Le soap télévisé est aussi ancien que la télévision elle-même. Créé pour la radio, il a été transféré sur ce nouveau média à sa naissance. Ce dossier se propose d’en dresser une histoire, en s’interrogeant sur ce qui peut le définir et en examinant les différentes formes qu’il a prises au fil du temps - Dossier réalisé par Sullivan Le Postec.
C’est seulement en 1985 que les français ont découvert le soap opera de journée américain, avec l’arrivée de Santa Barbara sur TF1. La chaîne a saisi l’occasion de la création en 1984 de ce nouveau soap sur NBC, qui lui permettait de commencer l’histoire par le début. (A l’inverse, Les Feux de l'amour ou Des jours et des vies ont commencé en France en 1989 et 1991 par des épisodes choisis arbitrairement.)
Il y a un paradoxe Santa Barbara. Aux États-Unis, on s’en rappelle comme un des meilleurs soaps quotidien. En France, la série est identifiée aux travers du genre : les décors de studio au réalisme faible, la réalisation médiocre, le jeu des acteurs limité. Des défauts inhérents au rythme frénétique des tournages mais que peuvent compenser une écriture solide et l’attachement aux personnages procurés par la fidélisation quotidienne. D’ailleurs, Santa Barbara a été très populaire, atteignant jusqu’à 9 millions de spectateurs vers 19h, mais est resté dans la mémoire collective française comme une production kitsch, bas de gamme et sans intérêt.
Santa Barbara doit son succès à son couple de créateurs, les Dobson. Bridget Dobson est très familière du genre puisqu’elle est la fille de Frank et Doris Hursley qui ont créé Alliances & trahisons, le plus ancien soap quotidien encore en cours de diffusion aux États-Unis. Il fut lancé en 1963, dix ans après le tout premier du genre, Haine et Passions, transféré à la télévision après 17 ans d’existence à la radio.
Dans les années 50, les épisodes faisaient 15 minutes et étaient filmés en direct. Leur durée est progressivement passée à 30mn dans les années 60, puis 1h dans les années 70. A cette époque, les derniers soaps diffusés en direct basculèrent vers des épisodes enregistrés.
1982. Elizabeth Taylor fait une apparition spéciale dans Alliances & trahisons
pour le mariage des personnages d’Anthony Geary et Genie Francis
Le soap est un mélodrame destinée à accompagner la femme au foyer pendant ses travaux ménager. Ces tranches de programmes sont sponsorisées et à l’origine produites par les lessiviers, d’où ce nom d’opéra savon. Le soap repose sur l’empathie envers des personnages dont on explore avant tout la vie émotionnelle. Ses thèmes sont la famille, les relations sentimentales plus ou moins contrariées et les conflits de génération. La structure est non-finie : plusieurs intrigues se déroulent en parallèle, s’arrêtent, commencent, se poursuivent... Bref, chaque épisode invite à regarder le suivant, et les cliffhangers sont nombreux, particulièrement le vendredi. Le soap américain, même s’il incorpore des familles populaires ou de classe moyenne, a toujours eu tendance à mettre en avant des familles très aisées.
Quand Bridget et Jerome Dobson créent Santa Barbara, trente ans après l’apparition du soap télévisé, ils intègrent cette histoire. Leur série est très moderne, notamment par son écriture : chaque épisode d’une heure (ils étaient découpés en deux sur TF1) couvre une journée, alors que Les Feux de l'amour, par exemple, racontent leurs histoires pratiquement en temps réel. Il faut donc de multiples épisodes pour suivre un jour de la vie des personnages, ce qui fait qu’il est possible de tomber le mercredi sur la suite d’une conversation commencée dans l’épisode du lundi...
Santa Barbara est excentrique, fait preuve d’esprit et d’humour, et joue très fréquemment la carte du second degré et de l’autodérision. Elle fait aussi des incursions régulières dans le fantastique et le merveilleux. Pour le mariage de Cruz et Eden, le couple vedette, les scénaristes concoctent une lune de miel pour le moins originale : un voyage dans le temps ! Les nouveaux mariés rencontrent les parents d’Eden dans une intrigue qui évoque le premier Retour vers le futur.
Bridget Dobson s’est aussi beaucoup inspirée de sa propre famille dysfonctionnelle pour créer celle au cœur du feuilleton, les Capwell. En effet, c’est seulement en posant un ultimatum à ses parents qu’elle a pu intégrer l’équipe d’écriture d'Alliances & trahisons, et quand elle démissionne cinq ans plus tard pour essayer de trouver un travail sur un autre soap que celui de ses parents, ceux-ci tombent des nues : ils ne voient pas qui, à part eux, pourrait engager leur fille. La mère de Bridget Dobson confia plus tard n’avoir jamais regardé une des série dont sa fille dirigeait l’écriture, parce qu’elle voulait "pouvoir continuer à être fière" d’elle !
"J'aime beaucoup écrire pour Mason Capwell," admet Bridget Dobson. "C'est un personnage tourmenté, qui me ressemble par certains côtés. Je lui ai fait dire à ses parents des choses que je n'aurais jamais été capable de dire aux miens, mais que j'aurais bien voulu leur sortir !"
Pour tenir en haleine le public des décennies durant, les soaps sont coutumiers de rebondissements rocambolesques, voire carrément absurdes. Santa Barbara, si elle le fait avec malice, ne fait pas exception. Une intrigue voit ainsi Gina, la méchante fantasque, décider d’envoyer un sosie de Mason au sein de la famille Capwell, pour mieux les dépouiller. L’occasion d’un cours sur l’histoire de la série, à voir dans la vidéo ci-dessous. Une mise en abîme incroyable. (Faut-il préciser que le sosie de Mason est en fait le vrai Mason, qui a perdu la mémoire et se prend pour quelqu’un d’autre ? Rocambolesque voire carrément absurde, on vous a dit.)
Les histoires abracadabrantes des soaps quotidiens américains ne sont pas seulement le fruit de scénaristes désespérés ne sachant plus comment remplir le prochain épisode, ils sont aussi une façon de mettre la réalité à distance. Parce qu’ils sont destinés aux ménagères présentes devant leur écran à 14h ou 15h, une cible vieillissante, les daytime soaps sont conservateurs et ne suivent qu’avec retard les évolutions de la société.
L’augmentation massive du travail des femmes, la multiplication des chaînes et la fragmentation du public ont mis à terre le modèle économique des soaps quotidiens américains. Surtout, ceux-ci n’ont pas su se renouveler. Rien n’a vraiment changé depuis cet extrait de Santa Barbara datant de la fin des années 80. Depuis dix ans, cette industrie est à l’agonie. Même ses stars doivent accepter des réductions de salaire, ce qui donne lieu régulièrement à des négociations médiatiques tendues.
En une poignée d’années, les chaînes américains ont annulé des soaps historiques tels que Haine et Passions, As the World Turns, La Force du destin et On ne vit qu'une fois. Ces deux derniers ont eu l’espoir d’être sauvés par un acteur de l’Internet qui a tenté de monter une chaîne de diffusion en ligne. Le projet a capoté misérablement.
Le soap quotidien américain a-t-il encore un avenir ? Rien n’est moins sûr.
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Source de la citation de Bridget Dobson : Interview par Joan Mac Trevor, Ciné Télé Revue, 1988
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