Le soap télévisé est aussi ancien que la télévision elle-même. Créé pour la radio, il a été transféré sur ce nouveau média à sa naissance. Ce dossier se propose d’en dresser une histoire, en s’interrogeant sur ce qui peut le définir et en examinant les différentes formes qu’il a prises au fil du temps - Dossier réalisé par Sullivan Le Postec.
Nous avons dit dans la page consacrée aux soaps américains de prime-time que Dallas avait changé la télévision américaine. Ce n’est pas seulement parce qu’elle a introduit un nouveau genre en soirée, où il allait prospérer jusqu’à nos jours, trente ans plus tard. C’est surtout parce qu’avant Dallas, les dirigeants des grandes chaînes américaines étaient persuadés que le public ne serait pas capable de suivre une série feuilletonnante diffusée sur un rythme hebdomadaire. Les téléspectateurs, pensaient-ils, auraient quasi tout oublié des intrigues après sept jours.
C’est pour cette raison que la première tentative de soap du soir, Peyton Place (1964), était diffusée au rythme curieux de deux ou trois épisodes par semaine.
C’est cela que Dallas va remettre en cause. Loin de regarder l’arrivée du soap en prime-time de haut, les plus importants scénaristes-producteurs de l’époque vont s’en saisir, et trier le bon grain des excès kitchs, pour faire évoluer le média.
Visuel promotionnel de Hill Street Blues, prototype de la série policière moderne
Dès janvier 1981, moins de trois ans après les débuts de Dallas, arrive Hill Street Blues (Capitaine Furillo), création de Steven Bochco et Michael Kozoll. C’est avec elle qu’apparaît la série-feuilleton, c'est-à-dire qu’une dimension de soap, la vie privée à "suivre" des personnages, est intégrée au canevas d’une série policière. L’année suivante, Hôpital St Elsewhere, créée par Joshua Brand et John Falsey, reproduit le même principe avec les séries médicales.
Hill Street Blues et Hôpital St Elsewhere sont le début de la "Quality Television" des années 80, les prototypes de la série moderne. Elles imposent un style narratif plus complexe en reprenant des éléments constitutifs du soap pour les mêler à une structure sérielle classique :
- Certaines intrigues feuilletonnent, notamment celles liées aux vies sentimentales des personnages. Hill Street Blues était au départ structurée en arcs de quatre ou cinq épisodes.
- Une galerie de personnages est mise en avant, plutôt qu’un héros unique.
- Un Univers aspirant à un bien plus grand réalisme est introduit. Ainsi, Hill Street Blues recourt massivement au filmage caméra à l’épaule, un style documentaire qui est une innovation pour l’époque.
A côté de ces évolutions de la narration, on constate aussi, une plus grande fidélité à l’Amérique de l’époque, et un traitement des sujets sociaux. Hill Street Blues est remarquée pour inclure des couples ou des duos professionnels interraciaux, encore excessivement rares à la télévision. Elle n’hésite pas à traiter sur le long terme, et avec subtilité, de thèmes tels que l’alcoolisme, le racisme, la corruption policière. Ce qu’on perçoit aujourd’hui comme des acquis confondants de banalités sont des apports de la quality television et de l’hybridation entre série et soap opera.
Ces innovations, le public américain ne les embrasse pas immédiatement. A ses débuts, Hill Street Blues bat un record dont elle se serait sans doute passée : elle est la série à plus faible audience jamais renouvelée pour une saison 2. Longtemps tenue à bout de bras par la critique (98 nominations aux Emmy en sept saisons), cela lui permettra de s’installer dans la grille de NBC et de gagner peu à peu en audience.
La Loi de Los Angeles, à nouveau créée par Steven Bochco avec Terry Louise Fisher reprend le flambeau de Hill Street Blues et de la case du jeudi à 22h sur NBC à partir de 1986. En navigant autour de la 15ème place des séries les plus regardées, cette série d’avocats contribue à faire pénétrer cette formule nouvelle dans le grand public, alors même qu’elle aussi met énormément l’accent sur des sujets sociaux controversés : avortement, Sida, violences domestiques, homophobie...
La distribution d’Urgences au moment de sa cinquième saison.
En 1994, cette case horaire est reprise par Urgences, clair descendant de Hôpital St Elsewhere. Dès sa première saison, Urgences devient la deuxième série la plus regardée aux États-Unis, avant de prendre la première place l’année suivante. La série-feuilleton est devenue mainstream. Dix ans après son commencement, ce qui était un pari d’image pour NBC est devenu un énorme succès commercial.
Le soap médical n’a pourtant rien perdu en matière de réalisme social. Avec pertinence, il interroge l’Amérique moderne en racontant l’histoire de ce service d’urgence d’un hôpital public qui accueille toute la misère de Chicago, et les dommages collatéraux des guerres de gang...
A partir de là, plus grand-chose n’arrête la série-feuilleton, et l’anomalie devient la série aux épisodes entièrement bouclés. L’hybridation avec le soap ne s’arrête à aucun genre, ni la sitcom avec Friends, ni la science-fiction. Babylon 5 applique au space-opera télévisuel à la Star Trek la recette Hill Street Blues. Et, à bien des égards, la mythologie de X-Files est un vaste soap : elle en reprend un des principaux thèmes, le conflit de générations. Mais cette fois, le secret de famille (un lointain adultère qui entraine une paternité douteuse) est exacerbé par l’invasion des extraterrestres...
Ce processus de récupération et d’anoblissement des structures narratives et des thématiques du soap opera par de grands auteurs de télévision, et ces hybridations avec une multitude de genres, vont aboutir dans les années 2000 à la création de soaps tellement nobles qu’ils en ont perdu leur nom…
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Pour aller plus loin, vous pouvez consulter les travaux de l’universitaire Carmen Compte, notamment "L’influence des soap opera sur les stratégies narratives des séries télévisées"
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