DE QUOI CA PARLE ?
Jeanne, réceptionniste dans une agence de voyage, collectionne les amants. Un jour elle tombe sur Olivier dans le métro et c'est le coup de foudre. Mais leur amour se retrouve assombri par le grand mal de la décennie : le sida.
Visage du jeune cinéma français des années 1990, Virginie Ledoyen prête sa fraîcheur et son dynamisme (qui rappelle inexorablement Valérie de La Fille seule de Benoît Jacquot, sorti 3 ans plus tôt) à Jeanne. Le garçon formidable, c’est Olivier, joué par Mathieu Demy, fils d’Agnès Varda et de Jacques Demy. Une coïncidence pas si anodine.
A leurs côtés, Valérie Bonneton et Denis Podalydès de la Comédie-Française campent un couple désopilant face à leur consumérisme assumé. Enfin, Jacques Bonnaffé interprète François, un homosexuel qui, en une chanson, retrace avec poésie et cruauté le combat de sa communauté dans les années 1980-1990 car La Vie réserve ses surprises.
Jeanne et le garçon formidable est le premier long métrage du duo Olivier Ducastel (assistant-monteur de Jacques Demy) et Jacques Martineau (ancien militant d’Act Up). Par la suite, ils mettront en scène huit longs métrages dont le dernier en date est Haut-Perchés (2019). Les deux anecdotes concernant le passé des réalisateurs ne sont pas insignifiantes car ces aspects traversent Jeanne et le garçon formidable.
Hommage au cinéma de Jacques Demy
Pour une première réalisation, ils tentent un coup de poker en choisissant une comédie musicale. Le genre a été popularisé en France par Jacques Demy avec ses films « en chantés » : Les Parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort, Peau d’âne dans les années 1960-70, mais aussi Une chambre en ville et Parking dans les années 1980. Il reste la figure emblématique de la comédie musicale « made in France ».
Dans la chanson « L’Homme de mes rêves », Jeanne se pose comme la fille de Delphine ou de Solange. Les jumelles proclamaient des portraits impalpables de leurs princes charmants respectifs. Fin des années 1990, la révolution sexuelle et l’émancipation féminine sont passées par là et Jeanne n’oublie pas que l’homme idéal a une « b*te aussi ».
Les paroles sont de Jacques Martineau et Philippe Miller sur des rythmes composés par ce dernier et qui diffèrent d’une chanson à l’autre. Tous les acteurs poussent la chansonnette sauf Virginie Ledoyen, doublée par Élise Caron.
Pour cette ressortie, le distributeur, Malavida Films, a l’ingénieuse idée de proposer de programmer une version karaoké avec 4 chansons : Le Garçon formidable, La Java du séropo, Un dimanche au lit et La Vie à crédit. Difficile de ne pas céder à la tentation de fredonner certains de ces airs !
Mamma Mia!, La La Land, La Reine des neiges... Ces films ont leur version karaoké !Les chorégraphies sont créées par Sylvie Giron, qui a travaillé avec Dominique Bagouet. L’influence de ce dernier est palpable dans cette façon de mélanger les pas d’une très grande précision et qui ressemblent à des gestes du quotidien.
A nouveau dans un hommage modernisant aux pastels des années 1960 propres aux films de Jacques Demy, le chef décorateur Louis Soubrier choisit de laisser la place à une explosion de couleurs vives y compris pour les scènes se déroulant à l’hôpital (du rouge, du orange, du turquoise…).
Enfin, il n’est pas difficile de voir un dernier égard pour leur prédécesseur avec la participation de Mathieu Demy dans le premier rôle masculin. Le film ayant eu pour titre initial Olivier a le sida.
Dans l'air du temps
Dans les années 1980 et 1990, le sida a fait disparaître prématurément de nombreux artistes. Parmi ceux cités ci-dessus, Jacques Demy et Dominique Bagouet. Compagnons de route de la lutte contre le sida, Olivier Ducastel et Jacques Martineau abordent cette problématique en suivant les avancées médicales et le rôle des associations et plus précisément Act Up.
Des Nuits fauves à Philadelphia : comment le cinéma a-t-il traité le SIDA avant 120 battements par minute ?Ainsi, Jeanne et le garçon formidable évoque la sortie des années noires où il faut opérer « le deuil du deuil » mais où certains corps lâchent malgré tout. Dans Drôle de Félix, Sami Bouajila offre un nouveau visage au porteur du virus du VIH, la bithérapie étant elle traitée de façon décomplexée.
Dans Nés en 68, les réalisateurs retracent le début de l’activisme « actupienne » en France et osent aborder les fantômes des auteurs. Enfin, Théo et Hugo dans le même bateau met en scène, en temps réel, la prise d’un traitement post-exposition au VIH à la suite d’un potentiel risque.
Avant le succès de 120 Battements par minute qui a remis sur le devant de la scène l’association au triangle rose, Jeanne et le garçon formidable constituait un document contemporain sur Act Up au moment charnière de l’apparition des trithérapies. En témoignent notamment les scènes de manifestations où se distingue l’un des présidents, Christophe Martet.
Cette avancée thérapeutique modifie le discours des militants de la lutte contre le sida. Les slogans vindicatifs font place, par exemple, au beau « J’ai envie que tu vives », comme un écho à la volonté de Jeanne.
Jeanne et le garçon formidable, c’est un film qui donne envie de chanter, de danser, de tomber amoureux, de se casser la figure et surtout de vivre tout simplement.