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    Mouche sur Canal+: "le fait de montrer une antihéroïne complexe est assez novateur" selon la réalisatrice Jeanne Herry
    Julia Fernandez
    Julia Fernandez
    -Journaliste Séries TV
    Elevée à « La Trilogie du samedi », accro aux séries HBO, aux sitcoms et aux dramas britanniques, elle suit avec curiosité et enthousiasme l’évolution des séries françaises. Peu importe le genre et le format, tant que les fictions sortent des sentiers battus et aident la société à se raconter.

    Rencontre avec Jeanne Herry, réalisatrice de "Elle l'adore" et "Pupille", aux manettes de la nouvelle comédie décalée de Canal+, et de ses deux productrices, Dominique Jubin (Studiocanal Original) et Carole Della Valle (Banijay).

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    Comment est née l'idée la série Mouche ?

    Dominique Jubin, productrice : Assez vite après avoir découvert la série Fleabag. Nous étions en train de monter Studiocanal Original, qui est une structure de production interne et une filiale de Studiocanal, et dès que nous avons obtenu les droits de la série, nous avons approché Fabrice de la Patellière pour lui présenter le projet. C'était évident pour nous de le proposer à Canal+, par rapport au ton de la série, tout comme il nous semblait évident de solliciter Camille Cottin pour le rôle.

    Jeanne Herry, scénariste et réalisatrice : On m'a approché pour m'occuper de l'adaptation et de la réalisation des épisodes, alors que je venais de terminer mon précédent film. Je ne connaissais pas la série originale à ce moment-là, et en la découvrant je l'ai trouvée brillante et formidable, avec un ton très affuté. Je me suis dit que je pouvais correspondre au profil qui était recherché pour l'adapter, par la précision de la partition qui reflétait ma façon d'envisager le travail. Ça me renvoyait aussi au théâtre et à mes premières mises en scène; l'idée de reprendre une pièce qui a déjà été écrite et jouée était très intéressante pour moi. J'étais partante pour trouver les bonnes correspondances avec la France et la langue française, tout en restant très fidèle au matériau initial. Il y avait quelque chose dedans qui faisait appel à la partie "nordique" de ma personnalité, il n'y a pas une once de place pour l'improvisation ! (rires) C'est très racé, et c'est comme ça que j'aime travailler. Je ne voyais pas pourquoi on aurait dû changer des personnages dont la mécanique narrative était déjà très bonne. J'ai pris prends énormément de plaisir comme réalisatrice et comme spectatrice là-dedans.

    Fabrice de la Patellière, directeur de la fiction française et des coproductions internationales Canal+ : C'est ce qui a été déterminant pour nous en tant que chaîne. On s'est posé la question de l'adaptation car on adorait la série originale, mais le fait est qu'elle est très peu connue par nos abonnés. Le grand public ne connaît pas Fleabag, et l'adaptation était la seule manière de faire entendre cette voix unique à ce public.

    L'aspect féministe de la série était-il primordial à vos yeux ?

    Jeanne Herry : C'est toujours un peu délicat pour moi de définir ce qui est féministe ou non, mais grâce à mon éducation j'ai une conscience assez aiguë du fait que la représentation du monde à travers les arts et la culture est majoritairement faite par les hommes, y compris pour les personnages féminins. Il y a une moitié de l'humanité qui devrait aussi raconter le monde ! Le fait qu'il y ait de plus en plus de femmes auteurs et réalisatrices est positif, mais c'est encore trop peu. Lorsqu'on grandit en tant que femme, on s'habitue à s'identifier à des personnages masculins comme féminins : pour moi c'était Cyrano de Bergerac, Erin Brokovitch... alors que les hommes s'identifient très peu à des personnages féminins. Lorsque les voix se multiplient dans la création, ça crée de l'ouverture, on enrichit la vision du monde de tout un chacun. En cela, la série est féministe, tout comme le fait de montrer une anti-héroïne complexe est assez novateur. Cette femme avance en nous livrant toute sa complexité et ses défauts : elle est très libre mais pleine d'entraves, avec une sexualité qui paraît foisonnante mais qui n'est pas du tout épanouissante en réalité... C'est un personnage qui n'est pas féministe pour un sou, elle est complètement assujettie au regard masculin, c'est un rapport au désir qui n'est pas libre, et c'est très intéressant de le souligner.

    La représentation du monde à travers les arts et la culture est majoritairement faite par les hommes, y compris pour les personnages féminins. Il y a une moitié de l'humanité qui devrait aussi raconter le monde !

    Dominique Jubin : Cette complexité-là n'a jamais été montrée avant Fleabag, et il ne fallait pas faire de faux-pas sur ce paradoxe constant de la féminité. Mouche/Fleabag s'est sûrement identifiée aussi à des hommes en grandissant; dans sa relation avec son petit-ami par exemple, c'est elle qui fait le plus preuve de virilité au sens traditionnel du terme. Il fallait conserver la justesse du propos à tout prix.

    Fabrice de la Patellière : C'est un parti pris de développer des séries qui mettent des femmes en avant. On a besoin d'avoir des histoires et des points de vue qui sortent du regard masculin qui a prévalu jusqu'à présent, mais nous ne prétendons pas avoir une veine féministe et militante, ce n'est pas notre but. Mouche est intéressante car elle montre une femme qui n'est pas sous son meilleur jour, et le but est de banaliser le regard sur les oeuvres faites avec et par des femmes jusqu'à ce que cela devienne la norme. Mais il faut être volontariste pour que les choses bougent.

    Quel a été le défi principal dans le fait d'adapter une oeuvre aussi singulière que Fleabag ?

    Jeanne Herry : Une fois qu'on a traduit l'oeuvre de manière littérale, il fallait trouver le moyen de ne pas la dénaturer, en trouvant des correspondances pour restituer son esprit. Comme c'est un portrait d'héroïne en creux, il y a énormément de choses qui ne sont pas dites ni montrées. Je pouvais me glisser dans les creux et en remplir quelques-uns, notamment dans les flashbacks entre Mouche et son amie, Nini (India Hair).

    Carole Della Valle, productrice : C'est une oeuvre assez intimiste, et nous sommes les premiers à l'adapter. Par conséquent, l'équipe britannique était en permanence derrière nous, et très attentive à ce que nous souhaitions en faire. La première question de Phoebe Waller-Bridge a été de savoir qui allait interpréter son personnage. Or il s'avère qu'elle connaissait Camille Cottin de réputation grâce à Dix pour cent, et ce choix a été primordial. Entre producteurs, il a fallu montrer patte blanche, et prouver que nous pouvions restituer en français une oeuvre très anglaise, avec un humour décalé très "british", et Jeanne est parvenue à accomplir un travail brillant en matière d'adaptation, au niveau du langage et des dialogues.

    Envisagez-vous une saison 2 ?

    Carole Della Valle: Il y en a une qui existe en Angleterre (elle est disponible sur Amazon en France, ndlr), on est en train de la regarder en ce moment. De ce que j'en ai vu, elle est magnifique ! Ça n'a pas encore été l'objet d'une discussion avec Canal, mais ce sera le cas bientôt. Il faudra renégocier les droits de la série si l'on veut partir dessus.

    Jeanne Herry : Il faut qu'on en discute ensemble, mais j'ai tellement aimé cette matière si brillante et l'équipe qu'on a formée ensemble ! Je me suis beaucoup fliquée sur le tournage, car on m'a toujours dit que les comédies où les gens rient beaucoup sur le tournage ne donnaient pas forcément les meilleures oeuvres... or je n'arrêtais pas de me marrer ! (rires) C'était très savoureux à jouer, le plaisir de toute l'équipe était immense, pas seulement pour les gags mais aussi pour l'implication émotive de la série.

    Fabrice de la Patellière : Au départ on a vu la première saison comme un tout, nous n'étions même pas certains à l'époque que Phoebe allait faire une suite. Nous allons voir ensemble ce que nous allons décider suite à la diffusion de Mouche, qui peut dérouter car nous sortons des codes de la comédie française, mais nous n'excluons pas de faire une saison 2.

    Mouche sur Canal+ : que signifie le titre de la série ?
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