Le soap télévisé est aussi ancien que la télévision elle-même. Créé pour la radio, il a été transféré sur ce nouveau média à sa naissance. Ce dossier se propose d’en dresser une histoire, en s’interrogeant sur ce qui peut le définir et en examinant les différentes formes qu’il a prises au fil du temps - Dossier réalisé par Sullivan Le Postec.
Le soap opera, tel que défini par un certain nombre de critères – la narration non finie, chaque épisode appelant à regarder le suivant, l’écriture centrée sur l’émotion et les sentiments pour provoquer identification et empathie, les thématiques de la famille, des conflits de générations, et de la relation amoureuse traitées sous tous les angles – est un genre international.
Les racines du soap opera quotidien britannique sont presque aussi anciennes que celle du soap US. Depuis l’arrêt de l’américain As the World Turns en septembre 2010, Coronation Street est même devenu le plus ancien encore en diffusion dans le monde : son premier épisode remonte au 9 décembre 1960. Depuis, il est resté une institution de la télévision britannique, sans lasser : il domine encore les audiences rassemblant 8 à 9 millions de téléspectateurs sur la chaîne privée ITV, avec un pic récent à 14 millions pour l’épisode en direct qui fêtait les 50 ans du feuilleton.
Ken Barlow aujourd’hui, et dans le premier épisode de Coronation Street en 1960. L’acteur William Roache l’incarne depuis plus de cinquante ans.
Le soap anglais est la source d’un des grands fondements de la fiction télévisée du pays, ce que les britanniques appellent les "kitchen drama" ("drames de cuisine") : chroniques du quotidien, de l’intime, de la famille. Des fictions où le visuel passe au second plan – pour des raisons d’économies, la BBC a très longtemps tourné presque toutes ses fictions en vidéo.
La télévision britannique, tout comme l’américaine, descend directement de la radio. Elle a toujours assumé d’être un média d’écriture, par opposition à la France où la télévision s’est développée comme un parent pauvre du cinéma qui sacralise le réalisateur.
Coronation Street est fermement enraciné dans le milieu modeste de Weatherfield, petite ville fictive de la banlieue de Manchester, tirant profit de la tradition britannique de réalisme social. Les soaps anglais s’inscrivent tous dans cette veine, parfois même encore plus que le soap d’ITV, régulièrement taxé de conservatisme – dès les années 60, on lui reprochait de représenter la famille britannique de la décennie précédente.
La Grande Bretagne exploite aussi à plein ses régions, avec ses multitudes d’accents et même de langues : Pobol y Cwm est entièrement tourné en Gallois depuis ses débuts en 1974.
L'Amérique du Sud est l’autre Continent du soap. Avec une différence de taille : la telenovela, qu’elle soit hispanophone ou lusophone, est limitée dans le temps et raconte une histoire avec un début, un milieu et une fin, sur une durée comprise entre 20 et 300 épisodes. Un atout de taille pour éviter le tirage à la ligne et les rebondissements invraisemblables des soaps américains, mais qui peut aussi produire du conservatisme : à chaque début de nouvelle série, il faut séduire le public, avec la tentation de recourir pour cela à des recettes éculées.
Peu vues en France, les telenovelas y sont réduites à leur caricature : histoires d’amour passionnelles sur-jouées sur fond de couleurs flashy. Mais diffusées dans des créneaux horaires allant de 18h à 22h30, les telenovelas sont moins uniformes que ce que l’on perçoit ici. Entre 22 et 23 heures, notamment, elles peuvent aborder avec plus de réalisme des sujets sociaux et politiques – c’est le même horaire qui a permis aux prime-time soaps américains d’aborder de front des sujets sociaux encore tabous dans les années 80, comme le droit des femmes ou l’homosexualité.
Ce tournant a été pris au Brésil en 1992 avec Anos Rebeldes ("Années Rebelles") de Gilberto Braga, qui revenait, près de six ans après l’ouverture, sur les années de dictature militaire. En 2008, Queridos Amigos ("Mes Chers Amis") s’inscrit dans cette même tendance.
Les formats de telenovelas plus traditionnels s’exportent à peu près partout dans le monde, que ce soit en version doublée ou sous formes de remake. L’exemple le plus frappant en étant la colombienne Yo soy Betty, la fea ("Je Suis Betty, La Moche") adaptée 22 fois dans le monde dont aux États-Unis (Ugly Betty) et en Allemagne (Le Destin de Lisa).
Si les thématiques et les codes narratifs du soap sont universels, les référents culturels le sont beaucoup moins. Ils sont un frein à l’export plus grand encore que la langue, que le doublage permet aisément de contourner.
La distribution Coréenne du drama "Boys Over Flowers"
C’est ainsi que les pays arabes importent de façon importante des dramas coréens : les valeurs culturelles confucianistes sont plus compatibles avec celles des pays musulmans que les séries américaines. Le soap est bien présent dans ces dramas, sous toutes ses formes.
Énorme succès en Asie, Boys Over Flowers (la version la plus connue est la Coréenne, troisième remake de la série originale taïwanaise, elle-même adaptée d’un manga japonais des années 90) est un teen soap situé dans un lycée huppé. Une jeune fille y affronte les 4F, une bande de garçons très beaux, très riches, et très arrogants, comme si Chuck Bass de Gossip Girl avait été cloné trois fois. Évidemment, elle va tomber amoureuse de l’un d’entre eux...
BJ Song, producteur, président de Group8 explique : "Un drama coréen est très réel. Les acteurs ne sur-jouent pas comme dans les séries japonaises. Il n’y a pas de sexe, mais on y voit des baisers : on n’est pas à Bollywood ! Et, comme dans la vie quotidienne, il y a des adultères, de la prostitution et des gays. Eh bien, nous pouvons en parler aussi. Et nous le faisons."
Autre institution du soap mondial, le feuilleton du Ramadan. Le soir venu, après l'Iftar (rupture du jeûne), le monde arabe se rassemble pour suivre ces feuilletons, produits chaque année par dizaines pour l’occasion.
Pour se faire remarquer dans ce marché très concurrentiel, il faut faire parler de soi. Là encore, les sujets sociaux sont un bon moyen d’amener le scandale, que ce soit par conservatisme (les quatre femmes heureuses de partager leur mari polygame de Hag Metwalli), ou progressisme. L’intérêt est que le soap, parce qu’il est une forme de fiction ultra-populaire qui pénètre dans un nombre très vaste de foyers, fait souvent bien plus que refléter l’évolution des mentalités. Il l’accompagne, voire l’amplifie.
L’actualité et la politique irriguent aussi les histoires des feuilletons du Ramadan. Plusieurs ont récemment évoqué dans leurs histoires la corruption chez certains élus, ou encore le thème du terrorisme – et pas, bien évidemment, pour prendre le parti d'Al-Qaïda.
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Source de la citation de BJ Song : Interview par Frédéric Martel, Mainstream, éditions Champs Actuels, 2011
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