et poétiques, dans lesquels des amis du cinéaste -qui ont pour nom Cate Blanchett, Bill Murray ou Iggy Pop- discutent, entre clopes et petit noir, de musique, de cinéma, du succès... Autant de sujets que le réalisateur, figure-culte du cinéma indépendant américain, aborde avec humour et décontraction face à la presse. Au fait, pour Jim, ce sera un verre d'eau.

    Café court, café long

    Jim Jarmusch : J'ai fait un premier court-métrage intitulé Coffee and cigarettes en 1986, un deuxième en 1989, puis un troisième un peu plus tard. J'ai alors réalisé que je faisais à chaque fois le même film, avec le même titre, la même situation... J'ai donc décidé de faire d'autres courts sur ce principe, entre deux longs-métrages, avant tout pour m'amuser et pour travailler avec des gens intéressants, de façon très libre. J'en ai rassemblé onze, et j'ai remarqué que des dialogues se répétaient, qu'il y avait des thèmes récurrents. C'est un peu comme avoir suffisamment de chansons pour former un album : je me suis rendu compte qu'une fois réunis, ils avaient plus de force.

    Smoking / No smoking

    Ce que je trouve inquiétant, c'est qu'aujourd'hui on veuille classer les films en fonction du nombre de cigarettes qu'on voit à l'écran, et pas, par exemple, du nombre de personnes qui se font tuer... Pour moi, le cinéma -et tout ce qui est le fruit de l'imagination- doit être protégé à tout prix et rester totalement libre. Je ne suis pas contre les films violents, ni les chansons violentes : dans la fiction, tout est possible. Parmi les personnages du film, certains fument, d'autres non... L'être humain est comme ça, donc on doit pouvoir le montrer au cinéma. Et puis, s'il fallait interdire tous les films dans lesquels on fume, il faudrait jeter à peu près tout le cinéma français... (sourire)

    La voie du hip-hop

    C'était marrant de faire jouer GZA et RZA avec Bill Murray. A l'origine, je devais avoir Ghostface Killah, lui aussi du Wu Tang, mais il était bloqué à Miami. C'est pour ça que dans le film, ils disent "Mec, si on doit attendre Ghost, demain on y est encore..." (sourire) Ils sont très ouverts. Ca leur vient du hip-hop : expérimenter, essayer des choses et voir ce que ça donne, c'est assez naturel pour eux.Ils étaient enchantés de travailler avec Bill Murray, ils n'arrêtaient pas de répéter "BILL MURRAY !", comme dans le film. Lui avait entendu parler d'eux, mais il s'imaginait qu'il aurait affaire à des gangsters –ce qu'ils sont, d'une certaine façon (sourire)– mais ils se sont très bien entendus... Je suis fan de rap depuis 1978, quand j'ai entendu The Breaks par Curtis Blow. Je vis à New York, où le rap tient une grande place, j'y ai beaucoup d'amis graffeurs... J'aime plutôt les trucs violents, le gangsta rap, Capone et Noriega, Scarface, 50 cent, je suis bien sûr un grand fan du Wu Tang. Mais j'aime aussi les grands anciens, Eric B & Rakim et Public Enemy.

    Coffee, cigarettes & rock'n'roll

    Les gens s'imaginent que je me suis dit : "Il faut que je trouve des musiciens pour jouer dans mon film", mais ça ne se passe pas comme ça : je ne suis pas si calculateur. Je choisis des gens qui me semblent intéressants, avec qui je pourrais construire des personnages. Il se trouve que je connais beaucoup de musiciens et qu'ils m'inspirent. Aves les White Stripes, au départ, je devais réaliser un clip. Un jour, Meg et Jack White sont venus à mon bureau, et Jack est tombé sur mes livres sur Nikola Tesla (un physicien croate). Il est lui-même fan de Tesla, il était comme un fou quand il a vu que j'avais des livres qu'il n'avait pas ! Je me suis dit qu'il pourrait faire un petit cours sur Tesla dans un des films, et il s'est montré extrêmement enthousiaste comme on peut le voir dans le film...

    Champagne !

    Le dernier film, Champagne, est très personnel. Les deux acteurs, Bill Rice et Taylor Mead, sont mythiques pour moi parce qu'ils étaient des stars underground à la fin des années soixante-dix, au moment où s'est concrétisé mon désir de faire du cinéma. Taylor faisait partie de la Factory, on le voit dans les films de Warhol, c'est un poète. Bill est dans plusieurs films de l'époque, c'est aussi un peintre. C'est pour cela que je tenais vraiment à clore Coffee and cigarettes avec ces personnes qui m'ont donné envie de faire du cinéma, et m'inspirent encore aujourd'hui.

    Open bar

    Le cinéma, c'est très ouvert. Peu importe le format, je n'ai pas d'idée préconçue. Je ne fais pas des films pour un public particulier, le marketing ne m'intéresse pas. En littérature, vous pouvez écrire un livre de 1 000 pages ou un poème de deux lignes, et les deux peuvent vous aller droit au coeur. En musique, vous pouvez écrire une symphonie de deux heures ou une pop-song d'une minute et demie. Ca n'a pas d'importance. Ce qui compte, c'est ce que vous avez à dire.

    Sofia vue par Jim

    J'ai eu la chance de voir Lost in translation quelques mois avant sa sortie, et donc avant la hype, et je l'ai trouvé très beau. Quand on aime un film, on pense qu'il vous appartient, et après, quand on s'aperçoit que tout le monde en est fan, on se sent un peu dépossédé. Mais c'est humain, c'est comme quand ton groupe de rock favori devient énorme, tu te dis : "Mais c'était MON groupe !". J'aime aussi beaucoup le premier film de Sofia Coppola, Virgin suicides. C'est une poétesse du cinéma.

    Cinéma indépendant

    Il y a une génération de jeunes cinéastes "commerciaux", P.T. Anderson, Wes Anderson, Sofia Coppola et bien d'autres qui font des films très personnels, c'est une bonne chose. Je n'ai jamais bien compris ce qu'on entendait par "cinéma indépendant". Pour moi, on est indépendant quand on fait le film comme on en a envie, avec des personnes qu'on a choisies. Ca peut être un gros film hollywoodien, à partir du moment où le réalisateur est libre de faire ce qu'il veut – maintenant, je ne sais pas quelle est sa part de liberté. Pour moi, aller en France, au Japon ou ailleurs pour trouver de l'argent, c'est le seul moyen de garder le contrôle artistique sur mes films. Aux Etats-Unis, il faut faire beaucoup de compromis. Je ne peux pas travailler avec des gens qui me disent ce que j'ai à faire.

    Un petit supplément ?

    Je tournerai peut-être d'autres Coffee and cigarettes, il y a beaucoup de gens que j'aimerais faire tourner. On verra, je ne suis pas très doué pour planifier...

    Propos recueillis par Julien Dokhan

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