The Tree of Life va enfin sortir sur nos écrans : l'occasion pour nous d'évoquer les aspects saillants de l'oeuvre de Terrence Malick avec Christian Viviani, universitaire et coordinateur de la revue Positif... - Dossier réalisé par Alexis Geng
Christian Viviani est Maître de conférence à l’Institut d’Histoire de l’Art et d’Archéologie - Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, et chargé de cours à Paris 4 (Histoire du cinéma italien). Il est depuis 1995 membre du comité de rédaction et coordinateur de l’incontournable revue de cinéma Positif [voir une bibliographie sélective en fin de dossier].
AlloCiné : quels sont les motifs qui traversent l’œuvre de Terrence Malick, depuis Badlands [La Balade Sauvage] jusqu’à aujourd’hui ? Vaste question, bien sûr…
Christian Viviani : Oui, et pour laquelle il faut aussi employer de grands mots, parce que Terrence Malick est, finalement, l’un des rares cinéastes contemporains qui requiert ce genre d’approche. Il y a deux aspects : l’un, très américain, est représenté par la présence de la terre américaine, ou de la terre américaine à travers ses représentants (comme dans La Ligne rouge), ou même via le souvenir de la terre américaine. Il y a quelque chose - je ne veux pas dire quelque chose de nationaliste, j’aurais l’impression de restreindre les choses… Mais disons que Malick est un cinéaste lié, d’une manière quasiment exceptionnelle maintenant, à sa propre culture nationale, et qui travaille dans le sens de sa propre culture. Puis, d'un autre côté, on trouve un aspect "transcendance", c’est-à-dire que tout ce que l’on voit, et même tout ce qui nous semble lié à la terre américaine, sert en réalité de tremplin pour basculer vers autre chose, vers un discours beaucoup plus universel, beaucoup plus humaniste, qui ne connaît pas de frontières. Voilà à peu près comment je le perçois.
Est-ce parce qu’il est fortement lié aux mythes, à l’épopée nationale, qu'on parle de lui comme d'un cinéaste de l’épique ?
Je dirais qu’il est un cinéaste de l’épique tout simplement parce qu’il est un cinéaste américain. Cela peut sembler très simple, mais ça ne l’est pas autant qu’il y paraît. Malick appartient à cette catégorie de cinéastes que l’on a vus se mettre en place à l’origine de l’histoire du cinéma américain, c’est-à-dire à l’origine de l’histoire du cinéma tout court. Je pense à D.W. Griffith, à John Ford, des gens comme ça. Dans ses contours les plus réalistes, c’est une œuvre qui est donc liée à la terre américaine, et qui exerce à ce titre - là je me place du point de vue du spectateur non-américain - un attrait exotique très fort, comme ont pu l’avoir les films de Ford ou de quelques grandes pointures comme Raoul Walsh. Mais, exactement comme Walsh, Ford ou Griffith (et en cela il est complètement américain), c’est un bâtisseur de mythes, d’icônes, il développe un discours totalement universel qui est pour moi l’explication de ce que j’appellerais la prévalence du modèle américain dans le cinéma. On peut toujours couper les cheveux en quatre, développer un grand discours d’ordre politique en parlant d’ « hégémonie commerciale » du cinéma américain... Bien sûr cela existe, mais les Américains n’auraient jamais eu les résultats qu’ils ont eus s’il n’y avait pas, au départ, une pensée philosophique, une volonté artistique qui était, elle, universelle, probablement peu structurée par rapport à ce qui se passait en Europe à ce moment-là, mais quand même probablement bien plus réfléchie qu’on ne l’a dit. La prévalence du cinéma américain n’aurait jamais pu avoir lieu s’il n’y avait pas eu des artistes au départ. Et Malick est de cette espèce-là.
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