C'était l'un des plus grands réalisateurs français. Eric Rohmer, figure de la Nouvelle Vague, est décédé lundi matin à l'âge de 89 ans. On lui doit 23 longs métrages, dont "Ma nuit chez Maud", "Les Nuits de la pleine lune" et "Les Amours d'Astrée et Céladon", son dernier opus, sorti en 2007. AlloCiné lui rend hommage. Dossier réalisé par Julien Dokhan
Paris, 12 juillet 2007. On a rendez-vous avec Eric Rohmer, quelques semaines avant la sortie des Amours d’Astrée et de Céladon. Il nous reçoit dans son bureau des Films du Losange. Tel un étudiant consciencieux avant un exposé, il a préparé quelques documents, posés sur un coin de la table (manuscrits, cartes diverses…). Cet entretien, qui durera finalement deux heures, nous permettra de parler de son dernier opus, mais aussi de l’ensemble de son œuvre (en page 3, écoutez-le commenter des photos de ses films). Légèrement voûté, mais l’esprit vif et l’œil aux aguets, il nous confie qu’il ne réalisera sans doute pas d’autre long métrage après Les Amours d’Astrée et de Céladon, car un tournage serait trop éprouvant physiquement. Mais il ajoute, maliceux et cachottier, que depuis L’Astrée, il a tourné des courts métrages, des « petites surprises » , mais ne souhaite pas en dire plus. En attendant de découvrir peut-être un jour ces ultimes trésors, on vous invite à lire cet entretien, le plus long sans nul doute qu’il ait accordé à un site internet. Julien Dokhan
AlloCiné : Vous avez souvent parlé de votre goût pour la diversité, qui permet de ne pas ennuyer les spectateurs. Cette diversité, on la retrouve dans l'Astrée (diversité des personnages, drôlerie et gravité, sensualité et spiritualité). Est-ce ce qui vous a séduit dans le texte ?
Eric Rohmer : Oui, beaucoup, effectivement. Il y a même davantage de complexité dans L'Astrée, que je n'ai d'ailleurs pas lu en entier : il y a six volumes, environ 5000 pages. Je me suis contenté de choisir les passages qui se rapportaient aux amours d'Astrée et de Céladon. Et même à l'intérieur de ces passages, j'ai dû sacrifier certaines choses car ça ne pouvait pas tenir dans un film d'une heure et demie.
La genèse de ce projet est assez particulière...
Oui, car contrairement à ce qui se passe en général, l'idée n'est pas venue de moi, mais du cinéaste Pierre Zucca, qui avait proposé ce sujet aux Films du Losange. Mais la directrice de cette société [confondée par Rohmer], Margaret Ménégoz, a pensé qu'on ne pouvait pas le financer. J'avais trouvé l'adaptation très intéressante, avec des dialogues très personnels et beaucoup d'imagination, mais trop moderne à mon goût. C'était extrêmement loin du modèle initial. Moi-même, je n'avais pas lu L'Astrée. J'ai été professeur de lycée, mais d'Urfé était considéré comme un auteur à mentionner, pas à étudier. Quand Pierre Zucca est mort [en 1995], j'ai eu la curiosité de voir ce que c'était. D'une part, j'ai découvert qu'il y avait des rapports entre L'Astrée et ma propre sensibilité. D'autre part, les dialogues, bien qu'écrits il y a 400 ans, sont très accessibles à un public moderne. C'est même un texte très remarquable, et, d'une certaine manière, plus facile à comprendre que Corneille, qui lui est légèrement postérieur.
Le travail d'adaptation a-t-il été long ?
Au moment de La Marquise d'O...[d'après Kleist], j'avais dit : ce n'est pas une adaptation, c'est une mise en scène. Parce que j'avais pris le bouquin et fait le film le livre à la main. J'aurais presque pu ne pas écrire de scénario, et faire le découpage des scènes à partir du livre. Kleist est surtout un auteur de théâtre, et c'est construit comme une pièce de théâtre. Tandis qu'ici, c'est non seulement un roman, mais un roman-feuilleton. Il faut élaguer. Mais une fois que j'ai choisi les passages, j'ai gardé les dialogues sans changer un mot.
Y a-t-il chez l'ancien professeur que vous êtes une volonté pédagogique, l'envie de faire découvrir "L'Astrée" à un large public ?
Certainement. Il y avait une volonté pédagogique pour Perceval le Gallois, car j'ai toujours admiré Perceval et je trouvais que le public actuel avait des difficultés à le percevoir. Je n'aimais pas les traductions qui en étaient faites, je pensais qu'il fallait le traduire mot à mot et en vers. C'était plus intéressant que les traductions en prose qui sont beaucoup plus lourdes. Avant de sortir le film, nous l'avions montré à des classes. Eh bien, ce sont les plus jeunes élèves, des classes primaires, qui ont le mieux suivi ce texte, alors que les lycéens ont eu plus de difficultés. Il y a dans Perceval un côté plus enfantin, alors que L'Astrée doit toucher plus les adolescents que les enfants. Enfin, on verra...
Avez-vous rapidement décidé de ne pas tourner dans les lieux du roman ?
Oui. On a décidé de changer de région quand nous nous sommes aperçus que tout avait été transformé dans la région où est située L'Astrée. Avec Françoise Etchegaray[assistante réalisatrice], nous avons cherché sur des atlas les endroits qui pouvaient convenir. Elle est allée sur place avec une petite caméra DV et c'est à partir de ses vues j'ai choisi les endroits. Mais on a mis beaucoup de temps par exemple à trouver une rivière. Vous allez me dire qu'en France il y a plein de rivières. Oui et non. Il est très difficile de trouver une rivière à la fois profonde, dans laquelle on peut plonger, et en même temps avec un courant qui emporte la personne. J'ai choisi de ne pas montrer Céladon se jetant dans la rivière, d'abord pour des raisons de commodité : c'est une scène difficile à réussir sans trucages. Et puis je trouve que c'est plus beau, plus frappant de voir le berger revenir avec son chapeau, sans l'avoir vu tomber dans l'eau.
Cela vous a-t-il coûté de ne pas pouvoir tourner dans les lieux de l'action ?
Si vous filmez Maupassant –je cite cet exemple parce qu'on a souvent filmé son oeuvre- et que vous filmez dans un autre lieu, ça ne va pas plus. Parce que Maupassant, c'est la Normandie, on ne peut pas montrer autre chose. Là, c'est différent, car à cette époque, on avait l'art du récit et du dialogue, mais pas celui de la description. C'est très impersonnel, il est difficile de se représenter les lieux. On sait qu'il y a une rivière, des villes, mais c'est tout. Donc finalement, ça n'a pas d'importance si on change.
On vous a souvent qualifié de cinéaste de la ville, et notamment cinéaste de Paris. Mais vous avez en réalité souvent tourné à la campagne.
Quand on dit que je suis un cinéaste de la ville, on veut peut-être dire que la ville, je la montre. Parce qu'il y a des gens qui situent leur histoire à Paris, et finalement on ne voit que des intérieurs. Donc je suis cinéaste de l'environnement, disons ce mot plutôt que décor qui est un peu limitatif. Il y a beaucoup de nature dans La Collectionneuse, Le Genou de Claire, Pauline à la plage, 4 Aventures de Reinette et Mirabelle, L' Ami de mon amie, et puis dans les Contes des quatre saisons qui se passent en province. Il y a finalement moins de films faits sur Paris que sur la province et sur les campagnes. Dans L' Arbre, le maire et la médiathèque, j'ai même filmé de vrais paysans.
Lors d'une rétrospective à la Cinémathèque, on a pu voir les émissions sur les villes nouvelles que vous aviez réalisées dans les années 70. La question ville/campagne, peut-être même l'écologie, c'est important pour vous ?
Oui. L'urbanisme m'intéresse beaucoup. J'ai eu l'occasion d'être en relation avec des architectes pour mes films. Et j'ai toujours été intéressé par l'écologie. Au moment de mai 68, je disais aux gens qui faisaient la révolution : vous êtes en dehors de la question, votre révolution est un peu démodée, elle est très XIXe siècle. La vraie, ce serait une révolution écologique. La grande menace, c'est ça, plus que l'oppression des pauvres par les riches. Je me trompais peut-être mais cette question me semblait de moins en moins importante -même si maintenant il y a de nouveau un problème. Il se trouve que le meneur des étudiants de Nanterre est devenu écologiste : Monsieur Cohn-Bendit est allé plutôt dans mon sens...
Dans un entretien qui figure sur le DVD de Perceval le Gallois, vous expliquiez que cela vous gênait de montrer des vrais arbres d'aujourd'hui dans un film qui se situe au Moyen-Age, c'est pourquoi dans le film on voit de "faux" arbres. Or, dans L'Astrée, vous filmez la vraie nature.
Oui, mais au Moyen-Age vous aviez une représentation des arbres très "raide" avec ces arbres sculptés qu'on voit dans les chapiteaux. Mais si vous prenez des gravures de l'époque de L'Astrée, c'est tout à fait différent : il y a un réalisme, on peut sentir le tremblement des feuilles, ce sont déjà des arbres tels que nous les connaissons aujourd'hui. Disons que le monde du Moyen-Age représenté en peinture est un monde plus minéral. De même que, pour Perceval le Gallois, j'ai voulu montrer le Moyen-Age tel que le voyaient les gens de l'époque, pour L'Astrée j'ai voulu montrer les Gaulois tels que les voyaient les gens de l'époque, qui mélangent les châteaux Renaissance avec des costumes antiques. Je pense que le cinéma peut montrer cette vision du monde qu'avaient nos ancêtres de façon plus accessible au public actuel que ne le serait la lecture d'un livre, qui demande un certain effort. J'ai voulu faire un film facile, mais qui en même temps ne modernise pas, qui respecte exactement la langue de l'époque. J'ai voulu faire en sorte que l'imparfait du subjonctif soit accueilli par le public sans qu'il s'en rende compte. Et il y en plein !
Vous venez de tourner successivement trois films d'époque. Est-ce un hasard ?
J'ai fait des ensembles : les Contes moraux puis les Comédies et proverbes et les Contes des quatre saisons. Je n'ai pas encore eu d'idée d'un autre ensemble, je ne pense pas qu'à mon âge je puisse en faire un. Mais après les Contes moraux, je m'étais "reposé" en tournant un film d‘après Kleist et en montant une pièce de cet auteur. Après les Comédies et proverbes, je me suis aussi reposé en écrivant une petite pièce de théâtre, Le Trio en si bémol, qui a été représentée chez Renaud-Barrault. Et après les Contes des 4 saisons, je me suis reposé en faisant L' Anglaise et le Duc et Triple Agent. Les circonstances ont fait que j'ai tourné Les Amours d'Astrée et de Céladon, c'est comme ça...
On pourrait penser qu'un film léger comme "Les Rendez-vous de Paris" serait plus reposant...
L'Astrée n'est peut-être pas si reposant que ça... Mais faire L' Anglaise et le Duc et Triple Agent, c'est plus reposant que faire Les Rendez-vous de Paris, un film fait avec très peu de moyens, et où je dois toujours bouger, me démener partout, dans des circonstances pas forcément très confortables. Ca me demande plus de vigueur physique que ces films à plus grand budget, où je peux m'asseoir tranquillement devant mon combo.
On a parlé de changement, mais il y a aussi une vraie continuité entre "Triple agent" et "L'Astrée", deux films qui ont pour thème la confiance dans le couple.
Oui, c'est effectivement un sujet qui m'intéresse : la confiance, la fidélité. Là, cela prend une forme excessive, la forme d'une obstination.
Dans "l'Astrée", Céladon accomplit un parcours. En cela, il est comme la plupart des héros de vos films, qui font tout un cheminement, un voyage, symbolique ou non.
Oui, je suis content que vous disiez ça. Tout ce que je peux dire, c'est que j'ai trouvé précisément dans ce livre des choses que je ressentais profondément, qu'il y avait des analogies avec mes films.
On pense par exemple au "Conte d'hiver" avec ce malentendu au début et ces retrouvailles à la fin.
Oui, l'héroïne de Conte d'hiver est obstinée, de manière différente, mais elle peut paraître excessive, folle. Et le malentendu est très important dans mes films. C'est un ressort dramatique très ancien. D'une certaine façon, on le trouve chez les Grecs : la méprise, le fait de ne pas comprendre quelque chose, c'est dans Oedipe roi. La volonté d'être fidèle à un serment, c'est aussi très ancien. Ca me paraît naturel et normal, mais je m'aperçois que dans beaucoup d'oeuvres contemporaines, il n'y a pas cette volonté d'être fidèle à des principes, de suivre une voie qu'on s'est tracée. Souvent, les personnages sont les jouets des circonstances. Et moi, je n'aimerais pas montrer des personnages qui sont les jouets des circonstances.
Un point commun entre vos 3 derniers films, c'est l'importance de la peinture.
Effectivement. Si on prend Triple Agent, le personnage féminin est peintre, alors que dans l'histoire dont je me suis lointainement inspiré, c'est une cantatrice. Pour L' Anglaise et le Duc, je me suis inspiré de la peinture de l'époque pour reconstituer Paris. Là, lorsque Céladon se réveille, il aperçoit 2 peintures, qui ne sont pas celles qu'avait inventées d'Urfé car je trouvais qu'elles ne correspondaient pas à l'histoire (ce qu'elles représentaient est horrible : l'histoire d'un Saturne qui mange ses enfants...). J'ai trouvé des oeuvres d'un grand peintre de l'époque, Simon Vouet : Le Temps vaincu par l'amour et L'Amour et Psyché, ce qui se rapporte plus à notre sujet. Lorsque les personnages arrivent dans le petit temple autour du chêne, ils y découvrent deux peintures, l'une avec deux amours, l'autre avec une bergère qui conduit ses moutons. Là, ce sont des peintures que j'ai fait faire par un peintre en fonction de la description qu'en donne d'Urfé.
Comme dans d'autres films, et peut-etre plus encore cette fois, toutes les formes d'art sont convoquées : littérature, peinture, mais aussi musique, sculpture...
La sculpture, c'est une idée de moi. J'ai fait ça parce que je pensais que le discours un peu abstrait du druide risquait d'etre aride, et qu'il fallait fixer l'attention des gens par des statues. J'ai donc trouvé des reproductions de statues antiques, et je pense que ça contribue à rendre la scène plus agréable. Oui, peinture, musique, architecture, sculpture sont dans mes films. Mais quand il y a de la musique, comme le garçon qui compose une chanson dans Conte d'été, on voit la musique à l'oeuvre : c'est une musique qui est inventée, ou bien interprétée, mais ce n'est jamais une musique de cinéma, non située dans l'espace et dans le temps. Elle est jouée à un certain moment, à un certain endroit.
Diriez-vous alors que la nature apparaît dans "L'Astrée" comme une forme d'oeuvre d'art suprême ?
Oui. J'avais peur que ce soit affaibli par la représentation cinématographique. J'admire la nature, je la ressens, je la sens (malheureusement, le cinéma ne reproduit pas les odeurs). Par exemple, le vent est très important dans ce film, j'ai choisi des moments où le vent soufflait.
Vous célébrez la beauté de la nature, mais aussi son mystère, sa dimension presque "magique", ce qui peut rappeler "Le Rayon vert" (photo) ou "L'Heure bleue" dans "4 aventures de Reinette et Mirabelle".
Il y a de la magie dans le roman. Ce n'est pas très précis, mais par exemple quand les nymphes marchent au début le long de la rivière, elles cherchent un lieu qui leur a été signalé par un druide, qui aurait lu dans son miroir que Galathée rencontrerait là "une chose importante". Je n'ai pas insisté là-dessus, je n'ai pas voulu faire du cinéma fantastique. Mais c'est en filigrane. Le Rayon vert, c'est pareil. C'est un phénomène naturel, que j'ai vu : je passais mes vacances à un endroit où je pouvais le voir deux fois par an. L'idée que le Rayon vert est un porte-bonheur, c'est de la magie, c'est du fantastique. Quant à l'Heure bleue, c'est purement naturel, je ne crois pas qu'elle ait de la signification. Mais c'est vrai que je suis très intéressé par ces phénomènes : une nature qu'on peut interpréter de façon magique, même si elle est tout à fait naturelle.
A un moment, un personnage de "L'Astrée"" dit "Chaque chose produit selon son naturel". Dans votre cinéma, cette idée de "naturel" est très importante.
Oui, j'aime le naturel. Dans un texte peu connu, une préface à un livre de Balzac, j'avais parlé de son naturel en disant que c'était une qualité très importante, même si elle est un peu méprisée maintenant. Je suis content quand on me dit qu'il y a quelque chose de naturel dans mes films, car je trouve que cela manque dans les films des autres –même si évidemment on n'est pas juge et partie. Je sais que certains amateurs de films ou de romans recherchent l'artifice. Moi non. Mais le naturel est difficile à définir, car il ne faut pas confondre naturel et réaliste : il y a des choses qui sont réalistes et qui ne sont pas naturelles.
Le choix de vos acteurs relève-t-il de l'évidence ou demande-t-il du temps, par exemple ici pour Astrée et Céladon ?
C'est très immédiat. Pour ce film, je les ai d'abord choisis sur photo. Je n'ai pas hésité. Je sais tout de suite si un acteur joue bien ou mal, c'est la moindre des choses pour un metteur en scène. Je sens ceux qui pourraient être bien dans mes propres films.
Etes-vous d'accord avec les cinéastes qui estiment que la direction d'acteurs se résume en fait au choix des acteurs ?
Oui, je serais assez de ce côté-là. Je ne pourrais pas tourner un film pour lequel onsrc='http://images.allocine.fr/r_760_x/medias/nmedia/18/64/45/43/18784862.jpg' /> m'imposerait des acteurs. Je ne pense pas que pour moi, la direction d'acteurs existe sur le tournage. Si jamais elle existe, c'est dans les conversations que je peux avoir avec les acteurs avant les films. D'une certaine façon, il faut que le metteur en scène apprivoise les acteurs, mais ce qui est peut-être plus important, c'est que les acteurs comprennent le metteur en scène. Et c'est sûrement ce qui est difficile pour eux. Par exemple, je pense qu'ils sont un peu étonnés de la simplicité de ce que je leur demande. Je l'ai constaté en particulier dans mes rapports avec les acteurs allemands, quand j'ai fait La Marquise d'O...Ce sont des gens qui aiment bien être conscients de ce qu'ils font, réflechir sur ce qu'ils font. Et ils étaient étonnés que je ne leur demande pas grand-chose. Effectivement, en général, je ne demande rien aux acteurs. Pour Les Amours d'Astrée et de Céladon, je leur ai d'abord demandé de lire le texte assis à cette même table. Puis, sur le lieu du tournage, je leur ai demandé : "Dites votre texte, en ne restant pas plantés comme des piquets, mais en bougeant." Ils l'ont très bien fait, et en général je n'ai pas eu besoin de leur indiquer des choses. C'était très simple. Ils avaient même le sens du cadre. Sur ce film, il y a a eu une parfaite harmonie entre ce que j'aimais et ce que faisaient les acteurs, ce qui n'a pas toujours été le cas. Et la plupart étaient des débutants.
Il y a dans le film une nudité peu fréquente chez vous...
La nudité "intégrale", on la trouve dans L' amour l'après-midi où on voit deux femmes dans la salle de bain. Et dans mes films, il y a beaucoup de baignades, des personnages en maillot de bain. Cette fois, je n'ai rien voulu apporter de mon cru, j'ai suivi non seulement exactement l'histoire, les situations du roman, mais aussi le texte lui-même : j'ai fait dire, hors champ, le texte de ce passage, pour qu'on n'ait pas l'impression que c'est le metteur en scène qui s'était payé le plaisir de déshabiller ses actrices, mais que c'était l'auteur de L'Astrée qui montrait la nudité avec la vision et le langage de l'époque.
Dans la dernière partie, Céladon se travestit en femme. Dans quelle mesure Céladon devait-il être reconnaissable ?
Je me le suis demandé, mais c'est insoluble. Très souvent, en voulant faire une chose, on obtient le contraire. Par exemple, en voulant féminiser l'acteur, on pouvait le masculiniser. L'acteur a des cheveux mi-longs. Je lui ai mis une guimpe, pour lui donner un côté bonne soeur, mais c'était très risqué. D'ailleurs, je crois que les filles druides ça n'existait pas, c'est une invention de l'auteur. Que pensez-vous de la voix ? Vous pensez que c'est lui qui parle ?
Ah oui.
C'est lui qui parle, mais ça a été truqué. On a monté sa voix de quelques tons. Ce n'est pas lui qui prend une voix de fausset, ça a été obtenu par un moyen mécanique. C'est d'ailleurs très difficile parce que si vous montez une voix, vous changez la vitesse. Or là, on a pu monter la voix sans changer de vitesse. Ce procédé a été employé dans un film que j'ai vu récemment, Farinelli. C'était les mêmes personnes, de l'IRCAM, qui l'avaient fait.
Vous avez recours au flash-back _ce qui est assez rare dans vos films- lorsque vous montrez les moments heureux vécus par Astrée et Céladon, avec une chanson.
D'une certaine façon, c'est comme un clip. J'ai déjà réalisé deux clips, que je n'ai pas signés, l'un avec Rosette, l'autre avec Arielle Dombasle. J'avais fait ça pour leur faire plaisir et aussi parce que les réalisateurs de clips voulaient se faire payer très cher... Mais ça m'avait intéressé parce que ça m'avait appris une technique un peu différente de celle que j'emploie en général. Dans Les Amours d'Astrée et de Céladon, cette séquence me permettait de montrer les amoureux. Il n'y a pas d'autres images dans lesquelles ils sont ainsi ensemble, ou alors il est déguisé. Donc d'une certaine façon, c'était bien pour l'affiche (sourire). Et puis je suis content d'avoir pu mettre un poème d'Honoré d'Urfé.
Un remake américain de "L'Amour l'après-midi" sort prochainement en salles. Avez-vous été consulté ?
Evidemment. C'est la première fois que ça m'arrive. Je n'ai pas refusé, d'une part pour des raisons financières : je suis quand même coproducteur de mes films, et si on me propose un peu d'argent, ça m'aide, ça me donne plus d'autorité. D'autre part, pourquoi pas en fin de compte ? Si je suis un auteur de théâtre, je ne peux pas contrôler le fait que ma pièce soit jouée dans un autre pays. C'est mon histoire, mais le film n'est pas de moi. Je ne vends pas mon film, mais seulement les droits du scénario. On verra, je suis curieux de voir ce film.
Un réalisateur américain indépendant, Noah Baumbach, vient de tourner "Margot at the Wedding", dont les héroïnes s'appellent Margot et Pauline, un film qui devait s'appeler initialement "Margot à la plage"...
C'est un hommage, pourquoi pas ? Ca ne me gêne pas. De même que ça ne me gêne pas qu'il y ait un film pornographique, qui s'appelle " Mes nuits avec Elodie, Nathalie, Maud et je ne sais plus qui" [E.R. fait sans doute référence au film érotique Mes nuits avec... Alice, Pénélope, Arnold, Maude et Richard] Je n'ai pas inventé le prénom Maud !
Mais comment comprenez-vous le fait que vous soyez un des réalisateurs français les plus connus à l'étranger et qui s'exportent commercialement le mieux ?
Evidemment, ça me plaît. Je pense que je suis mieux goûté par les étrangers que par les Français., c'est tout ce que je peux dire. Quels sont ceux qui ont raison ? Je n'en sais rien, j'espère que ce sont les étrangers, mais enfin... Je crois que si je suis aimé à l'étranger, c'est parce que j'apparais comme très français.
Qu'avez-vous pensé-vous du discours prononcé par Pascale Ferran aux César sur les difficultés du cinéma français ?
Si on me parle de culture... je ne sors pas mon révolver mais je réponds : je n'ai pas de rapport avec la culture, je suis un cinéaste purement commercial. Effectivement, je fais du commerce avec un public restreint et mes films peuvent ne pas marcher. Mais il n'empêche que suis un cinéaste purement commercial, parce que l'Etat ne m'a jamais aidé. J'ai eu une aide à la distribution grace à mon producteur Barbet Schroeder, qui est quelqu'un d'extrêmement actif... après tournage. On ne peut pas dire qu'on soit tellement aidé quand le film est déjà tourné ! Perceval le Gallois avait été refusé à l'Avance sur recettes, mais Margaret Ménégoz, qui était très obstinée, a réussi à l'obtenir après un second passage. Une autre fois, Margaret m'a dit : "il y a un metteur en scène que vous m'avez fait connaître et que je veux bien produire (c'était Jean-Claude Brisseau), mais à condition d'avoir de l'argent. Or, nous n'avons pas assez d'argent en trésorerie, et si nous avons l'Avance pour vous, ça libèrera de l'argent pour lui..." Donc finalement cet argent n'a pas servi à moi, mais à Brisseau ! Ensuite, Margaret l'a demandée pour L' Anglaise et le Duc mais on ne l'a pas eue. Pour Les Amours d'Astrée et de Céladon, j'ai obtenu l'Avance mais Arte, la chaîne culturelle, plus ou moins obligée de passer les films qui ont eu l'Avance, n'en a pas voulu. Donc je réponds : je ne suis pas un metteur en scène culturel, puisque le Ministère de la Culture semble complètement m'ignorer. Si mes films marchent, c'est parce qu'ils ont un public. Je veux bien qu'on dise que c'est de l'art et pas du commerce, mais du point de vue de "l'administration", celui d'où se plaçait Pascale Ferran, mes films appartiennent au genre commercial plutôt qu'au genre culturel.
Cette année, on a pu voir à Berlin le dernier film de Jacques Rivette, et on verra à Venise le votre et celui de Claude Chabrol. Qu'est-ce que cette coincidence vous inspire ?
Je pense qu'en fin de compte, on n'a pas tellement trahi notre propos initial ni les uns ni les autres. Godard n'est pas allé vers le commerce, mais plutôt au contraire vers la surenchère. Rivette et moi-même non plus. J'ai fait des films avec la même rigueur, dans les sujets comme dans la façon de tourner : même mes films "à grand spectacle" ne sont pas démagogiques et je n'ai pas jeté d'argent par les fenêtres.
Avez-vous le sentiment d'avoir progressé au fil des années ou diriez-vous que tout était là dès le début ?
Je ne sais pas. Je me pose toujours des questions, même sur des choses techniques très simples, de raccord. Par exemple, dans Triple Agent, il y a un moment où les deux personnes conversent à table l'une en face de l'autre. Eh bien je n'arrivais pas à trouver l'angle selon lequel il fallait les montrer, et j'en ai discuté avec ma chef-opératrice. J'aime beaucoup mes chefs-opérateurs (que ce soit Diane Baratier, ou avant Néstor Almendros) mais je n'ai pas une absolue confiance en eux pour les raccords. Pour qu'un raccord soit juste, il leur arrive de changer de décor, de tricher : par exemple si la table est comme ça, on va la mettre en travers pour que ça marche mieux. Moi, je tiens à respecter le décor.
On parlait de votre côté pédagogue, mais vous vous présentez donc aussi toujous un peu comme un débutant...
Oui, c'est ça. J'ai tourné un petit court métrage récemment. Il y avait une chose embêtante : il fallait franchir les 180°, ce qui est interdit. Je n'étais pas d'accord avec Diane Baratier. Finalement j'ai trouvé une solution toute simple, mais à laquelle je n'avais pas pensé tout de suite. Donc oui, j'apprends toujours..
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