Le soap télévisé est aussi ancien que la télévision elle-même. Créé pour la radio, il a été transféré sur ce nouveau média à sa naissance. Ce dossier se propose d’en dresser une histoire, en s’interrogeant sur ce qui peut le définir et en examinant les différentes formes qu’il a prises au fil du temps - Dossier réalisé par Sullivan Le Postec.
Après cette intense période d’hybridation et de diffusion dans la culture populaire, les années 2000 marquent l’apparition de soaps nobles. Mais ces versions hyper-abouties, "high-art" diraient les américains, rarement appelées ainsi, le terme étant trop péjorativement connoté. Le soap noble est "tout simplement", un drama.
La création d’Alan Ball, Six Feet Under, inaugure le genre en 2001 sur HBO. Ecriture de l’intime et de l’émotion, thématiques de la famille, des différences entre les générations, et de la prise en main de son destin par l’individu, mais aussi l’utilisation des relations amoureuses des personnages comme moteur des intrigues... Sur le plan scénaristique, la série se rattache très facilement à son genre. Y compris à certains de ses excès, comme par exemple avec le retour surprise du personnage de Lily Taylor enceinte en fin de saison 2.
La famille Fisher de Six Feet Under, ou les soubresauts du deuil.
Néanmoins, il existe deux différences majeures avec les anciens soaps. La première est d’ordre visuel. A bien des égards, le câble américain procède d’une culture cinématographique au moins autant que d’une culture télévisuelle. C’est ce qui permettront à ces productions de légitimer les séries télévisées auprès de certains milieux culturels français, qui les voyaient encore essentiellement comme une sous-culture abrutissante jusqu’à la fin des années 90.
Le style de réalisation des soap nobles des années 2000 tranche donc avec le visuel souvent sommaire des prédécesseurs, tout en champs / contre-champs et usages massif du zoom.
La deuxième différence, c’est le rythme. Le soap quotidien livre 260 épisodes, par an. Le soap hebdomadaire de network au moins 22 – mais la plupart des soaps à succès des années 80 et 90 en produisaient entre 26 et 35. Le soap noble du câble ne doit fournir que 13 épisodes par saison et a une durée de vie bien plus courte : une soixantaine d’épisodes tant pour Six Feet Under que Friday Night Lights.
Évidemment, ce nombre plus faible d’épisodes permet une qualité d’écriture plus constante, de même qu’un meilleur ancrage thématique. C’est le cas dans Six Feet Under, qui traite de la mort et du deuil tout au long de ses 63 épisodes. Une telle ambition thématique n’est pas nouvelle dans le soap : rappelons-nous de Côte ouest, au départ centrée sur le couple à la manière de Scènes de la vie conjugale. Mais ce thème a peu ou prou disparu après la quatrième saison, Côte ouest totalisant 344 épisodes !
La diffusion sur le câble provoque aussi une autre évolution. Le soap de journée reflétait, avec retard, l’évolution de la société. Le soap de soirée l’accompagnait et l’amplifiait. Le soap noble du câble, va pouvoir la devancer, et littéralement provoquer la société américaine.
C’est le cas, par exemple avec la relation homosexuelle très réaliste entre David Fisher et Keith, un policier, dans Six Feet Under. Le couple est même amené à adopter des enfants au fil de la série. Dix ans plus tard, la question de l’ouverture du mariage aux homosexuels fait toujours l’objet d’un débat politique intense aux États-Unis.
De la même manière, le sujet de l’avortement, toujours tabou à la télévision américaine parce qu’il clive profondément, est évité dans la quasi-totalité des séries. Une déplaisante convention veut qu’un personnage qui envisage l’avortement soit victime d’un accident et fasse une fausse-couche.
Friday Night Lights se situe dans la société conservatrice texane. Une intrigue de la quatrième saison voit une jeune lycéenne être victime d’une grossesse non-désirée. Tami Taylor conseille la jeune fille, en lui indiquant toutes ses possibilités, y compris l’avortement, que la jeune fille choisit. C’est assez pour soulever des protestations des conservateurs, que l’on vit en empathie avec ceux qui les subissent (Voir la vidéo).
Le soap noble des années 2000 est essentiellement une production du câble, mais des allers-retours ont lieu avec les chaînes "grand-public". D’ailleurs, Friday Night Lights était au départ une série de NBC, avant d’être sauvée par un accord qui en partageait le financement entre le network et le réseau satellitaire Direct TV.
Desperate Housewives, création de Marc Cherry, s’inspire de Six Feet Under selon son créateur, qui pensait au départ la vendre à une chaîne câblée. De manière intéressante, elle se trouve aussi être une série-somme, sorte de récapitulatif des 25 années de soap opera de prime-time qui l’avaient précédée. Le concept de Desperate Housewives, centré sur des femmes de 30-40 ans d’une banlieue résidentielle aisée est proche de celui de Côte ouest, avec qui il partage d’ailleurs l’actrice Nicollette Sheridan. Dans ses premières saisons, il intégrait aussi une part de teen soap, avec les intrigues de Julie, Zach et d’Andrew, les ados de Wisteria Lane. Le tout traité avec une approche thématique, plus intellectuelle, héritée du câble.
Desperate Housewives ajoutait même un mélange supplémentaire : Marc Cherry et plusieurs de ses scénaristes venant de la sitcom, ils intègrent cette dimension à la série. Ce patchwork est le symbole d’une époque d’hybridation intense, ou les chaînes proposent des fictions de plus en plus sophistiquées pour renouveler l’intérêt du public. Une approche qui n’est pas sans risques, la série high concept ayant tendance à s’essouffler très rapidement.
Hérité de la tradition de l’histoire orale, probablement à peu près aussi ancien que l’Humanité, le soap opera est un genre fondamental de la narration. Il répond à un besoin fondamental universel : apprendre la manière dont d’autres ont affronté leurs problèmes, pour mieux construire sa propre réponse à ceux qu’on affronte soi-même. Désigné sous le nom de soap opera ou non, hybridé avec d’autres formes d’écriture, il a certainement devant lui un avenir aussi long que son passé.
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